Si cette adhésion nous exclut de la famille avec laquelle nous nous sentons en communion de pensée, il est probable que nous n’en prendrons pas le risque parce que cette dissonance cognitive serait difficilement supportable.
Il serait facile, voire reposant, de se contenter de croire que seules les personnes peu familières avec les sciences, mal informées ou désinformées succombent aux sirènes de ceux que j’appelle les « négationnistes de la science », qu’ils soient climatosceptiques, créationnistes ou persuadés que le sida n’est pas causé par le VIH. Mais ce n’est pas ainsi que les choses se passent en réalité. Comme le rappelle Dan Kopf dans un article paru sur le site Quartz, les connaissances scientifiques n’ont qu’assez peu de poids dans l’adhésion au créationnisme ou aux thèses climatosceptiques.
Dan Kopf s’appuie sur le travail de Dan Kahan et en particulier sur une longue étude que ce spécialiste du comportement à l’université Yale a publiée en 2014 dans la revue Advances in Political Psychology. Consacré à la difficulté de faire passer dans la population les résultats de la recherche sur le climat, ce travail fournit notamment le graphique suivant, qui décrit l’adhésion d’un panel d’Américains à l’idée qu’il existe de « solides preuves » pour dire que le réchauffement climatique est « principalement » causé par les activités humaines comme l’utilisation d’énergies fossiles
Pour chacun des deux graphiques, plus on va vers la droite, plus la culture scientifique des participants au sondage est élevée. Le graphique de gauche montre le résultat global, sur l’ensemble du panel : on y voit que l’adhésion à un réchauffement climatique aux causes anthropiques augmente lentement mais sûrement avec les connaissances en sciences. La courbe passe d’un peu plus de de 30 % à environ 60 %.
Rien de très spectaculaire. Cela change dès que l’on sépare les participants en fonction de leurs opinions politiques, comme c’est le cas sur le graphique de droite. On s’aperçoit que, chez les électeurs démocrates (courbe bleue), l’adhésion grimpe en flèche avec l’acquisition de connaissances scientifiques. Chez les républicains (courbe rouge), être calé en sciences ne produit pas le même effet, au contraire : plus on a de culture scientifique, plus on a de chances d’être climatosceptique…
Dissonance insupportable
Comme le souligne Dan Kahan dans son étude, cette séparation spectaculaire des courbes ne se produit que pour des questions politiquement sensibles, comme le réchauffement climatique ou l’évolution de l’espèce humaine à partir d’espèces animales plus anciennes. En revanche, quand on demande aux sujets si l’électron est plus petit ou plus grand qu’un atome ou bien le nom du gaz le plus présent dans l’atmosphère (l’azote), la dichotomie disparaît, les courbes bleue et rouge se confondent et la culture scientifique prédit bien la capacité à donner la bonne réponse.
Pour le chercheur de Yale, ce qui compte dans l’adhésion ou non aux résultats de la science, c’est avant tout le fait de savoir si cela va nous faire sortir ou pas de notre groupe culturel. Si cette adhésion nous exclut de la famille avec laquelle nous nous sentons en communion de pensée, il est probable que nous n’en prendrons pas le risque parce que cette dissonance cognitive serait difficilement supportable.
Ces travaux ne font que confirmer la capacité de l’esprit humain à échafauder les plus incroyables théories pour éviter que ne soient détruites les principales idées qui le structurent.