lundi 8 avril 2019

« Transgresser les frontières : vers une herméneutique transformative de la gravitation quantique » par Alan Sokal

“Mais pourquoi l'ai-je donc fait ? Je reconnais que je suis clairement un vieux gauchiste qui n'a jamais vraiment compris comment la déconstruction était supposée aider les travailleurs. 

Et je suis un vieux scientifique indigeste qui croit, naïvement, qu'il existe un monde externe, qu'il y a des vérités objectives sur ce monde, et que mon travail est d'en découvrir quelques-unes.”

“Tout au long de cet article, j'utilise des concepts scientifiques et mathématiques d'une façon que peu de scientifiques ou mathématiciens prendraient au sérieux. Par exemple, je suggère que le “champ morphogénétique” - une idée nouvel âge curieuse due à Rupert Sheldrake - représente une théorie majeure de la gravité quantique. 

Cette relation est pure invention; même Sheldrake n'affirme rien de ce genre. J'affirme que les spéculations psychanalytiques de Lacan ont été confirmées par des travaux récents dans la théorie du champ quantique. Même des lecteurs non scientifiques auraient pu se demander ce que cette bon Dieu de théorie du champ quantique a à voir avec la psychanalyse; il est certain que mon article n'apportait aucun argument raisonné pour appuyer cette relation. 

En somme, j'ai écrit intentionnellement l'article de telle manière que tout physicien ou mathématicien compétent (ou un étudiant en physique ou en maths) se rendrait compte qu'il s'agissait d'une parodie. Il est clair que les éditeurs de Social Text n'ont pas été gênés de publier un article sur la physique quantique sans se préoccuper de consulter qui que ce soit de compétent dans le domaine.”


https://www.sceptiques.qc.ca/dictionnaire/sokal.html

L'affaire Sokal a pour origine la publication d'un article qui s'avéra ensuite être un canular par le physicien Alan Sokal dans la revue Social Text. L'expression fait référence à toutes les controverses qui en résultèrent.

Social Text est une revue d'études culturelles postmoderne, chef de file dans son domaine, publiée par l'université Duke. En 1996, Alan Sokal, professeur de physique à l'université de New York, soumet un texte pseudo-scientifique à la revue dans le cadre d'une expérience visant selon lui à « publier un article généreusement assaisonné de non-sens qui (a) sonne bien et (b) flatte les préconceptions idéologiques des éditeurs » et à voir si les éditeurs accepteraient l'article proposé.

L'article, intitulé « Transgresser les frontières : vers une herméneutique transformative de la gravitation quantique », est publié au milieu de 1996 dans le numéro intitulé « Science Wars » de Social Text sans avoir subi préalablement un processus d'examen par les pairs de l'auteur ni avoir été soumis à une quelconque critique externe. 

Le jour de sa publication, Sokal annonce dans le magazine Lingua Franca que l'article est un canular. Estimant que l'absurdité de son article était évidente, Sokal en conclut que la revue méconnaît les règles de la rigueur intellectuelle puisqu'elle « s'est permis de publier un article sur la physique quantique sans prendre la précaution de consulter un spécialiste du domaine. »

 Affirmant que la théorie quantique a des implications politiques progressistes, l'article indique que les concepts « New Age » du champ morphogénétique pourraient être une théorie de pointe en gravité quantique et conclut que puisque la réalité « physique (…) est à la base une construction sociale et linguistique », alors « une science libératrice » et « des mathématiques émancipatrices » devraient être développées afin d'abandonner « les canons de la caste d'élites de la science dure » au profit d' « une science postmoderne [qui] offre le puissant appui intellectuel au projet de politique progressiste ».

Cette argumentation parodie l'appropriation de la physique du xxe siècle par des penseurs postmodernes, et aussi l'amalgame qu'ils font entre certaines branches de la science (mécanique quantique) et de pseudo-science (champ morphogénétique). On trouve aussi quelques piques contre les vulgarisateurs scientifiques abusant de la présentation des curiosités les plus improbables d'une théorie (par exemple le trou de ver en relativité générale) au lieu de se concentrer sur les cas les plus utiles.

Même s'il s'éparpille dans des considérations sur de nombreux domaines, l'article a une ligne directrice, qui est de prétendre que les positions philosophiques peuvent être utilisées pour contester les théories scientifiques en place et servir à élaborer de nouvelles théories.

Sokal a introduit plusieurs « erreurs » volontaires dans l'article. Ainsi, les notes de bas de page (c'est un trait général de Sokal d'en user abondamment) contiennent des plaisanteries, comme celle-ci, en note 105 : « Tout comme les féministes de gauche qui se contentent généralement du pro-choix et d'un agenda minimal en matière d'égalité légale et sociale pour les femmes, les mathématiciens de gauche (et même quelques socialistes) se contentent souvent de travailler sous l'hégémonique cadre de pensée de la théorie de Zermelo Fraenkel Skolem qui, reflétant ses origines libérales du xixe siècle, incorpore l'axiome d'égalité qui est complété par l'axiome du choix »
.
L'auteur prétend dans cette note mettre en rapport des positions politiques et des axiomes mathématiques uniquement en abusant d'une homonymie, la théorie de Zermelo Fraenkel Skolem étant connue sous le nom de « théorie des classes ». C'est une manière de pousser le plus loin possible les appropriations abusives de concepts mathématiques telles que Sokal et Jean Bricmont les dénonceront plus tard dans Impostures intellectuelles.

D'autres erreurs dans les notes de bas de page sont plus subtiles. Par exemple, Sokal affirme que la théorie des nombres a été développée parce que les militaires en avaient besoin pour leurs applications à la cryptographie (ce qui est faux puisque la théorie des nombres comprend des résultats d'Euclide) en s'appuyant sur un livre qui dit le contraire (les abus de ce genre sont expliqués dans Impostures intellectuelles). 

En général, l'article utilise souvent un faux argument d'autorité consistant à donner une référence dont l'auteur est assez respectable pour éviter la critique (alors que justement la référence donnée ne confirme pas ce qu'il avance).

 Pour Sokal, la revue a publié plusieurs articles, non sur la base de leur correction ou de leur contenu, mais simplement sur le nom de leur auteur et sur la forme du discours. « Mon but n'est pas de défendre la science des hordes de barbares de la littérature critique (nous allons bien survivre, merci), mais de protéger la gauche d'une mode. Il y a, par centaines, des enjeux politiques et économiques importants concernant les sciences et les technologies et la sociologie des sciences, quand elle est de qualité, a accompli un gros travail de conceptualisation pour clarifier ces enjeux, tandis qu'une sociologie bâclée, comme toute science bâclée, est inutile et même contre-productive. »

 Evans M. Harrell II, professeur au Georgia Institute of Technology, décrit l'article de Sokal comme « un pastiche de chantre de gauche truffé de références laudatives, de citations grandioses et de non-sens flagrants centré sur l'affirmation que la réalité physique est simplement une construction sociale ».

 L'affaire Sokal est un événement marquant de l'histoire de l'épistémologie. Elle est parfois considérée comme une illustration du refus du relativisme par les scientifiques des sciences dites dures.

En général, la réponse des partisans des courants de pensée attaqués a été de dire que loin de démonter les courants de pensée qu'il attaque, Sokal ne fait qu'illustrer l'incompréhension du monde scientifique envers ces courants, incompréhension qu'ils estiment dommageable. 

Cette ligne de défense (ainsi que d'autres) a cependant été sévèrement critiquée par Jacques Bouveresse dans Prodiges et vertiges de l'analogie. Stephen Hilgartner, de l'université Cornell, considère que l'affaire Sokal a été mal interprétée et, en la considérant dans son contexte, elle montre en quoi les études par les sciences humaines et sociales de la science sont nécessaires.

Une réponse particulièrement influente à cette affaire fut l'Espoir de Pandore de Bruno Latour, qui revient sur l'accusation de constructivisme social dont se voient taxées la sociologie des sciences et les science studies.

Entre 2017 et 2018, trois chercheurs américains ont employé une méthode similaire à celle de Sokal afin de dénoncer une corruption éthique et morale qui existerait selon eux dans le champs des sciences sociales. En raison du grand nombre d'études rédigées et acceptées, cette expérience a été surnommée « canular Sokal au carré » par les médias.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Affaire_Sokal


La méprise et le mépris par Jean-Marc Lévy-Leblon :

http://www.tribunes.com/tribune/alliage/35-36/01lvy-l.htm 


Impostures intellectuelles par Alan Sokal et Jean Bricmont :

http://e.guigon.free.fr/rsc/book/SokalBricmont97.pdf



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