lundi 10 juin 2019

Diogène de Sinope , également appelé Diogène le Cynique ( 404 av. J.-C. 323 av. J.-C )


Un jour, le navire qui le portait étant tombé aux mains de corsaires, il fut fait prisonnier et vendu sur un marché aux esclaves.

Comme les acheteurs potentiels s'enquéraient auprès de lui de ce qu'il savait faire, il répondit fièrement:  

«Commander! Qui veut acheter un maître?»

Cette réponse plut à un certain Xéniade, riche notable de Corinthe qui l'acheta et le donna comme précepteur à ses enfants, avant de lui rendre la liberté.

Cléomène raconte que lorsque ses amis voulurent le racheter, Diogène les traita de sots et leur dit : «Les lions ne sont pas esclaves de ceux qui les nourrissent, leurs esclaves ce sont ceux qui les entretiennent; un esclave a peur, la bête sauvage fait peur !»


Il est le plus célèbre des disciples d'Antisthène le fondateur de l'École cynique lui-même élève de Gorgias et disciple de Socrate.

On connaît peu de choses de sa vie, de ses écrits, de son enseignement véritable. Mais la légende s'est emparée de ce charismatique clochard philosophe, à la destinée et aux idées peu banales, et on lui attribue mille exploits et mille propos vrais ou inventés. La source la plus sérieuse venue jusqu'à nous se trouve dans le monumental ouvrage : Vies et doctrines des philosophes illustres de Diogène Laërce (IIIe siècle).


On prétend, qu'ayant consulté l'oracle d'Apollon pour obtenir un conseil sur sa carrière future il obtint cette réponse surprenante : «Falsifier la monnaie». Diogène suivit ce conseil à la lettre. Voilà notre jeune ambitieux entraînant Hicécias, son propre père, changeur de son état, dans la fabrication de fausse monnaie, entreprise hasardeuse où leur maladresse les obligea à fuir Sinope pour trouver refuge en Attique.

À ceux qui lui reprochaient son exil, il répliquait : «C'est grâce à cet exil, que je me suis mis à philosopher !». Quand, une autre fois, quelqu'un lui dit : «Ce n'est pas pour rien que les gens de Sinope t'ont condamné à l'exil» il rétorqua : «Eh bien moi, je les ai assignés à résidence !»

Si cette mésaventure contraignit notre futur philosophe à l'état de vagabond, elle eut l'avantage de le rendre plus modeste dans ses ambitions, moins crédule et plus circonspect dans ses croyances.

Peu de temps après son arrivée dans la capitale, se reposant dans une grange, Diogène surprit le secret de la vie en observant le comportement d'une vulgaire souris grise. Il constata que l'animal allait et venait en toute liberté mangeant ce qu'il trouvait sur son chemin, dormant n'importe où et n'importe quand, selon sa nature et son bon plaisir. Voilà donc, se dit-il, comment il pourrait lui aussi demeurer libre et se suffire à lui-même, sans adhérer aux conventions de la civilisation ou se soumettre aux volontés des puissants.

A Athènes, où Diogène vécut de petits boulots et d'expédients, il souhaita devenir l'élève d'Antisthène dont l'enseignement atypique aux Cynosarges,- chiens agiles - un gymnase relégué en banlieue, réservé aux bâtards et aux étrangers, lui plaisait. Ce fut le berceau de l'École de philosophie dite "Cynique".

Mais le philosophe ne voulut pas avoir comme disciple un tel clochard, voyou débraillé toujours ergotant et contredisant son maître. Pour s'en débarrasser, il le chassait à coups de bâton.

Un jour, Diogène lui présenta délibérément son crâne et lui dit : «Frappe, si tu veux, mais tu ne trouveras pas de bois assez dur pour m'empêcher de t'écouter, car il est clair que tu as quelque chose à m'apprendre !»

Bravant les insultes et les menaces, têtu comme une mule, Diogène revenait inlassablement assister aux cours du philosophe. Finalement vaincu par sa persévérance, Antisthène le toléra auprès de lui avant d'en apprécier l'intelligence et de devenir son ami.

A la fin de sa vie (365 av. J.-C.), Antisthène ayant contracté une maladie douloureuse, Diogène lui tendit un poignard pour lui permettre d'en finir en philosophe. Mais Antisthène refusa l'arme disant qu'il ne cherchait pas à se délivrer de la vie mais seulement des souffrances que la maladie lui infligeait.

Vivant tel un gueux, Diogène fut le premier à plier son manteau avec soin car il s'en enveloppait pour dormir. Il lança également la mode du port de la besace qui lui permettait d'emporter sa nourriture et tous ses effets personnels où qu'il aille s'installer pour manger, discourir ou passer la nuit.

Squattant un bel emplacement entre le Portique de Zeus et le Pompéion, il affirmait à ceux qui lui reprochaient cette «intrusion» que les Athéniens avaient édifié ces monuments à son intention pour qu'il y résidât.

Un ami lui ayant promis un modeste logement pour passer l'hiver, l'offre tardant à se réaliser, il élut domicile près du temple de Cybèle, non loin de l'agora, dans le célèbre "tonneau" qui était en réalité une vaste jarre à grains.

Son extrême indigence n'empêchait pas notre philosophe d'exercer sa verve la plus caustique voire arrogante envers autrui. Il traitait volontiers Euclide et son école de "mathématiciens atrabilaires". Suivre les cours de Platon était considéré comme une "perte de temps". Quant aux Mystères sacrés en l'honneur de Dionysos, il les appelait avec irrévérence «spectacles pour démagogues cinglés et valets de la populace !»

Il proclamait aussi, à qui voulait l'entendre, qu'à s'entretenir avec des médecins, des navigateurs ou des philosophes de talent il voyait en l'homme le plus intelligent des êtres vivants, mais que la fréquentation des devins, voyants, oniromanciens ou de ceux qui les écoutent, lui montrait le genre humain sous l'aspect le plus stupide ! Il méprisait aussi les gens infatués de leurs richesses, affirmant que pour survivre sur cette terre, il suffit d'avoir un peu de jugeotte et de posséder une corde, pour en sortir avec dignité.

Diogène aimait bien titiller les philosophes arrivés et ne manquait aucune occasion de s'en prendre à Platon qu'il considérait comme un incorrigible bavard. Un jour il lui demanda du vin et des figues, Platon grand seigneur, lui fit envoyer un grand vase d'un excellent vin, mais distrait, il oublia les figues. Diogène ne le rata pas :

«Tu ne donnes pas ce qu'on te demande pas plus que tu n'écoutes la question qu'on te pose !»

Platon, voyant un matin Diogène manger des figues sèches, s'approcha de lui. - Sers-toi, si tu veux en goûter ! Comme il n'en restait qu'une poignée, le philosophe les mangea. Et le gueux de protester : - Je t'avais proposé de les goûter pas de t'en goinfrer !

Un autre jour, suivant Platon sur l'agora, il bondit sur son ombre et s'écria : - Je marche sur l'orgueil de Platon ! Celui-ci lui aurait répondu du tac au tac : - Certes, Diogène, mais avec un orgueil bien plus grand !

Diogène se mit à voyager à travers tout le monde antique, enseignant sur les places publiques, vitupérant les riches, se moquant des sots, surprenant tout le monde par ses formules à l'emporte-pièce. On le signale à Corinthe, à Thèbes, à Milet, à Sparte, à Ephèse, à Syracuse.

Sa vie vagabonde, sa conduite peu recommandable et ses propos singuliers lui valurent une renommée de marginal un peu fou, aux idées sulfureuses.

Un jour, le navire qui le portait étant tombé aux mains de corsaires, il fut fait prisonnier et vendu sur un marché aux esclaves.

Comme les acheteurs potentiels s'enquéraient auprès de lui de ce qu'il savait faire, il répondit fièrement:  «Commander! Qui veut acheter un maître?»

Cette réponse plut à un certain Xéniade, riche notable de Corinthe qui l'acheta et le donna comme précepteur à ses enfants, avant de lui rendre la liberté.

Cléomène raconte que lorsque ses amis voulurent le racheter, Diogène les traita de sots et leur dit : «Les lions ne sont pas esclaves de ceux qui les nourrissent, leurs esclaves ce sont ceux qui les entretiennent; un esclave a peur, la bête sauvage fait peur !»

Sa vie erratique, ses propos surprenants et son étonnante philosophie nous sont connus par des anecdotes.

Ce "Socrate en délire", comme l'appelle Platon, marche pieds nus en toute saison, dort sous les portiques des temples et a pour demeure habituelle un tonneau (en fait une jarre à grains, car le tonneau n'existait pas encore!).

Il aperçoit un jour un enfant buvant dans le creux de sa main, à une fontaine :  «Cet enfant m'apprend, s'écrie-t-il, que je conserve encore du superflu», et aussitôt il brise son écuelle.

Assistant à une leçon de Zénon d'Élée, qui niait le mouvement, il se lève et pour lui répondre, se met à gambader.

Diogène professe un profond dédain pour le genre humain.

Ainsi, Socrate le rencontrant un jour dans une rue d'Athènes, vers midi, une lanterne allumée à la main, marchant dans la foule sous un soleil éblouissant, lui demande : «Que cherches-tu, Diogène, avec ta lanterne, en plein jour ?» «Un homme, répondit-il, un homme véritable, qui ait de la superbe !»

Un matin, Platon le surprend en train de laver des laitues ; il s'en approche et lui murmure discrètement : «Si tu avais cultivé Denys (le tyran de Syracuse) , tu n'en serais pas à laver des laitues !», et Diogène de reprendre sur un ton tout aussi serein : «Toi, si tu avais lavé des laitues, tu n'aurais pas eu à cultiver Denys!.»...

À un passant qui lui dit : - Bien des gens se moquent de toi, pauvre Diogène.  «Et probablement, répondit-il en souriant, les ânes en font autant vis-à-vis d'eux, et comme ils ne prêtent aucune attention aux ânes, j'en fais autant pour eux.»

Socrate s'approche de lui, observe sa tunique trouée et lui dit : «Je ne vois rien que de la vanité dans les trous de ton manteau.» Diogène crache au visage de Socrate qui s'essuie furtivement passant son chemin...

Diogène qui n'admirait ni ne respectait Socrate, dit de lui : «Socrate mène une vie de mollesse : il s'enferme au chaud dans une maisonnette confortable, avec une femme aux petits soins, un lit douillet et d'élégantes pantoufles...»

Voyant un Africain manger du pain blanc, Diogène s'écrie : «Voilà que la nuit étouffe le jour!»

Croisant un bossu, il lui dit : «Mon pauvre ami, je vois que pareil à l'escargot tu portes ta maison sur ton dos.»

La vertu, selon Diogène, est le souverain bien.

«La science, les honneurs, les richesses sont de fausses richesses qu'il faut mépriser.»

«Les savants étudient le soleil, la lune et les étoiles sans s'interroger sur ce qu'ils ont sous leurs pieds.»

Dénonçant partout et toujours les conventions sociales et leur opposant la nature, le principe de sa philosophie était :

«L'homme doit vivre sobrement, s'affranchir du désir, réduire ses besoins au strict minimum.»

Sa philosophie comme sa vie ne nous sont connues qu'à travers les anecdotes rapportées par ses contemporains.

On prétend que Praxitèle le prit un jour pour modèle car il était seul à pouvoir rester debout, sans bouger, durant des heures.

Voyant l'admirable sculpture qu'il avait inspirée, Diogène se moqua de l'artiste disant qu'il avait fait de lui une Femme !

Pieds nus, été comme hiver, vêtu de haillons, portant à l'épaule sa besace contenant toutes ses richesses, mangeant n'importe quoi, à n'importe quelle heure, en n'importe quel lieu, il dormait n'importe où, mais de préférence dans sa fameuse jarre à grain.

«Ce qui t'est indispensable coûte peu, c'est le superflu qui vaut la peau des fesses !» disait-il à qui se plaignait de manquer d'argent.


Diogène Laërce dit que Diogène le cynique «s'étonnait de voir les orateurs mettre tout leur zèle à parler de la justice, mais ne point la pratiquer, et encore les philosophes blâmer l'argent, mais le chérir par-dessus tout. Il condamnait aussi les gens qui louent les justes de ce qu'ils sont au-dessus des richesses, mais qui envient les gens fortunés.

II était hors de lui quand des gens sacrifiaient aux dieux pour leur santé et, au cours même du sacrifice, bâfraient au détriment de cette même santé. Il admirait en revanche les esclaves qui, bien qu'ils vissent leurs maîtres gâcher de la nourriture, ne volaient rien de ce que ceux-ci laissaient perdre. Il louait les gens qui, sur le point de se marier, ne se mariaient point; qui, sur le point d'entreprendre un voyage, y renonçaient; qui, sur le point de s'occuper de politique, s'en détournaient; ou de procréer des enfants n'en faisaient pas; il louait également ceux qui s'apprêtaient à vivre dans la compagnie des princes et qui ne s'en approchaient point.»

Diogène endurcissait son caractère en se vautrant au cœur de l'été dans le sable brûlant des plages, en se roulant dans des taillis de ronces ou des champs d'orties. En hiver, il se frictionnait le corps avec des glaçons et enlaçait les statues de marbre recouvertes de neige.

«La richesse c'est la vomissure de la fortune», proclamait-il à qui voulait l'entendre.

Pourtant les riches aimaient bien étaler leurs richesses devant Diogène espérant surprendre une lueur d'envie dans son regard de gueux.

Un jour, un parvenu lui faisant visiter sa maison luxueuse, aux sols revêtus d'un marbre étincelant de blancheur, lui recommanda de ne pas cracher par terre. La visite achevée, le philosophe lui cracha au visage, s'excusant en précisant que c'était le seul endroit sale de sa magnifique demeure !

Comme Ésope, deux siècles avant lui, moquant un lutteur prétentieux en lui demandant ce qu'il gagnait à se battre contre plus faible que lui, Diogène humilia un athlète lauréat des Jeux Olympiques qui se vantait d'être le coureur le plus rapide de la Grèce, lui jetant ces mots dédaigneux :

«Moins prompt qu'un lapin ou un cerf que l'on dit les plus rapides des animaux, tu dois faire partie comme eux des plus couards!»
Entendant à Olympie la proclamation du héraut : «Dioxippe est vainqueur des hommes», Diogène répliqua : «Pardon ! Il n'a vaincu que des esclaves, moi j'ai vaincu des hommes.»

Apercevant un jour devant le temple de Zeus une femme en prière, prosternée dans une posture inconvenante, Diogène s'approcha d'elle et lui dit doucement : «Ne crains-tu pas ma fille que le dieu que tu pries ne profite de la situation et ne vienne sans scrupules t'embrocher par derrière, puisqu'il est tout puissant ?»

Mécréant il n'estimait pas que ce fût un crime d'emporter les ornements d'un temple pour subsister, ou de manger la chair d'un animal considéré comme impur si l'on avait faim. Il ne trouvait même pas tellement odieux le fait de manger de la chair humaine, comme le font des peuples barbares, disant qu'«en saine raison nécessité fait loi et que tout est dans tout et partout.»

Tout appartient aux dieux;
Or, les dieux sont amis des sages;
Par ailleurs les biens des amis sont communs;
Donc tout appartient aux sages.

Diogène Laërce rapporte qu'un jour, au marché, Diogène se masturbait en disant : «Ah! Si seulement il suffisait de se frotter le ventre pour ne plus avoir faim !»

Au fils d'une prostituée qui jetait des pierres sur la foule rassemblée sur une place, il conseille : «Prends garde de ne pas blesser ton père».

Voyant passer une femme allongée sur une riche litière portée par quatre esclaves nubiens, il s'écrie : «Ce n'est pas là la cage qui convient à une telle bête!»

Diogène qualifiait les jolies courtisanes d'«hydromel empoisonné», affirmant qu'elles étaient les véritables souveraines des rois car elles obtiennent d'eux tout ce qu'elles exigent.

Diogène préconise que les femmes appartiennent à tous, que les enfants soient un bien commun de la société, que chacun prenne son plaisir avec qui il veut, sans se soucier des convenances ou du préjugé de l'inceste.

A Athènes, on appelait Diogène "Diogène-le-chien" car il léchait le visage de ceux qui lui offraient à manger, aboyait contre ceux qui ne lui donnaient rien et mordait ceux qui l'insultaient.

Au cours d'un banquet, des convives éméchés lancèrent à Diogène des os comme à un chien. En guise de réponse, il se contenta d'aller pisser sur eux, levant la jambe, comme un toutou...

À des jeunes gens excités qui le provoquaient disant : «Attention qu'il ne nous morde pas !» il rétorquait : «Soyez sans crainte, les enfants ! Un chien ne mange pas de bettes.» (Les bettes signifiaient les efféminés).

Un vieux grigou avait placardé cette inscription sur sa maison : «Que rien de mauvais n'entre ici!» «Mais le propriétaire de la maison, demanda Diogène, par où donc entrera-t-il ?»

Comme il avait une réponse originale à tout, chacun en profitait pour lui poser les questions les plus saugrenues. Ainsi, à un marchand de vin qui lui demandait quel vin il préférait, Diogène répondit : «Celui des autres, le tien par exemple !»

A ceux qui lui disaient : «Tu es vieux, repose-toi», Diogène répliquait : «Pourquoi donc ? Si, au stade, je courais le marathon, devrais-je me reposer tout près du but plutôt que de bander davantage mes muscles pour achever la course ?»

A un philosophe qui affirmait que «Vivre est un mal», Diogène rétorqua: «Non, c'est mal vivre qui est mal !»

Quelqu'un demanda à Diogène à quelle heure il prenait ses repas. Le philosophe répondit  : «Quand on est riche on mange quand on veut. Quand on est pauvre, quand on peut.»

Comme on lui demandait si les sages mangeaient des gâteaux, il répondit : «Pourquoi ne mangeraient-ils pas de tout comme tout le monde ?»

Voyant dans les rues de Mégare, en plein hiver, des béliers portant une pélisse de cuir pour protéger leur toison et des enfants jouer tout nus, il en conclut que, «dans cette cité, il valait mieux être un mouton qu'un enfant».

Un jour, dans la rue, il croisa un homme portant une longue poutre qui le heurta de plein fouet. L'ouvrier lui cria "Attention", mais un peu tard. Diogène lui demanda alors posément, sans se fâcher, s'il avait l'intention de le frapper une seconde fois.

Entendant un beau garçon parler de façon grossière, il lui dit : «Ne rougis-tu pas de tirer d'un fourreau d'ivoire un couteau de vil plomb ?»

Il appelait les démagogues «valets de la populace» et les pierres précieuses ornant les couronnes des princes et des rois «les bubons de la gloire».

Comme un philosophe qui venait de se faire gifler par un élève mécontent lui demandait que faire dans un pareil cas, il lui répondit : «Enseigner la sagesse c'est faire la guerre aux sots, alors mets un casque quand tu pérores !»

Quand on lui reprochait de fréquenter les maisons closes, il disait : «Le soleil va bien dans les latrines, et pourtant il ne s'y souille pas!»

Quelqu'un lui dit: «Tu ne sais rien, tu ne fais rien et tu te dis philosophe.» «Mais, rétorqua-t-il aimablement, simuler la sagesse, c'est encore faire de la philosophie !»

Un homme lui amena un jour son enfant, et le présenta comme très intelligent et d'excellentes mœurs. «Il n'a donc pas besoin de moi, répondit-il.»

Il dit encore à un jeune homme qui méprisait son père : «N'as-tu pas honte de mépriser celui grâce à qui tu as le pouvoir de mépriser ?»

On lui reprocha un jour d'aller boire au cabaret : «Je vais bien chez le barbier pour me faire tondre», dit-il.

Quand il a vraiment trop faim et plus rien à se mettre sous la dent notre philosophe n'éprouve pas la moindre honte à tendre la main, à vitupérer les pingres, proclamant «Tout est à tout le monde.» Il prétend que celui qui lui fait l'aumône, ne fait que lui rendre un peu de ce qui lui appartient. Pour obtenir à manger, Diogène ne s'abaisse devant personne, houspillant les passants de sa gouaille.

«Eh toi, le gros cochon qui détournes le regard, tu m'entends ? Oui, toi, la honteuse, qui bouffes ton gâteau en douce, vas-tu me donner quelques miettes pour que je mange ? Au lieu de t'empiffrer et d'enfler ta barrique, nourris-moi avant de crever comme une baudruche ! Tu entends ?» L'autre passe son chemin, accélérant son pas, sans tourner la tête.

Lorsque Diogène reconnaît dans la foule un avare qui souvent lui a promis quelques pièces, toujours pour le lendemain, il l'apostrophe : «Hé, mon ami, c'est pour ma pitance que je veux tes sous, pas pour ma sépulture ! Si tu attends trop longtemps, tes pièces serviront à m'enterrer !»

Quelques passants rient. Rares sont ceux qui donnent. Les heures passent. Les plus généreux jettent à Diogène un bout de pain ou quelques olives. Il reste souvent seul avec sa faim, la main tendue et son bouquet d'invectives aux lèvres.

Un jour, il demandait l'aumône à une statue. Comme on l'interrogeait sur la raison qui le poussait à agir ainsi : «Je m'exerce, dit-il, à essuyer des échecs».

Demandant l'aumône à un passant, il lui dit : «Si tu as déjà donné à quelqu'un, donne-moi également ton obole. Si tu n'as encore rien donné à personne, commence par moi».

Comme on lui demandait pourquoi les gens faisaient l'aumône aux mendiants et non aux philosophes, il répondit : «Parce qu'ils craignent de devenir un jour boiteux et aveugles, mais ne craignent pas de devenir philosophe».

Afin d'inculquer à ses élèves le ton juste, Diogène procédait comme les maîtres de musique qui chantent sur un ton trop haut pour que les choristes parviennent à trouver le ton juste.

La franchise est pour lui ce qu'il y a de plus beau au monde. Et lorsqu'il fait œuvre de démesure c'est toujours pour nous faire prendre conscience de notre absence de mesure, affirme son ami Philocrate.

Diogène se moquait des sophistes, ridiculisait la pédanterie et les syllogismes, en se dandinant devant ceux qui niaient le mouvement, frappant de la pointe d'un bambou le front de ceux qui prétendaient qu'une flèche ne pouvait atteindre son but...

Observant un archer qui manquait son but à chaque flèche, il alla posément s'asseoir auprès de la cible, affirmant que ce serait certainement là qu'il serait le plus en sécurité.

Un jeune garçon voulant devenir son disciple, Diogène lui demanda d'abord de le suivre en portant un hareng attaché au bout d'une ficelle. Sous les quolibets des badauds, l'apprenti philosophe eut honte, jeta le hareng et s'enfuit. «Un hareng a suffi pour rompre notre amitié», constata Diogène.

Parlant un jour devant un auditoire clairsemé et inattentif, Diogène se mit soudain à gazouiller, à siffler et à croasser bruyamment, entrecoupant ses vocalises de borborygmes inattendus. Une foule énorme se rassembla très vite autour de lui, écoutant son récital en silence et avec attention.

Le philosophe injuria alors les badauds, leur reprochant de se moquer des choses sérieuses et d'accourir pour écouter des sottises.

Certains propos de Diogène laissaient ses auditeurs perplexes.

Ainsi, un jour qu'il sortait du bain public, quelqu'un lui demanda s'il y avait beaucoup d'hommes qui se baignaient; il répondit que non. Mais quand on lui demanda s'il y avait foule, il répondit que oui.

Ou encore, en réponse à un marchand de melons qui lui demandait combien faisaient deux et deux, il lui répondit : «Ça dépend ! Ça dépend  comment tu places tes chiffres. Côte à côte ça fait 22 !»

Platon ayant un jour décrit l'homme comme "un animal à deux pieds et sans plumes", Diogène se moquait volontiers de ce philosophe en exhibant un coq nu, débarrassé de ses plumes et proclamait : «Voici l'homme de Platon !»

A Corinthe, Alexandre-le-Grand à qui l'on présentait le célèbre clochard-philosophe, lui dit : "Demande-moi ce que tu veux, je te le donnerai". Diogène lui répondit du tac au tac: «Ôte-toi de mon soleil».

Comme le Macédonien lui disait : - N'as-tu pas peur de moi ? Diogène répondit  «Qu'es-tu donc ? Un bien ou un mal ?» - Un bien, fit Alexandre. «Qui donc» reprit Diogène, pourrait craindre le bien ?»

Le même Alexandre avoua un jour : "Si je n'étais Alexandre, je voudrais être Diogène".

A un Athénien qui lui demandait pourquoi il n'était jamais sérieux et faisait toujours le pitre, il répondit en lui montrant son derrière : «Il est souvent plus sage de montrer son cul que de répondre à des questions idiotes!».

A un autre qui lui demandait quelle était sa patrie, il répondit fièrement : «Je suis un citoyen du monde !»

Diogène ne fut pas homme de compromis. Anarchiste dans l'âme mais vertueux à sa façon, chantre de la liberté et du libertinage, il est cohérent avec lui-même de même qu'entre ses actes et ses paroles. Il souhaite vivre dans la simplicité selon l'ordre naturel, prenant les animaux comme modèles plutôt que les propos des sophistes.

Au temps de sa jeunesse, Diogène avait vécu au jour le jour, comme un gueux, vagabondant de ville en ville, ses biens tenant dans sa besace, sans attaches familiales, sans patrie, sans jamais se fixer nulle part.

Il satisfaisait ses besoins en public, mangeait et buvait quand il pouvait, copulait de même lorsqu'il trouvait une compagne complaisante. Prêchant l'union libre et refusant toute valeur au mariage, il était partisan de la communauté des femmes et des enfants. Se proclamant «citoyen du monde», il se moquait de la richesse, de la noblesse et de la gloire.

Rien, absolument rien, disait Diogène, ne réussit dans la vie sans ascèse. Mais cette ascèse à la fois psychique et physique, permet à l'homme de triompher de tout ! L'une complète l'autre, car l'âme et le corps ont besoin de vigueur et de force pour s'épanouir en commun.

Pour preuve de ce qu'il avançait, Diogène donnait en exemple les artisans et les artistes dont l'habileté manuelle (physique) issue d'une longue pratique répétitive se conjuguait à l'idée (l'déal) pour créer leur chef d'œuvre.

Seul parmi ses contemporains, Diogène conformait ses actes à ses idées, mettant la liberté au-dessus de tout.

Aucun écrit ne subsiste de lui - sa philosophie est reconstituée par des fragments de textes cités par des auteurs contemporains ou ultérieurs.

Il s'étonnait de voir les musiciens accorder les cordes de leur lyre, mais de laisser désaccordées les dispositions de leur âmes; les mathématiciens fixer leurs regards sur le soleil et la lune, mais ne pas remarquer ce qui se passe à leur pieds ; les orateurs mettre tout leur zèle à parler de la justice, mais ne point la pratiquer; et encore les philosophes mépriser l'argent dans leurs péroraisons publiques, mais le chérir par dessus tout dans leur vie privée.

Diogène tenait pour seule vraie la constitution qui régit l'univers.

«N'aie qu'un ami : toi ! L'homme se suffit à lui-même».

«La vertu est le souverain bien ; la beauté son reflet».

«La science, les honneurs, les richesses sont de faux biens qu'il faut mépriser».

«Ne t'engage à rien, ne souscris à rien, ne t'encombre de rien, un homme libre n'a ni femme, ni maître, ni obligation, aucun de ces fardeaux qui pourrissent la vie et l'enlaidissent».

«Moque-toi des conventions sociales et oppose-leur la nature; affranchis-toi du désir, réduis tes besoins au minimum et tu seras le plus heureux des hommes !» tels étaient les bases de sa philosophie.

Son programme tenait en quelques mots : «Je m'efforce de faire dans ma vie le contraire de tout le monde». Il justifiait sa conduite en affirmant que les hommes s'imposent des efforts démesurés oubliant de vivre simplement et sainement selon la nature.

Pour Diogène la liberté de penser, la liberté intérieure et la liberté sociale forment un tout indissociable.

Un soir, dégustant un simple plat de lentilles, Diogène fut abordé par Aristippe, un illustre philosophe qui menait une brillante existence à la cour. Aristippe lui dit : "Si tu flattais le roi, à mon exemple, tu n'en serais pas à bouffer des lentilles". Diogène lui rétorqua du tac au tac : "Si tu te contentais de lentilles pour ton repas, tu n'aurais pas à lécher les pieds du roi avant de bouffer à sa table et d'entendre les fadaises de ses courtisans !".

Perdiccas, général macédonien l'ayant menacé de le faire tuer s'il ne se rendait pas immédiatement auprès de lui, il s'exclama : «Le bel exploit ! Un scorpion ou une tarentule pourrait en faire autant !»

Comme on lui demandait ce qu'il y avait de plus beau au monde, Diogène répondit : «Le franc-parler.»

Deux mille ans avant Nietzsche, Diogène «s'est employé à renverser tous les tabous et à déconstruire la société dans ses fondements»

Refusant la civilisation, le progrès, la compétition; dénonçant sans relâche la vanité et l'hypocrisie, il est l'apôtre de la simplicité, du courage et de la vertu naturelle et spontanée

«Nécoute pas les radoteurs qui te disent : "Ne fais pas ceci, ne fais pas cela»!" ou affirment : "Quand on est jeune il est trop tôt, quand on est vieux il est trop tard !" Fais ce qui te plaît, quand il te plaît, où il te plaît !»

«Un ami est une seule âme qui habite deux corps. Il faut tendre la main à ses amis sans replier les doigts.»

«Pour vivre heureux, dispose d'une raison droite ou d'une corde pour te pendre. Construis ta vie comme une œuvre d'art, forte, unique et parfaite. Érige en toi ta propre loi, à la fois inébranlable et vivante.»

«Les bêtes sauvages et libres sont plus heureuses que les hommes. L''homme qui n'est pourtant qu'une bête trahit sa nature profonde en se conformant aux opinions de la foule.»

«Homme, tu es le seul dieu assez puissant pour te rendre heureux. Sois à toi-même ton propre maître et ton esclave. Entraîne-toi à tout surmonter, c'est de la boue et de la souffrance que naissent les âmes fortes.»


Diogène vécut jusqu'à un âge avancé. Octogénaire, il mourut de vieillesse vers -323, le même jour qu'Alexandre-le-Grand. Certains prétendent qu'il s'éteignit d'avoir volontairement retenu son souffle, d'autres qu'il décéda après avoir avalé un poulpe vivant.

Avant de mourir Diogène demanda qu'on laissât son corps sans sépulture pour que les chiens puissent y choisir leur morceau et qu'au moins, si on tenait absolument à le mettre dans une fosse, on le recouvrît seulement d'un peu de poussière pour le laisser jouir de la rosée nocturne et de la splendeur des étoiles.

Corinthe lui fit des funérailles solennelles, Sinope lui éleva un monument.

Aucun commentaire:

Quelle est la différence entre un optimiste et un pessimiste ?

L'optimiste pense que l'on vit dans le meilleur des mondes possibles.
Le pessimiste pense que malheureusement c'est vrai.