Et le journaliste et auteur Philip Gibbs a noté que les soldats avaient une haine profonde des civils qui croyaient aux mensonges. « Ils détestaient les femmes souriantes dans la rue. Ils détestaient les vieillards. … Ils voulaient que les profiteurs meurent à cause des gaz toxiques. Ils ont prié Dieu pour que les Allemands envoient des Zeppelins en Angleterre, pour que le peuple sache ce que signifie la guerre. »
Lorsque le réalisateur-producteur Peter Jackson commence « They Shall Not Grow Old » [« Ils ne vieilliront pas », NdT] , un film sur la Première Guerre mondiale qui transforme miraculeusement les images d’archives en noir et blanc granuleuses et tremblotantes de la guerre en un spectacle moderne 3D en couleurs, il nous bombarde des clichés utilisés pour ennoblir les guerres. Les anciens combattants, sur fond musical, disent des choses comme « Je ne l’aurais pas manqué », « Je recommencerais parce que j’ai aimé la vie militaire » et « Ça a fait de moi un homme ». Après la guerre, trouver la minuscule minorité d’anciens combattants prêts à dire de telles idioties a dû demander un certain effort. La vie militaire est une forme de servitude, l’exposition prolongée au combat vous laisse brisé, marqué à vie par les traumatismes et souvent si engourdi que vous avez des difficultés à communiquer avec les autres, et la dernière chose que la guerre fait est de faire de vous un homme. (...)
« Quand la guerre n’était pas très présente, c’était vraiment amusant d’être en première ligne », dit un vétéran dans le film. « C’était une sorte de camp de vacances en plein air avec un peu de danger pour épicer et rendre ça intéressant. »
Des commentaires aussi insipides ont défini la perception de la guerre à la maison. L’affrontement entre une population civile qui considérait la guerre comme « une sorte de camp de vacances en plein air » et ceux qui l’ont vécue a creusé un fossé profond. Le poète Charles Sorley a écrit : « J’aimerais tant tuer le premier responsable de la guerre ». Et le journaliste et auteur Philip Gibbs a noté que les soldats avaient une haine profonde des civils qui croyaient aux mensonges. « Ils détestaient les femmes souriantes dans la rue. Ils détestaient les vieillards. … Ils voulaient que les profiteurs meurent à cause des gaz toxiques. Ils ont prié Dieu pour que les Allemands envoient des Zeppelins en Angleterre, pour que le peuple sache ce que signifie la guerre. »
Des études militaires ont déterminé qu’après 60 jours de combat continu, 98 pour cent de ceux qui survivent seront victimes de troubles psychiatriques. Le trait commun parmi les 2 pour cent qui ont pu endurer un combat soutenu était une prédisposition à avoir des « personnalités psychopathes agressives ». Le lieutenant-colonel David Grossman a écrit : « On n’est pas trop à coté de la plaque en observant qu’il y a quelque chose au sujet du combat continu et inévitable qui rendra fou 98 pour cent de tous les hommes, et les 2 pour cent restants étaient déjà fous à leur arrivée. »
Les clans militaires de la société américaine sont aussi omnipotents qu’ils l’étaient pendant la Première Guerre mondiale. Les symboles de la guerre et du militarisme, d’hier et d’aujourd’hui, ont une aura quasi religieuse, surtout dans notre démocratie défaillante. Nos généraux incompétents – comme David Petraeus, qui n’a fait que prolonger la guerre en Irak et augmenter le nombre de victimes et dont l’idée d’armer les rebelles « modérés » en Syrie a été une catastrophe – sont aussi adulés que le général Douglas Haig, commandant en chef britannique, qui a résisté aux innovations telles que le char, l’avion et la mitraillette qu’il a qualifié « d’arme très surfaite ».
Il croyait que la cavalerie jouerait un rôle décisif pour gagner la guerre. Haig, lors de la bataille de la Somme, a essuyé 60 000 pertes le premier jour de l’offensive, le 1er juillet 1916. Aucun de ses objectifs militaires n’a été atteint. Vingt mille morts gisaient entre les lignes. Les blessés ont crié pendant des jours. Cela n’a pas freiné l’ardeur de Haig à sacrifier ses soldats.
Déterminé à réaliser son plan de percée à travers les lignes allemandes et de lâcher ses trois divisions de cavalerie sur l’ennemi en fuite, il a maintenu les vagues d’assauts pendant quatre mois jusqu’à ce que l’hiver le force à cesser. Pendant le temps où Haig a été en place, l’armée avait subi plus de 400 000 pertes et n’avait abouti à rien. Le lieutenant-colonel E.T.F. Sandys, qui a vu 500 de ses soldats tués ou blessés dès le premier jour dans la Somme, écrit deux mois plus tard : « Je n’ai jamais eu un instant de paix depuis le 1er juillet ». Il s’est ensuite suicidé dans une chambre d’hôtel à Londres. (...)
Shapiro a écrit dans son chapitre « Réactions mentales » :
Q : Qu’est-ce qui peut m’arriver après avoir atteint mon ennemi au visage avec ma baïonnette ?
Vous pouvez développer un tic hystérique rapide, soudain et convulsif, des spasmes convulsifs de contractions des muscles de votre propre visage.
Q : Que peut-il m’arriver une fois que j’aurai transpercé l’abdomen de mon ennemi avec ma baïonnette ?
Il se peut que vous soyez victime de contractions abdominales.
Q : Qu’est-ce qui peut m’arriver à la suite de spectacles particulièrement horribles ?
Vous pourriez être atteint de cécité de type hystérique.
Q : Que peut-il m’arriver si je trouve les cris des blessés insupportables ?
Vous pouvez développer une surdité de type hystérique.
Q : Qu’est-ce qui peut m’arriver si je dois participer à des enterrements ?
Vous pouvez développer une anosmie (perte de votre odorat). (...)
« Peu d’entre nous peuvent rester accrocher à leur vraie nature assez longtemps pour découvrir les vérités capitales sur nous-mêmes et de cette terre qui tourne et à laquelle nous nous agrippons », écrit J. Glenn Gary, un ancien combattant de la Seconde Guerre mondiale, dans « The Warriors : Réflexions sur les hommes au combat ». « C’est particulièrement vrai pour les hommes en temps de guerre. Le grand dieu Mars essaie de nous aveugler quand nous entrons dans son royaume, et quand nous sortons, il nous donne une coupe généreuse des eaux du Léthé à boire ». [Le fleuve Léthé, un des cinq fleuves des Enfers, parfois nommé fleuve de l’Oubli, NdT]
Jackson termine le film avec une chansonnette de l’armée sur la prostitution. « Vous oublierez peut-être le gaz et les obus, dit la chanson, mais vous n’oublierez jamais la Mademoiselle ! Hinky-dinky, parlez-vous ? » [Hinky-dinky : référence à une chanson de soldats osée, NdT]
Des dizaines de milliers de filles et de femmes, dont les frères, les pères, les fils et les maris étaient morts ou mutilés, et dont les maisons avaient souvent été détruites, se sont retrouvées pauvres et souvent sans abri. Elles étaient une proie facile pour les bordels, y compris les bordels gérés par l’armée et les proxénètes qui servaient les soldats. Il n’y a rien d’amusant ou de mignon à s’allonger sur une natte de paille et à se faire violer par jusqu’à 60 hommes par jour, à moins que vous ne soyez le violeur.
« Donnez des mots à la douleur », nous rappela William Shakespeare, « Le chagrin muet murmure au cœur effrayé et lui ordonne de se briser. »
Heureusement, tous les participants à la guerre sont morts. Ils trouveraient dans le film un autre exemple du mensonge monstrueux qui nie leur réalité, ignore ou minimise leur souffrance et ne tient jamais pour responsables les militaristes, carriéristes, profiteurs et imbéciles qui ont décrété la guerre. La guerre est la raison d’être de la société technologique. Elle libère ses démons. Et ceux qui profitent de ces démons, hier et aujourd’hui, travaillent dur pour les garder cachés.
https://www.les-crises.fr/la-caricature-de-guerre-de-peter-jackson-par-chris-hedges/
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