dimanche 30 juin 2019

" Nous vivons en pleine science-fiction. L’anticipation est pour aujourd’hui… " par Henri Vernes (1963)


— Oui, je crois que de très nombreux adultes lisent Bob Morane. Mais sans oser toujours l’avouer…
— Comme ils lisent aussi Tintin ?
— Oui. Cependant, il n’y a guère de ressemblance entre Tintin et Bob Morane. Tintin est un personnage caricatural, alors que je me suis efforcé de faire de Bob Morane un homme en chair et en os qui exalte l’imagination.
— Un Robin des Bois en quelque sorte ?
— Si vous voulez. Mais Robin des Bois était un romantique. Il n’est plus imaginable à notre époque. On ne voit pas Robin des Bois monter sur les hauteur de Lausanne pour prêcher la révolte. Il aurait tous les colonels derrière lui…

 — M. Vernes, comment vous est venue l’idée de créer Bob Morane ?
— Eh bien, avant 1939 les héros des jeunes s’appelaient Buffalo Bill, Nick Carter. Ils sont morts avec la guerre. J’ai eu l’idée de combler ce vide avec Bob Morane qui, lui, est bien de son temps et le dépasse même parfois.
— En effet, vous faites souvent de la science-fiction.
— Oh ! vous savez, c’est surtout de l’actualité. Nous vivons en pleine science-fiction. L’anticipation est pour aujourd’hui…
— Quelle est votre méthode de travail ?
— Je pars d’un fait scientifique réel et je brode autour une intrigue complètement imaginaire.
— Quand vous abordez un nouveau livre, procédez-vous comme Simenon qui s’enferme hors du monde, dans un cadre vidé de tout élément extérieur ?
— Non, je ne change rien à ma vie. J’écris parfois ma page par jour, d’autres fois moins. La rédaction me prend cependant moins de temps que la contemplation qui la précède. Mais je ne « sèche » jamais. Je n’en ai pas le temps.
— Vos livres sont destinés aux enfants puisqu’ils paraissent dans la collection Marabout Junior. Mais ne pensez-vous pas que beaucoup d’adultes vous lisent aussi ?
— Oui, je crois que de très nombreux adultes lisent Bob Morane. Mais sans oser toujours l’avouer…
— Comme ils lisent aussi Tintin ?
— Oui. Cependant, il n’y a guère de ressemblance entre Tintin et Bob Morane. Tintin est un personnage caricatural, alors que je me suis efforcé de faire de Bob Morane un homme en chair et en os qui exalte l’imagination.
— Un Robin des Bois en quelque sorte ?
— Si vous voulez. Mais Robin des Bois était un romantique. Il n’est plus imaginable à notre époque. On ne voit pas Robin des Bois monter sur les hauteur de Lausanne pour prêcher la révolte. Il aurait tous les colonels derrière lui…
— Est-ce que vous lisez beaucoup ?
— Moins que dans ma jeunesse. Je me contente de mémoires, de livres documentaires et de romans classiques. La littérature contemporaine est tellement décevante. Je préfère lire et relire Balzac et le théâtre de Shakespeare. Il y a pourtant un auteur contemporain que j’admire par-dessus tout. C’est un Suisse d’ailleurs : Blaise Cendrars. Quel prodigieux conteur !
— Est-ce la première fois que vous venez en Suisse ?
— Dans cette partie-ci, oui. Votre pays me plaît énormément. Mais je fais une réserve pour le lac. Je n’y crois pas ! La brume me l’a constamment caché !
— Il faudra revenir.
— J’y compte bien. D’autant plus, conclut Henri Vernes, que Lausanne et Genève me paraissent tout à fait propres à servir de cadre à une nouvelle aventure de Bob Morane…

  

Rencontre avec Henri Vernes ( 12 MARS 2017 )


 Chez vous les méchants étaient de ‘’vrais’’ méchant.
C’était indispensable pour ce type d’histoire ! Plus ils sont méchants, plus les bons sont mis en en avant et deviennent valeureux.
Et ce Bob Morane, comment l’avez-vous imaginé ?
Par hasard ! Jean-Jacques Schellens, qui venait de créer Marabout Junior, a demandé à un de mes amis de lui écrire un personnage « à suivre » […] J’ai pris contact avec lui et nous nous sommes mis d’accord. Bob Morane est né ainsi. La première histoire s’appelle La Vallée infernale.
Puis vous enchaînez très vite…
Je n’ai pas eu le choix ! Alors que j’étais sur le bateau Colombie, direction l’Amazonie et les Antilles, je reçois un courrier de mon éditeur me pressant de finir le deuxième roman. Je l’ai fini en arrivant à la Martinique. Le troisième a été commencé à Haïti et en Colombie et je l’ai terminé sur le chemin du retour. En arrivant, je découvre que Bob Morane est sur toutes les lèvres. A partir de ce moment, j’ai écrit un album tous les deux mois. Je dois reconnaitre que c’est un cercle vicieux. Pour autant, je n’ai jamais rêvé de Bob Morane. 
 Comment faisiez-vous pour tenir ce rythme infernal ?
Je suis capable d’écrire partout et j’ai la chance de pouvoir écrire comme je respire. C’est sûrement né de ma longue pratique du journalisme. Il m’est arrivé d’écrire trente pages en une nuit. Sinon, en moyenne, je les écrivais en quelques jours.
Avec ce personnage, vous virez vite au fantastique. Pour quelles raisons ?
Quand on a écrit deux cent cinquante romans, on risque de se répéter. Au départ, j’étais dans la jungle, les trésors, la veuve traquée et les orphelines dans l’embarras. En restant dans ce même créneau, je dois avouer que j’ai vite tiré la langue pour trouver de nouvelles idées. Grand amateur de science-fiction, de fantastique et de séries noires, je suis naturellement allé dans ces nouvelles directions pour mes histoires.


Henri Vernes : « Que quelqu’un reprenne Bob Morane ? Je n’en ai rien à foutre ! »


Dans quelles circonstances avez-vous créé Bob Morane en 1953 ?
L’éditeur de Marabout, Jean-Jacques Schellens, voulait faire une série de romans pour jeunes avec un personnage récurrent. On m’a demandé de le faire. J’en ai fait un premier, et plus de 200 autres depuis.
Le concept de l’aventurier s’est imposé comment ?
On lui a trouvé un nom, on lui donné un physique. Et au cours des romans, il s’est un peu précisé physiquement et moralement, un petit peu au hasard, comme nous tous, nous grandissons un peu au hasard aussi.
D’où vient le nom, du constructeur d’avions ?
Non. Cela vient du nom que prend un guerrier Masaï quand il a tué son premier lion. Il devient alors un « Morane ». J’avais aussi une connaissance qui était un peintre du dimanche et qui signait Morane. Le prénom de « Robert » vient de ce que son diminutif était « Bob », un prénom qui faisait bien en ce temps-là. Aucun lien avec les avions, mais le hasard fait bien les choses.
Quand Bob Morane est devenu un phénomène de société ?
Ça l’a été à une époque. Ses aventures ont appris à lire à beaucoup de gens. À une époque quand on disait Marabout, on pensait Bob Morane, et l’inverse. 
Est-ce que, selon vous, Bob Morane est daté aujourd’hui, un peu comme 0SS 117 ?
Dans le cas de 0SS 117, oui, car cet organisme ne s’appelle plus OSS 117 qui était le nom des services secrets américains pendant la Seconde Guerre mondiale. Aujourd’hui, c’est la CIA. Donc là, il est daté. Tandis que Bob Morane n’est pas daté, même si certaines de ses aventures le sont car elles se passent à une époque qui n’existe plus. Depuis cinquante ans, beaucoup de choses ont changé. Je n’ai jamais vraiment arrêté d’en écrire. Je n’ai jamais été en panne d’inspiration : il se passe tellement de choses. Et puis, j’avoue, je me répète de temps en temps aussi…
Vous faites la joie des collectionneurs.
Oui, il y en a qui stockent, qui revendent le livre plus cher une fois épuisé. Je connais le truc ! je viens de voir une édition anglaise de Bob Morane qui cote 50 euros. Je n’ai pas de droits d’auteur là-dessus !
Vous avez fait avec vos personnages des scénarios inédits pour la bande dessinée. Qu’est-ce qui vous a amené à la BD ?
C’est Femmes d’Aujourd’hui, un hebdomadaire féminin, qui m’a demandé d’en faire. J’ai dit : Pourquoi pas ? Et j’en ai fait, c’est tout.
Il y en a près de 60, quand même.
Oui. Le premier écueil a été d’incarner Bob Morane. Il y avait Pierre Joubert qui dessinait mes couvertures. Dino Attanasio a été le premier à en faire des bandes dessinées, puis William Vance, Gérald Forton, Coria… Chacun l’a un peu interprété à sa manière. Cela ne me dérange pas : les James Bond sont aussi interprétés différemment selon l’acteur qui l’incarne.
On a posé la question pour Tintin ou pour Astérix, est-ce que vous voyez après vous quelqu’un reprendre la destinée du personnage ?

Je n’en ai rien à foutre !



Charles-Henri Dewisme dit Henri Vernes est un romancier belge d'expression française né le 16 octobre 1918 à Ath.

Créateur du personnage de Bob Morane en 1953, Henri Vernes est l'auteur de 230 romans d'aventures, souvent mêlés de science-fiction, se déroulant dans le monde entier, voire dans des univers parallèles (cycle d'Ananké) ou encore dans les arcanes de l'espace-temps (le Cycle du Temps). (...)

En 2011, Henri Vernes fait don de ses archives aux Archives de l'État à Tournai, dont plusieurs éditions en langues étrangères de Bob Morane, des manuscrits, etc. (...)

 Henri Vernes a aussi écrit d'autres romans et de nombreux articles en tant que journaliste sous divers pseudonymes, comme Jacques Colombo (la série pour adultes DON, entre SAS et San-Antonio), Cal W. Bogar, Gaston Bogard, Robert Davids, Duchess Holiday, C. Reynes, Jacques Seyr, Lew Shannon, Ray Stevens, ainsi que sous son véritable nom.

En 2012, il publie son autobiographie, Mémoires, aux éditions Jourdan.



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