dimanche 2 juin 2019

" REDSHIRTS " par John Scalzi


 Du haut de son rocher, l’enseigne Tom Davis lorgna le capitaine Lucius Abernathy, l’officier scientifique R’hwa et l’ingénieur en chef Paul West, tous juchés sur un plus gros bloc de pierre de l’autre côté de la grotte, et il se dit : Ouh là ! ça craint.
— Des vers géants de Borgovie ! s’écria le commandant en frappant son piédestal du plat de la main. J’aurais dû m’en douter.

Vous auriez dû vous en douter ? Comment diable auriez-vous pu l’ignorer, au contraire ? protesta intérieurement l’enseigne Davis. Il étudia le sol de la vaste caverne et vit la terre friable remuer çà et là en formant de vagues bosses caractéristiques du passage des gigantesques vers carnivores.

— Je ne suis pas sûr que ce soit une bonne idée de se précipiter là-dedans sans réfléchir, avait soufflé Davis à Chen, l’autre sous-fifre de l’expédition, en découvrant la grotte.
Abernathy, R’hwa et West y étaient déjà entrés, oubliant que Davis et Chen étaient en principe là pour assurer leur sécurité.
Chen, nouveau dans l’équipe, s’était esclaffé.
« Oh ! allez ! Ce n’est qu’une grotte… Que veux-tu trouver à l’intérieur ?

— Des ours ? avait suggéré Davis. Des loups ? Un gros prédateur qui s’y est abrité contre les éléments ? Tu n’as jamais fait de camping ?
— Il ne vit pas d’ours sur cette planète, avait rétorqué Chen en négligeant délibérément le propos de son camarade. De toute manière, nous avons nos pulseurs. Allez, viens ! C’est ma première mission.   

« Je n’ai pas envie que le commandant me reproche de traîner. »
Et il s’était lancé à la poursuite de ses supérieurs.
Du haut de son rocher, Davis baissa les yeux sur une traînée poussiéreuse au milieu de la caverne : tout ce qu’il restait de Chen. Les vers géants, attirés par le bruit des explorateurs à leur entrée dans la grotte, s’étaient frayé un chemin dans la terre pour surgir sous les pieds de l’enseigne et l’entraîner dans les profondeurs en ne laissant derrière eux que l’écho de ses hurlements ainsi, donc, qu’une traînée poussiéreuse.

Bon, pas seulement, c’est vrai, corrigea Davis en regardant plus loin vers le fond de la grotte la main qui gisait là, toujours serrée sur le pulseur qui n’avait été en définitive d’aucun secours à son propriétaire.
Le sol remua et la main disparut.

Maintenant si, d’accord.
— Davis ! cria le capitaine Abernathy. Restez où vous êtes ! Le moindre mouvement au sol attirerait les vers ! Vous seriez aussitôt dévoré !
Merci pour ce conseil pas du tout évident ni superflu, pauvre con, pensa Davis sans le dire à voix haute parce qu’il n’était qu’enseigne et qu’Abernathy était le commandant. Au contraire, il répondit :
— Bien, commandant.
— Parfait, dit Abernathy. Je ne tiens pas à ce que vous tentiez votre chance et vous fassiez attraper par ces bestioles. Votre père ne me le pardonnerait jamais.

Quoi ? se dit Davis avant de se souvenir soudain que le capitaine Abernathy avait servi sous les ordres de son paternel à bord du Benjamin-Franklin. L’astronef au destin funeste Benjamin-Franklin. En vérité, c’était le père de Davis qui avait sauvé la vie de celui qui n’était alors que l’enseigne Abernathy en le jetant, inconscient, dans une capsule de sauvetage avant d’y plonger à son tour juste à temps pour actionner la commande d’éjection tandis que le Franklin explosait autour d’eux dans une spectaculaire boule de feu. Ils avaient dérivé pendant trois jours dans l’espace et arrivaient au bout de leurs réserves d’oxygène quand les secours étaient enfin intervenus.

Davis secoua la tête. Il était très singulier que tous ces détails entourant Abernathy lui aient ainsi sauté à l’esprit, surtout dans ces circonstances.
Avec un sens de l’à-propos louable, le commandant ajouta :
— Votre père m’a un jour sauvé la vie, vous savez.
— Je sais… commença Davis avant de manquer de peu basculer du haut de son perchoir, qui s’était soudain mis à branler sous les coups de boutoir des vers géants. (…)

— Tu m’as promis une longue histoire, relança Duvall quand ils eurent acheté leur repas.
— Je n’ai rien promis de tel, protesta Dahl.
— C’était une promesse implicite. Par ailleurs, je t’ai offert à boire. Tu es à ma merci. Distrayez-moi, enseigne Dahl.
— Bon, d’accord. Si j’ai intégré l’académie sur le tard, c’est parce que j’ai passé trois ans au séminaire.
— Voilà qui m’intéresse très moyennement…

— Sur Forshan.
— Ah ! ça devient passionnant tout d’un coup. Tu es donc prêtre de la religion forshanique ? Quel schisme ?
— Celui de gauche. Mais, non, je ne suis pas prêtre.
— Tu ne te voyais pas vivre sans femme ?
— Les prêtres de gauche ne sont pas tenus au célibat. Cela dit, puisque j’étais le seul être humain du séminaire, le célibat m’était tout de même imposé d’une certaine manière.

— Il y en a qui ne s’arrêteraient pas à ça…
— On voit bien que tu n’as jamais vu de près un séminariste forshanique. Et puis je ne mange pas de ce pain-là.
— Tu n’as pas rencontré le bon xéno, voilà tout.
— Je préfère les humains. C’est affreusement conventionnel, je sais.
— Affreusement, le taquina Duvall.
— Toujours est-il que tu viens de m’arracher l’aveu de mes préférences sexuelles en un temps record. Si tu es si directe avec quelqu’un que tu viens tout juste de rencontrer, je n’ose imaginer comment tu te conduis avec tes amis de longue date.

— Oh ! je ne suis pas comme ça avec tout le monde. Tu m’es sympathique, voilà tout. Enfin, pour résumer, tu n’es pas prêtre.
— Non. Officiellement, je suis « pénitent étranger ». J’ai eu le droit de suivre tout le cursus et de pratiquer certains rites mais il est des protocoles que je n’aurais jamais été physiquement capable d’accomplir pour prétendre à l’ordination.
— Lesquels ?
— L’autofécondation, déjà.
— Détail anodin mais d’une grande pertinence.
— Et toi qui t’inquiétais de mon célibat ! railla Dahl en portant son verre à ses lèvres. (…)

« — Allez ! Nous sommes presque arrivés aux navettes ! beugla le lieutenant Kerensky.
Dahl eut tout juste le temps de s’accorder une folle seconde d’hilarité devant la forme que tenait Kerensky après avoir survécu de si fraîche date à une terrible infection. Puis, à l’instar de Hester et de tous ses compagnons du détachement, il se lança dans un sprint effréné le long des coursives de la station spatiale dans l’espoir d’échapper aux mécanismes de mort lancés à leur poursuite.

Cette station n’appartenait pas à l’Union universelle : c’était une installation commerciale indépendante qui n’avait pas forcément reçu d’agrément légal mais diffusait néanmoins en boucle par hyperondes un signal de détresse non crypté qui en dissimulait un second, codé celui-là. L’Intrépide avait répondu au premier en envoyant deux navettes armées d’équipes d’intervention. Le message caché n’avait été déchiffré qu’une fois les détachements à bord de la station.

Ne vous approchez pas : les machines sont déchaînées.

Le peloton de Dahl l’avait compris avant même le décryptage de cet avertissement quand l’un des robots avait haché menu la spatiale Lopez. À en croire les hurlements qui résonnaient au loin dans les coursives, la deuxième équipe était à son tour aux prises avec cette douloureuse constatation.
Deuxième équipe à laquelle appartenaient Finn, Hanson et Duvall.

— Qui sont ces cons qui ont cru bon de coder un message d’alerte sur la présence de machines tueuses ? hurla Hester en dernière position de la colonne formée par son équipe en débandade.
Des chocs sourds se répercutaient le long de l’infrastructure au point de la faire vibrer sous leurs pieds : l’un des robots – un gros – ne se trouvait plus très loin derrière les fuyards.

— Chut ! fit Dahl.
Ils le savaient, les machines pouvaient les voir. Il y avait donc fort à parier qu’elles puissent également les entendre. Dahl, Hester et les deux autres soldats restants de l’équipe s’accroupirent en attendant que Kerensky leur indique la prochaine direction à suivre.

Le lieutenant consulta son com et fit signe à Dahl d’approcher. L’enseigne se faufila près de son supérieur, qui lui montra une carte affichée sur l’écran.
— Nous sommes ici, dit-il en posant le doigt sur un des couloirs. Le hangar aux navettes est là. Je vois deux itinéraires possibles : le premier passe par la salle technique au cœur de la station et le second par son espace de restauration.

Que de blabla… Une décision, maintenant, s’il vous plaît ! pensa Dahl en acquiesçant.
— Nous ferions mieux de nous dédoubler, continua Kerensky. Dès lors, si les machines s’en prennent à un groupe, le second aura tout de même une chance d’atteindre les navettes. Êtes-vous habilité à les piloter ?
— Hester l’est, s’entendit répondre Dahl.

Il se demanda comment il le savait. Il n’avait pas souvenir d’avoir jamais eu cette information.  


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