La vie intérieure de la russie dite soviétique, terme impropre car depuis longtemps les soviets ont cessé d’exister, est dominée dans les dernières
années par une véritable extermination de la « vieille garde» bolcheviste, c’est-à-dire des anciens cadres politiques dont le rôle s’identifie à l’histoire même de la révolution d’Octobre.
Cette immolation a lieu sous des formes diverses, par de multiples procédés au nombre desquels les récents procès de Moscou et d’ailleurs sont peut-être les plus terrifiants, non les seuls efficaces.
(Car bien d’autres communistes et révolutionnaires de toutes nuances périssent, anonymes, par la faim, le froid, l’épuisement, la maladie, dans des bagnes de toutes sortes, sans passer par aucun appareil judiciaire.)
Les victimes ne sont pas seulement tuées, mais flétries et déshonorées au-delàde toute expression : on leur impute, en plus d’intentions terroristes diaboliques, des agissements de haute trahison, espionnage, intelligence avec l’ennemi, connivence avec les fascistes, sabotage industriel, explosions et catastrophes, actions contre-révolutionnaires, le tout englobé ou résumé dans le terme générique de «trotskisme».
années par une véritable extermination de la « vieille garde» bolcheviste, c’est-à-dire des anciens cadres politiques dont le rôle s’identifie à l’histoire même de la révolution d’Octobre.
Cette immolation a lieu sous des formes diverses, par de multiples procédés au nombre desquels les récents procès de Moscou et d’ailleurs sont peut-être les plus terrifiants, non les seuls efficaces.
(Car bien d’autres communistes et révolutionnaires de toutes nuances périssent, anonymes, par la faim, le froid, l’épuisement, la maladie, dans des bagnes de toutes sortes, sans passer par aucun appareil judiciaire.)
Les victimes ne sont pas seulement tuées, mais flétries et déshonorées au-delàde toute expression : on leur impute, en plus d’intentions terroristes diaboliques, des agissements de haute trahison, espionnage, intelligence avec l’ennemi, connivence avec les fascistes, sabotage industriel, explosions et catastrophes, actions contre-révolutionnaires, le tout englobé ou résumé dans le terme générique de «trotskisme».
Au supplice des vétérans du communisme léniniste, réalisé par étapes dont on n’a pas encore vu la dernière, succède ou correspond la déchéance collective du vieux personnel policier, naguère initiateur et exécuteur des répressions les plus implacables, aujourd’hui taxé des pires crimes de droit commun : corruption, vénalité, abus de pouvoir. Après des pluies de sang, une vague de boue.
Et ce n’est pas fini. Les disgrâces se suivent aux sommets de l’administration gouvernementale. Des mutations s’accomplissent dans le haut commandement de l’armée rouge, pour des raisons obscures qui laissent place aux plus fâcheuses interprétations, et tout à coup l’un des hommes les plus en vue du Parti et de l’Armée se suicide, précédant de peu le procès à huis clos et l’exécution sans délai d’un maréchal éminent et des sept principaux généraux, véritable décapitation des cadres militaires du pays.
On s’attend à de nouveaux procès, à de nouveaux massacres, à de nouveaux scandales. Et de toutes parts est posée la question : que se passe-t-il en URSS ?
Un bref rappel des faits essentiels ne sera pas inutile. En décembre 1935, le représentant de Staline à Leningrad, un certain Serge Kirov, fonctionnaire sans relief ni couleur, fut tué par un jeune communiste inconnu, L. Nicolaïev.
L’événement produisit un grand effet de surprise, car les épurations successives des institutions communistes et soviétiques, les incarcérations en série, des déportations en masse, une législation draconienne, la technique perfectionnée des mesures policières, les représailles impitoyables exercées sur les familles, le régime permanent d’état de siège renforcé, tout semblait garantir aux dirigeants de l’État et du Parti une quiétude absolue. D’ailleurs, aucun attentat n’avait été commis depuis la guerre civile, depuis plus de quinze années.
On ignore les mobiles de Nicolaïev comme les circonstances de son geste, rien n’ayant transpiré de l’instruction, aucune information sérieuse n’ayant été fournie, aucun document publié.
Cependant, la connaissance des choses de l’URSS permettait de supposer d’abord que le meurtrier avait agi seul; peut-être eut-il deux ou trois confidents, mais on ne saurait l’affirmer, faute de renseignements puisés à bonne source.
Et ce n’est pas fini. Les disgrâces se suivent aux sommets de l’administration gouvernementale. Des mutations s’accomplissent dans le haut commandement de l’armée rouge, pour des raisons obscures qui laissent place aux plus fâcheuses interprétations, et tout à coup l’un des hommes les plus en vue du Parti et de l’Armée se suicide, précédant de peu le procès à huis clos et l’exécution sans délai d’un maréchal éminent et des sept principaux généraux, véritable décapitation des cadres militaires du pays.
On s’attend à de nouveaux procès, à de nouveaux massacres, à de nouveaux scandales. Et de toutes parts est posée la question : que se passe-t-il en URSS ?
Un bref rappel des faits essentiels ne sera pas inutile. En décembre 1935, le représentant de Staline à Leningrad, un certain Serge Kirov, fonctionnaire sans relief ni couleur, fut tué par un jeune communiste inconnu, L. Nicolaïev.
L’événement produisit un grand effet de surprise, car les épurations successives des institutions communistes et soviétiques, les incarcérations en série, des déportations en masse, une législation draconienne, la technique perfectionnée des mesures policières, les représailles impitoyables exercées sur les familles, le régime permanent d’état de siège renforcé, tout semblait garantir aux dirigeants de l’État et du Parti une quiétude absolue. D’ailleurs, aucun attentat n’avait été commis depuis la guerre civile, depuis plus de quinze années.
On ignore les mobiles de Nicolaïev comme les circonstances de son geste, rien n’ayant transpiré de l’instruction, aucune information sérieuse n’ayant été fournie, aucun document publié.
Cependant, la connaissance des choses de l’URSS permettait de supposer d’abord que le meurtrier avait agi seul; peut-être eut-il deux ou trois confidents, mais on ne saurait l’affirmer, faute de renseignements puisés à bonne source.
À la suite de procédures secrètes, 103 personnes furent passées par les armes, puis 14 communistes, parmi lesquels Nicolaïev, soit 117 exécutions capitales. Peu après, à la stupeur générale, 19 personnalités bolchevistes en vue comme Zinoviev, Kamenev et Evdokimov étaient jetées en prison, jugées à huis clos, frappées de peines diverses, et 78 autres emprisonnées ou déportées sans autre forme de procès, comme Zaloutski, Safarov et Vardine, soit 97 au total, bien qu’étrangères à l’assassinat, de l’aveu des autorités.
Mais on leur reprochait d’avoir créé jadis un mauvais état d’esprit à Leningrad, par leur attitude antérieure de critique et d’opposition à la politique officielle, d’avoir par exemple recueilli ou colporté des commérages, des anecdotes.
(Beaucoup plus tard, il s’avéra qu’en juillet 1935 Kamenev, ayant fait l’objet d’un autre procès à huis clos parmi 30 accusés, pour la plupart inconnus de lui, avait été gratifié d’une condamnation supplémentaire.)
En même temps, fait insolite, mais lumineux, 12 des principaux chefs de la police à Leningrad, arrêtés, étaient à leur tour condamnés de deux à dix ans de prison, Medvied en tête. Le jugement leur faisait grief de n’avoir pas empêché l’attentat dont ils connaissaient les préparatifs.
Autrement dit, la Guépéou, aux ordres de Staline, était mêlée de près à l’affaire, inconcevable sans son immixtion active; Kirov avait été assassiné par les siens au cours d’une opération compliquée, œuvre d’agents provocateurs, Nicolaïev servant d’instrument. Une phase nouvelle de terreur accentuée s’ouvrit pour le malheureux pays déjà terrorisé outre mesure.
On apprit dans la suite qu’une grande partie de la population de Leningrad – les estimations oscillent de 50000 à 100000 âmes, faute de données contrôlables – fut alors déportée en Asie. Mais dans toutes les Russies, la mort de Kirov entraîna des milliers, des dizaines de milliers d’arrestations, d’emprisonnements et de déportations.
Le Parti communiste, cette fois spécialement visé, subit une nouvelle épuration plus rigoureuse encore que les précédentes et des exclusions innombrables livrèrent à la Guépéou une foule de bolcheviks suspectés de tiédeur ou de peccadilles, bientôt relégués en Sibérie, au Turkestan ou dans l’Extrême-Nord avec leurs familles innocentes.(...)
https://bataillesocialiste.files.wordpress.com/2008/06/souvarine-cauchemar-en-urss-1937.pdf
Mais on leur reprochait d’avoir créé jadis un mauvais état d’esprit à Leningrad, par leur attitude antérieure de critique et d’opposition à la politique officielle, d’avoir par exemple recueilli ou colporté des commérages, des anecdotes.
(Beaucoup plus tard, il s’avéra qu’en juillet 1935 Kamenev, ayant fait l’objet d’un autre procès à huis clos parmi 30 accusés, pour la plupart inconnus de lui, avait été gratifié d’une condamnation supplémentaire.)
En même temps, fait insolite, mais lumineux, 12 des principaux chefs de la police à Leningrad, arrêtés, étaient à leur tour condamnés de deux à dix ans de prison, Medvied en tête. Le jugement leur faisait grief de n’avoir pas empêché l’attentat dont ils connaissaient les préparatifs.
Autrement dit, la Guépéou, aux ordres de Staline, était mêlée de près à l’affaire, inconcevable sans son immixtion active; Kirov avait été assassiné par les siens au cours d’une opération compliquée, œuvre d’agents provocateurs, Nicolaïev servant d’instrument. Une phase nouvelle de terreur accentuée s’ouvrit pour le malheureux pays déjà terrorisé outre mesure.
On apprit dans la suite qu’une grande partie de la population de Leningrad – les estimations oscillent de 50000 à 100000 âmes, faute de données contrôlables – fut alors déportée en Asie. Mais dans toutes les Russies, la mort de Kirov entraîna des milliers, des dizaines de milliers d’arrestations, d’emprisonnements et de déportations.
Le Parti communiste, cette fois spécialement visé, subit une nouvelle épuration plus rigoureuse encore que les précédentes et des exclusions innombrables livrèrent à la Guépéou une foule de bolcheviks suspectés de tiédeur ou de peccadilles, bientôt relégués en Sibérie, au Turkestan ou dans l’Extrême-Nord avec leurs familles innocentes.(...)
Avant même la première audience de chaque procès et la publication de l’acte d’accusation, sans aucune information préalable dans la presse communiste, dans l’ignorance complète des faits de la cause, une prétendue «opinion publique» singulièrement unanime et d’habitude silencieuse sort tout à coup de son mutisme pour exiger des peines capitales, hurle à la mort en termes atroces.
Les enfants des écoles, les ouvriers des usines, les paysans de la steppe, les pêcheurs de la mer Blanche, les montagnards du Caucase, les Tatares et les Tchouvaches, les Bachkirs et les Bouriates, les soldats et les marins, les fonctionnaires, les ingénieurs, les écrivains, les savants, les académiciens, les illettrés communient dans une même indignation spontanée, avec une curieuse identité de langage.
À millions d’exemplaires, les journaux répètent à satiété l’imprécation d’une fillette, hier en âge de jouer à la poupée, comme par hasard conforme aux formules des éditoriaux de la Pravda et des Isvestia, feuilles officielles. Le président du tribunal ne montre pas la moindre curiosité professionnelle, ne pose aucune question propre à éclairer le procès, les témoignages ou les aveux, et ne sourcille pas quand les inculpés reconnaissent avoir dérobé les tours du Kremlin.
Les enfants des écoles, les ouvriers des usines, les paysans de la steppe, les pêcheurs de la mer Blanche, les montagnards du Caucase, les Tatares et les Tchouvaches, les Bachkirs et les Bouriates, les soldats et les marins, les fonctionnaires, les ingénieurs, les écrivains, les savants, les académiciens, les illettrés communient dans une même indignation spontanée, avec une curieuse identité de langage.
À millions d’exemplaires, les journaux répètent à satiété l’imprécation d’une fillette, hier en âge de jouer à la poupée, comme par hasard conforme aux formules des éditoriaux de la Pravda et des Isvestia, feuilles officielles. Le président du tribunal ne montre pas la moindre curiosité professionnelle, ne pose aucune question propre à éclairer le procès, les témoignages ou les aveux, et ne sourcille pas quand les inculpés reconnaissent avoir dérobé les tours du Kremlin.
https://bataillesocialiste.files.wordpress.com/2008/06/souvarine-cauchemar-en-urss-1937.pdf
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