Comment est né le désir de faire un documentaire sur la surveillance de masse?
Marc Meillassoux – A la base, je suis plutôt journaliste spécialisé en économie, et j’écrivais sur l’économie du digital. J'ai rencontré Mihaela Gladovic, avec qui j’ai lancé le projet du film, et nous avons tous deux commencé à aller à des conférences sur la gestion des données privées et à des Cryptoparties. Les Cryptoparties sont des réunions libres et gratuites où les gens viennent avec leur téléphone portable et leur ordinateur et apprennent à protéger leurs données eux-mêmes. Et puis cela faisait longtemps que je m'intéressais aux théoriciens du panoptique (procédé à la base utilisé dans l'architecture carcérale qui consiste à construire un point de vue où il est possible de tout voir de l'intérieur – ndlr) comme Bentham et Foucault et aux écrits de Deleuze sur les sociétés de contrôle. Au moment des révélations Snowden, je me sentais incapable de réagir en raison de mon niveau en informatique. Mais après avoir comblé notre retard en fréquentant les Cryptoparties et la scène hacktiviste de Berlin, nous avons décidé de nous lancer dans ce documentaire.
Le film montre que l'état d'urgence et la surveillance de masse sont aussi bien utilisés pour lutter contre le terrorisme que contre le militantisme écologique et politique. Penses-tu qu'un tel climat de contrôle de la population arrange les gouvernements ?
C'est une question compliquée car il y a toujours le risque de verser dans la paranoïa et le complotisme. Cela fait six fois que l'état d'urgence est prolongé et ça pourrait durer car le gouvernement le renouvelle aussi pour se couvrir devant l’opinion en cas de nouvel attentat. Ce qui est sûr, c'est que l'état d'urgence donne des outils sans précédent pour contrôler et neutraliser toutes sortes d’activistes. Durant la COP 21, on a ainsi vu que les services de renseignements français utilisaient ces outils pour dresser des profils de militants qui n‘avaient jamais rien fait d'illégal mais qui, pour reprendre le terme de leur "note blanche" : "représentent une menace pour les institutions de l'Etat". C’est le cas montré dans le film où Joël Domenjoud a fait l'objet d'une surveillance physique et numérique et a été assigné à résidence simplement pour avoir participé à des manifestations de militants écolo.
On pourrait déjouer cette surveillance en n'ayant pas de téléphone portable et en refusant de s'identifier devant un ordinateur mais le documentaire montre qu'il existe d'autres moyens moins radicaux.
Oui, je travaille d'ailleurs actuellement sur un second documentaire qui s'intéresse aux différentes formes de disparitions numériques. Même s'il est très difficile de se protéger contre la NSA, on peut assez facilement effacer certaines traces vis-à-vis de la surveillance privée, comme celle exercée par Google, en utilisant des moteurs de recherche comme DuckDuckGo ou le navigateur anonyme Tor, en utilisant des logiciels libres comme Linux ou en utilisant une messagerie instantanée comme Signal. Il y a différents niveaux de protection et il n'est pas nécessaire d'aller au stade le plus extrême pour avoir une utilisation d'internet qui soit satisfaisante. Pour estimer les traces que chacun laisse derrière soi sur internet, il existe par ailleurs un site qui s'appelle Myshadow.org. J’essaie personnellement de ne pas prendre ça comme une paranoïa mais plutôt comme une forme de jeu, de challenge : comment laisser le moins de trace possible.
http://www.lesinrocks.com/2017/09/09/cinema/nothing-hide-pourquoi-ce-docu-sur-la-surveillance-de-masse-nous-concerne-t-il-tous-11983255/
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