lundi 13 mai 2019

" La Grande Beuverie " par René Daumal ( 1938 )

Quand il est seul, le microbe (j’allais dire : l’homme) réclame une âme sœur, comme il pleurniche, pour lui tenir compagnie. Si l’âme sœur arrive, ils ne peuvent plus supporter d’être deux, et chacun commence à se frénétiser pour devenir un avec l’objet de ses tiraillements intestins. 

N’a pas de bon sens : un, veut être deux ; deux, veut être un. Si l’âme sœur n’arrive pas, il se scinde en deux, il se dit : bonjour mon vieux, il se jette dans ses bras, il se recolle de travers et il se prend pour quelque chose, sinon pour quelqu’un. Vous n’avez pourtant qu’une chose en commun, c’est la solitude ; c’est-à-dire tout ou rien, cela dépend de vous.


Je nie qu’une pensée claire puisse être indicible. Pourtant l’apparence me contredit : car, de même qu’il y a une certaine intensité de douleur où le corps n’est plus intéressé, parce que s’il y participait, fût-ce d’un sanglot, il serait, semble-t-il, aussitôt réduit en cendres, de même qu’il y a un sommet où la douleur vole de ses propres ailes, ainsi il y a une certaine intensité de la pensée où les mots n’ont plus part. Les mots conviennent à une certaine précision de la pensée, comme les larmes à un certain degré de la douleur.

 Le plus vague est innommable, le plus précis est ineffable. Mais ce n’est là, vraiment, qu’une apparence. Si le langage n’exprime avec précision qu’une intensité moyenne de la pensée, c’est parce que la moyenne de l’humanité pense avec ce degré d’intensité ; c’est à cette intensité qu’elle consent, c’est de ce degré de précision qu’elle convient. Si nous n’arrivons pas à nous faire entendre clairement, ce n’est pas notre outil qu’il faut accuser.

Un langage clair suppose trois conditions : un parleur sachant ce qu’il veut dire, un auditeur à l’état de veille, et une langue qui leur soit commune. Mais il ne suffit pas qu’un langage soit clair, comme une proposition algébrique est claire. Il faut encore qu’il ait un contenu réel, et non seulement possible. Pour cela, il faut, comme quatrième élément, entre les interlocuteurs une expérience commune de la chose dont il est parlé. Cette expérience commune est la réserve d’or qui confère une valeur d’échange à cette monnaie que sont les mots ; sans cette réserve d’expériences communes, toutes nos paroles sont des chèques sans provision ; l’algèbre, justement, n’est qu’une vaste opération de crédit intellectuelle, un faux-monnayage légitime parce qu’avoué : chacun sait qu’elle a sa fin et son sens en autre chose qu’elle-même, à savoir en l’arithmétique. Mais ce n’est pas encore assez que le langage ait clarté et contenu, comme si je dis « ce jour-là, il pleuvait » ou « trois et deux font cinq » ; il faut encore qu’il ait un but et une nécessité.

Autrement, de langage on tombe en parlage, de parlage en bavardage, de bavardage en confusion. Dans cette confusion des langues, les hommes, même s’ils ont des expériences communes, n’ont pas de langue pour en échanger les fruits. Puis, quand cette confusion devient intolérable, on invente des langues universelles, claires et vides, où les mots ne sont qu’une fausse monnaie que ne gage plus l’or d’une expérience réelle ; langues grâce auxquelles, depuis l’enfance, nous nous gonflons de faux savoirs. Entre la confusion de Babel et ces stériles espérantos, il n’y a pas à choisir. Ce sont ces deux formes d’incompréhension, mais surtout la seconde, que je vais essayer de décrire.

Il était tard lorsque nous bûmes. Nous pensions tous qu’il était grand temps de commencer. Ce qu’il y avait eu avant, on ne s’en souvenait plus. On se disait seulement qu’il était déjà tard. Savoir d’où chacun venait, en quel point du globe on était, ou si même c’était vraiment un globe (et en tout cas ce n’était pas un point), et le jour du mois de quelle année, tout cela nous dépassait. On ne soulève pas de telles questions quand on a soif.

Quand on a soif, on guette les occasions de boire et, pour le reste, on fait seulement semblant d’y faire attention. C’est pourquoi c’est si difficile, après, de raconter exactement ce que l’on a vécu. Il est très tentant, lorsqu’on rapporte des événements passés, de mettre de la clarté et de l’ordre là où il n’y avait ni l’un ni l’autre. C’est très tentant et très dangereux. C’est ainsi que l’on devient prématurément philosophe. Je vais donc essayer de raconter ce qui s’est passé, ce qui s’est dit et ce qui s’est pensé, comme c’est venu. Si tout cela vous paraît d’abord chaotique et brumeux, prenez courage : ensuite ce ne sera que trop ordonné et trop clair. Si alors l’ordre et la clarté de mon récit vous paraissaient sans substance, rassurez-vous : je terminerai par des paroles réconfortantes.

Nous étions dans une fumée épaisse. La cheminée tirait mal, le feu de bois trop vert se rabrouait, les chandelles dégageaient une sauce suifeuse dans l’air, et les nuages du tabac se couchaient en bancs bleuâtres à hauteur de visage. Si l’on était dix ou si l’on était mille, on ne savait plus. Ce qui est sûr, c’est qu’on était seuls. À ce propos, la grande voix de derrière les fagots, comme nous l’appelions dans notre langage de soiffards, s’était un peu élevée. Elle sortait effectivement de derrière un tas de fagots, ou de caisses à biscuits, c’était difficile à savoir à cause de la fumée et de la fatigue ; et elle disait :

— Quand il est seul, le microbe (j’allais dire : l’homme) réclame une âme sœur, comme il pleurniche, pour lui tenir compagnie. Si l’âme sœur arrive, ils ne peuvent plus supporter d’être deux, et chacun commence à se frénétiser pour devenir un avec l’objet de ses tiraillements intestins. N’a pas de bon sens : un, veut être deux ; deux, veut être un. Si l’âme sœur n’arrive pas, il se scinde en deux, il se dit : bonjour mon vieux, il se jette dans ses bras, il se recolle de travers et il se prend pour quelque chose, sinon pour quelqu’un. Vous n’avez pourtant qu’une chose en commun, c’est la solitude ; c’est-à-dire tout ou rien, cela dépend de vous.

On trouva que c’était bien dit mais personne ne se souciait de voir le personnage qui parlait. Il n’était question que de boire. On n’avait encore bu que des tasses d’un tord-boyau infect qui nous avait donné très soif. (…)

Après ce jugement que je portais pour la troisième fois sur moi-même, j’étais vraiment décollé. Je dormis un peu, puis je me retrouvai tout seul au milieu d’une foule de plus en plus nerveuse. Je n’adhérais plus très bien à rien, sauf à la soif. Tout en buvant de fort mauvais rhum, sans me douter du voyage que j’allais faire une minute plus tard, je tâchais de me souvenir que j’étais venu pour écouter un discours sur le quoi, sur quoi donc, sur la puissance des, comment disait-il, j’avais le mot sur le bout de la langue, je prête l’oreille à tout hasard, j’en oublie d’ouvrir l’œil et malheur ! je n’avais même pas eu le temps de ressaisir le fil que quatre-vingt-dix kilos me tombent sur l’estomac, me culbutent, me demandent pardon, demandent pardon au pavé, à ma bouteille, s’excusent auprès d’un tabouret, se relèvent avec la prestesse d’un poussah à cul de plomb et, c’était Amédée Gocourt, il me dit :

— Excuse-moi, mon vieux, je cherche la sortie.

C’était justement la chose à ne pas dire. Trois costauds jaillissent des ombres, attrapent Gocourt au collet :
— La quoi ? Tu cherches la quoi ?
— La sortie, je vous dis.
— Cet endroit, monsieur, n’a que trois portes de sortie, dit un des costauds. La folie et la mort.
Je compte sur mes doigts, je me trouve très intelligent et je demande :
— Et la troisième ?

Alors ils se jettent sur moi, me mettent leurs grosses pattes sur la bouche, m’empoignent comme un brancard mou, grimpent un sale petit escalier raide, dans cette position les fesses et la tête tour à tour cognent contre les marches, on arrive en haut tout déséquilibré, c’est une soupente, avec une porte basse et l’écriteau :

Infirmerie

— Allez jeter un coup d’œil là-dedans, dit le plus gros.
J’entre et pendant que les costauds m’observaient par le trou de la serrure et quelques autres ouvertures percées exprès dans la porte, car c’était une des rares distractions qu’on leur permît, et les cloisons tremblaient de leurs rires mal contenus, je passe entre deux rangs de lits de fer où étaient couchés les malades, les blessés, les détraqués, les dessoûlés, enfin tous ceux qui avaient insisté pour sortir. (…)

Soulevant une tenture, il découvrit une porte aux serrures compliquées, puis il sortit de sa poche un trousseau de clefs et une gourde qu’il me tendit.
— Garnissez-vous l’estomac pendant que j’ouvre, dit-il, car nous devrons rester une heure ou deux sans boire », et il ferrailla dans les serrures.

La porte tourna silencieusement et nous nous trouvâmes au Paradis. Une lumière ! Des lustres ! Des moulures dorées ! Des papiers peints, qu’on aurait dit des vraies tapisseries. Des divans profonds comme des tombereaux, couverts de torrents de soie artificielle. Des fontaines lumineuses qui distribuaient verveine, camomille, menthe, orangeade, limonade, avec des gobelets en métal argenté, plus léger que le massif et si plus commode ! et tout ça pour rien, à portée des lèvres. Des bibliothèques à catalogues électriques et distribution automatique. Des pupitres en contre-plaqué avec phonographe, T.S.F. et cinéma sonore individuel. Des brises de patchouli. Des rosées de glycérine, qui ne s’évapore pas, sur des gazons de papier paraffiné, qui ne fane pas.

Des anges en baudruche, gonflés d’hydrogène, flottaient parmi les cataractes de lumière oxhydrique, agitant dans leurs tendres mains des harpes éoliennes d’où neigeait le bruissement de valses viennoises et d’allègres chants militaires, enfin de tout pour tous les goûts.

Du haut du tertre que nous avions achevé de gravir en silence, un pêle-mêle de palais de tous styles, de gares, de phares, de temples, d’usines et de monuments divers s’étendait sous nos yeux.

— Vous voyez ici, me dit mon guide infatigable, la Jérusalem contre-céleste, résidence capitale des Évadés supérieurs. Maintenant que votre regard commence à se retrouver dans ce chaos de bâtiments, vous pouvez remarquer que la ville se divise en trois régions concentriques. Vous voyez d’abord, tout autour, cette zone encombrée d’aérodromes, de ports de mer (là-bas, tous ces échalas qui se dandinent), de gares de chemins de fer, d’hôtels et de cireurs de bottes ; c’est là qu’habitent les Évadés supérieurs de la première catégorie, les Bougeotteurs. Dans la région intermédiaire, celle d’où s’élèvent ces églises, ces gratte-ciel, ces statues, ces obélisques, vivent les Fabricateurs d’objets inutiles. Les quartiers du centre, là où vous voyez ces belles constructions de verre et ces inoffensifs canons de télescopes et la grande girouette, là, sur la gauche, c’est la région des Explicateurs. Et vous voyez, juste au centre, la cathédrale ?

— Oui, qui habite là ?
— C’est comme qui dirait les dieux, la fine fleur des Evadés supérieurs. Nous ferons halte chez eux et je vous assure qu’on ne s’embêtera pas.
— Mais y trouverons-nous à…
Il me cloua la langue d’un regard terrible.
— Y penser toujours, dit-il, n’en parler jamais. Allons visiter les Bougeotteurs.
(Vous apprendrez plus tard qu’en ce qui concerne les dieux, il s’était salement moqué de moi.) (…)

— Un lapin et de l’encre rouge ! cria soudain le Professeur en se tournant vers ses assistants. L’un d’eux ouvrit sa valise et en sortit par les oreilles un magnifique lapin russe qui gigotait et grinçait des dents. Un autre apporta un petit baquet de tôle, et y mélangea de l’eau avec une poudre rouge. On immergea le lapin et on le sortit écarlate du bain. On l’égoutta, et le Professeur le souleva à bout de bras par les oreilles.
— Qu’est-ce que je tiens là ? demanda-t-il.
— Un lapin teint en rouge.

— Non, jeune homme, non. Ce sont au moins deux cents lapins rouges, comme vous allez voir si vous suivez la bête dans toutes les aventures qui vont lui arriver. Nous allons bientôt pénétrer dans un établissement que j’ai fait aménager pour mes études, sous un prétexte de philanthropie. Des Scients de toute espèce y travaillent à la chaîne. Nous allons leur livrer ce lapin rouge. Vous verrez que chacun aura son lapin et qu’il restera peut-être encore de quoi faire un civet.
Je me laissai conduire. Nous entrâmes dans une galerie qui allongeait devant nous à perte de vue une enfilade de tables de laboratoires. Tous les dix ou douze pas, un Scient vêtu de blanc attendait, armé ou d’un scalpel, ou d’une balance, ou d’un chalumeau, ou d’un calorimètre, ou d’un microscope, chacun enfin avec son instrument particulier qu’il ne m’était pas toujours possible de nommer.

— Ils sont à jeun, me dit le savant vieillard. Ils n’ont encore rien eu à se mettre sous l’entendement de toute la journée. Vous allez les voir à la fête.
Il monta sur un petit socle de marbre établi près de l’entrée et, d’une voix claironnante, il annonça :
— Messieurs, la chasse de Pan est ouverte !
On entendit un roulement de murmures de satisfaction s’enfuir à perte d’oreille, refluer, s’éloigner encore, onduler, s’étaler, s’apaiser et s’éteindre.
Dans la gravité du silence blanc, le professeur Mumu jeta le lapin rouge sur la première table.

Le premier Scient bondit sur la proie et fit entendre un sifflement admiratif. Il mit l’animal au centre d’un petit labyrinthe aménagé sur le sol avec des planches, disposa sur son passage un brin d’herbe, un fil électrisé, une tasse de lait, un miroir et encore d’autres objets, et se mit à chronométrer les faits et gestes du lapin rouge. Puis il le passa à son voisin et se plongea dans l’étude ses chronométrages.

Le deuxième Scient photographia le lapin sous tous les angles possibles.
Le troisième l’égorgea et enregistra ses cris au phonographe.
Le quatrième le ressuscita et nota sa tension artérielle.
Le cinquième le retua et recueillit une goutte de sang qu’il déposa dans un verre.
Le sixième le radioscopa.
Le septième lui coupa une tranche de poil qu’il plaça sous son microscope.
Le huitième le pesa et lui prit un fragment de cervelle.
Le neuvième le mesura dans toutes ses dimensions.
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Le quarante-sixième lui enleva le cœur qu’il fit revivre sur une soucoupe.
Le quarante-septième l’interrogea sur son histoire et sur ses ascendants et, n’avant pas de réponse, il en improvisa lui-même.
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Le cent unième lui arracha les dents.
Le cent deuxième lui donna un nom abracadabrant.
Le cent troisième se mit à étudier l’étymologie et la sémantique de ce nom.
Le cent quatrième entreprit de compter les poils.
Le cent cinquième, impatienté, inventa une machine à compter les poils et la passa au cent-sixième.
Le cent sixième démonta la machine et en transmit les pièces au suivant.
Le suivant remonta les pièces dans un autre ordre et chercha à quoi cette nouvelle machine pourrait servir.
Je n’eus pas le courage d’en voir plus long. J’étais surtout en rogne contre le professeur Mumu.
— Il s’est moqué de moi. Il m’avait promis un civet. Maintenant, allez donc retrouver le lapin !
Mais je me fis entendre raison en me disant que je n’aimais pas beaucoup le lapin, surtout sans boire.

Le professeur Mumu me rejoignit.
— Eh bien, me dit-il, ils l’ont eu, leur lapin rouge ! Mais il faut surtout les voir quand on leur donne un homme, à ces faillis cannibales. D’un seul homme ils en font mille : homo œconomicus, homo politicus, homo physico-chimicus, homo endocrinus, homo squeletticus, homo emotivus, homo percipiens, homo libidinosus, homo peregrinans, homo ridens, homo ratiocinons, homo artifex, homo aestheticus, homo religiosus, homo sapiens, homo historicus, homo ethnographicus et encore bien d’autres. Mais au bout de la chaîne de mon laboratoire est installé un Scient unique en son genre. Trois mille cerveaux en un seul. Sa fonction est de rassembler toutes les observations et toutes les explications couchées par écrit par les Scients spécialisés. En ayant fait la somme, il est persuadé qu’il tient dans son entendement le lapin rouge ou l’homme total et essentiel. D’ailleurs, vous pouvez le voir d’ici », acheva-t-il en faisant signe à un de ses assistants qui m’apporta une paire de jumelles.

Par la lorgnette, je vis en effet, à l’extrême bout de la galerie, l’Omniscient. C’était un globe crânien énorme avec un petit visage amorphe et chiffonné, qui me parut accroché par les oreilles aux deux boules d’ébène surmontant le dossier d’un trône élevé. Pendeloquant sous la tête, un petit pantin d’étoffe laissait traîner des pantalons vides sur le velours cramoisi du siège. Le petit bras droit était maintenu levé par un fil de fer et l’index s’appuyait sur la tempe dans le signe du savoir. Au-dessus du trône courait une banderole portant cette inscription :

JE SAIS TOUT, MAIS JE N’Y COMPRENDS RIEN

Saisi de respect et d’effroi, je posai vite les jumelles et demandai au Professeur :
— Mais l’homme lui-même, que devient-il après cet examen ?
— L’homme lui-même, comme le lapin rouge tout à l’heure, est toujours, en cours de route, oublié dans une boîte à ordures. (…)

— Arrêtez un moment dis-je. Votre théorie de l’homme-chenille est ingénieuse, mais scientifiquement, permettez-moi de vous dire qu’elle ne tient pas debout. L’état adulte a pour caractéristique le pouvoir de reproduction. Or, l’homme se reproduit, et non seulement corporellement, mais aussi intellectuellement, ce que nous appelons enseigner. Donc un homme adulte est réellement un être adulte.

Je me flattais de connaître les défauts de sa cuirasse et je croyais bien, en lui envoyant ainsi, de la même volée, un argument scientifique, un syllogisme en forme et une citation de Platon, le réduire à quia. Mais je n’avais fait que lui préparer un triomphe facile, car il dit :

— Qu’un instituteur père de famille serait un homme adulte, faudrait-il conclure ? Vouin, vouin. Mais, scientifiquement et autrement, vous faites erreur. On a vu des larves d’insectes pondre, même sans fécondation, des œufs viables. Mais je ne parlerai pas de ces faits accidentels. Outre l’homme, il existe un autre animal qui, dans les conditions naturelles, n’arrive jamais à l’état adulte et qui, pourtant, se reproduit régulièrement. Il s’est accommodé de son état embryonnaire et n’a pas plus que l’homme le désir d’en sortir. 

C’est la larve d’une espèce de salamandre que l’on trouve dans des mares et des étangs du Mexique et que nous nommons, d’après un mot du pays, axolotl. On n’était pas trop sûr de la place à lui attribuer dans les compartiments zoologiques jusqu’au jour où, ayant injecté à des axolotls des extraits de glande thyroïde, on les vit se transformer en un nouvel animal, qui, sans l’intervention de la curiosité touche-à-tout de l’homme, dite science naturelle, n’aurait peut-être nulle part existé dans notre ère quaternaire à l’état adulte.

« La différence entre l’axolotl et l’homme, c’est que, chez ce dernier, une intervention extérieure ne suffirait pas, tout nécessaire qu’elle dût être, pour déclencher sa métamorphose. Il faudrait encore, et essentiellement, qu’il renonçât à son enchenillement et voulût lui-même sa maturation. Nous passerions alors par une transformation bien plus profonde que celle de l’axolotl ; seul le changement de la figure corporelle serait moins sensible, aux yeux du moins de notre observateur atteint de myopie psychique, tandis que les formes de nos sociétés en seraient complètement refondues.

« Quant à l’enseignement, s’il n’est pas capable de provoquer ni de guider cette transformation, il reste une instruction de larve à larve. Il est fort possible, d’ailleurs, que les vieilles larves d’axolotls apprennent aux larves nouveau-nées à nager et à chercher leur nourriture.


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