mardi 30 avril 2019

" Jusqu’à Raqua " par André Hébert

Sous le pseudonyme de André Hébert, un jeune révolutionnaire français parti en 2015 combattre aux côtés des kurdes, au sein des YPG (les « Unités de Défense du Peuple »), publie aujourd’hui son journal de guerre, Jusqu’à Raqua.


André Hébert est le pseudonyme d’un jeune Français parti combattre durant quinze mois l’État islamique aux côtés des Kurdes de Syrie. Dans Jusqu’à Raqqa, lieu de la dernière bataille menée avec ses camarades du YPG, « les Unités de Défense du Peuple », dans la capitale des djihadistes, il livre le premier témoignage, essentiel, sur ce conflit. À la lecture de ce journal de guerre, on plonge dans la vie quotidienne, âpre, de ceux qui mènent la lutte contre Daech et dans la férocité des combats qui les opposent. Mais Jusqu’à Raqqa est aussi un manifeste politique. Celui de ce militant internationaliste qui choisit en 2015 de risquer sa vie pour ses idées : « Je m’exprime en tant qu’activiste révolutionnaire, internationaliste, marxiste, soutenant la cause kurde. »
Ils sont 700 volontaires venus du monde entier – dont une trentaine de Français – à vouloir reproduire au Kurdistan syrien le combat des Brigades internationales en Espagne et c’est aussi à eux qu’André Hébert veut rendre hommage. Une poignée de soldats au milieu d’une armée composée de Kurdes, d’Arabes, de Kurdes yézidis et de Turcs. Beaucoup meurent dans une guerre où les voitures piégées, les kamikazes, les mines artisanales font autant de ravages que les armes classiques.
Après avoir été brièvement emprisonné à Erbil, au Kurdistan irakien, ce sont les policiers de la DGSI qui le cueillent à son domicile parisien alors qu’il va repartir en Syrie participer à l’hallali contre Daech. Déterminé, André Hébert poursuit en justice l’État français et parvient à rejoindre une deuxième fois la zone des combats. Jusqu’à Raqqa. Dans ses ruines, il participe aux derniers et furieux affrontements contre des djihadistes qui n’ont plus rien à perdre et vont faire payer chèrement leur défaite.
Pourquoi avoir écrit ce livre ?
André Hébert : C’est d’abord pour rendre hommage à mes camarades tués par Daech et l’armée turque. Ensuite, pour promouvoir le modèle du Rojava démocratique, socialiste et féministe pour lequel nous nous sommes battus. Je trouvais aussi intéressant d’expliquer d’un point de vue personnel les mécanismes qui m’ont poussé à partir en Syrie, parce qu’il est difficile de comprendre cette démarche, qui peut paraître complètement folle au premier abord. En ce moment, le Rojava est à nouveau menacé d’extermination par l’armée turque, je voudrais aussi que les gens prennent conscience que les Kurdes et leurs alliés nous ont rendu un grand service et qu’on a une dette envers eux. (...)
À la fin de la bataille de Raqqa, vous avez rejoint une unité composée de Yézidis. Pourquoi ?

J’ai combattu au sein d'une unité de Kurdes yézidis et ce fut un honneur. Ce peuple a été victime de très nombreux génocides dans son histoire dont le dernier qui fut commis par l’État islamique en 2014. Aujourd’hui, ces crimes ne doivent pas tomber dans l'oubli. Il faut créer un tribunal international, sur le modèle de celui de Nuremberg, pour juger les crimes des djihadistes. Les États d’où sont issus les membres étrangers de Daech devraient réunir des fonds pour enquêter sur ces massacres, recueillir des preuves et la parole des survivants afin de pouvoir condamner l’ensemble des hommes et des femmes qui ont appartenu à Daech pour crime contre l’humanité. Cela serait aussi une façon de tous les enfermer à vie s’ils reviennent en Europe, sans avoir à prouver leur implication individuelle et sans les voir tous sortir de prison au bout de cinq ans. J’insiste là-dessus, on ne doit pas oublier ce génocide Yézidi. Les djihadistes doivent être punis, au nom de l’humanité dont les principes ont été bafoués.
Est-ce qu'on peut dire que le califat est aujourd'hui définitivement enterré ? 
Bien sûr que non. La dernière poche de résistance des djihadistes est en train d’être conquise par les Forces démocratiques syriennes. D’après les familles de combattants qui en sortent, il y a des cellules dormantes prêtes à passer à l’action partout en Irak et en Syrie. Si demain les Turcs attaquent le Rojava, je suis persuadé qu’on assistera à un retour du califat en quelques mois. Sans parler de l’Afghanistan, du Yémen, du Nigeria et des Philippines où des groupes non moins barbares ont prêté allégeance à Daech. On pourra voir demain l’émergence de nouveaux califats dans d’autres régions du monde.
Quel rôle les volontaires étrangers ont-ils joué dans la guerre contre Daesh ?

Il y a eu plusieurs centaines de volontaires étrangers qui se sont battus pour le Rojava. Des Américains, des Turcs, une trentaine de Français, des Basques, des Espagnols, des Italiens, des Chinois, un Japonais, un Brésilien, un Péruvien…. Nous étions utiles aux Kurdes pour leur communication, mais aussi sur le plan militaire après quelques mois d’expérience au front. Ce sont aussi des volontaires étrangers qui ont été à l’origine des premières unités d’infirmiers de combat du YPG et qui ont permis de sauver de nombreuses vies.
Quel tribut ont-ils payé ?

Beaucoup de volontaires sont tombés en martyrs au Rojava depuis la bataille de Kobanê. Parmi eux, trois Français : Frédéric Demonchaux, un ancien légionnaire qui a passé de longs mois sur le front contre l’État islamique avant d’être tué à Raqqa ; Olivier Le Clainche, un anarchiste et indépendantiste breton qui est tombé à Afrin lors d’une contre-offensive visant à enrayer l’invasion turque ; et Farid Medjahed qui était un militant écologiste mort dans la province de Deir ez-Zor en défendant sa position contre un assaut de Daech. Je voulais aussi parler d’Ebu Firat, une jeune Toulousaine d’origine kurde qui est partie en 2014 combattre l’État islamique à Kobané. Alors qu’elle était en chemin pour rejoindre la France, elle a été arrêtée par les autorités turques et condamnée à 5 ans de prison. Aujourd’hui on la laisse croupir dans une cellule de 4m2. L’État français doit exiger sa libération. On ne peut pas permettre qu’une femme qui s’est battue contre les ennemis jurés de notre pays soit traitée comme une terroriste par la dictature turque.
Comment percevez-vous le soutien de l’opinion française au Kurdistan syrien ?

Je trouve qu’en France, il n’y a pas eu d’hommages suffisants aux camarades qui sont tombés en combattant Daech, pour l’intérêt général. Ils sont morts contre ceux qui ont tué tant de personnes dans notre pays. Cette cause paraît injustement lointaine. Certains médias ont contribué à rendre invisibles les premiers acteurs de la lutte contre Daech, notamment en affirmant que « la coalition internationale a libéré Raqqa avec le soutien de ses alliés au sol ». C’est une manière de réécrire l’histoire. Ce ne sont pas les pilotes des avions de la coalition ou les membres des forces spéciales occidentales qui sont tombés par milliers dans le combat contre Daech. Cette victoire nous la devons aux hommes et femmes, kurdes, arabes et volontaires internationaux qui se sont battus contre la barbarie djihadiste et pour le confédéralisme démocratique.
Quel futur pour le Kurdistan syrien ? 

Je pense qu'on a tout pour être optimiste sur sa révolution. Son modèle continue à se perfectionner. Même si tout n’est pas parfait, les peuples de la région apprennent à vivre en harmonie pour la première fois depuis des décennies. Mais la menace d’une intervention militaire turque est très inquiétante. Ils ont notamment recyclé des djihadistes d’Al Nosra et de Daech pour attaquer le canton d’Afrin début 2018. Ils y pratiquent un véritable nettoyage ethnique. Expropriation des Kurdes, racket, viol, kidnapping...Les droits humains sont bafoués chaque jour. Ça fait mal cœur lorsque l'on sait qu'Afrin était aussi le véritable laboratoire politique du confédéralisme démocratique et qu'aujourd’hui la charia y a été réintroduite. Les membres de la coalition, dont la France, doivent protéger l’intégrité du territoire du Rojava contre les Turques pour éviter de le voir remplacé par un Califat bis protégé par l’OTAN.
  Le modèle politique du Kurdistan syrien peut-il servir de modèle pour le reste de la région ?
Si le confédéralisme démocratique fonctionne aussi bien, c’est que c’est le remède du « diviser pour mieux régner » mis en place par tous les pouvoirs du Moyen-Orient pour asseoir leur autorité. Les Kurdes syriens se sont détournés du nationalisme pour un projet de démocratie directe qui englobe tout le monde dans une région, jusque-là, rongée par la haine communautariste et religieuse. L’Europe, qui est aujourd'hui confrontée au retour du nationalisme, devrait s'en inspirer. 
Comment est-ce qu’un militant politique comme vous perçoit les événements qui secouent actuellement la France ?

En France, ces derniers mois, on a vu une vraie aspiration du peuple à prendre son destin en main et avoir une prise sur la politique du pays dans son ensemble. Cette aspiration à la démocratie directe pourrait être satisfaite en s’inspirant des communes du Rojava.
Le retour en France n’a pas été trop dur ? 

Ce n’est jamais évident. La chose qui m’a choqué le plus en rentrant c’est le peu de respect et de considération que les gens ont pour les autres en Occident. Les gens sont bien plus respectueux et bienveillants concernant le Rojava. En un mot, ils sont bien plus civilisés que nous.
Au terme de votre engagement syrien, est-ce que votre idéal révolutionnaire est intact ?

Je dirais qu’il est même renforcé. En partant au Rojava, ça m’a donné l’opportunité d’être acteur d’une révolution, de voir les choses changer radicalement sous mes yeux. Ça m’a montré que c’était possible de construire un autre système et ça m’a redonné une très forte confiance dans l’action collective. La révolution que je ne connaissais que dans les livres d’histoire, je l’ai enfin vécue pour de vrai.

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