samedi 7 octobre 2017

" L’effondrement global est-il imminent ? " Par Graham Turner

Le scénario BAU (scénario standard) de LTG, lignes en pointillés, comparé aux données historiques de 1970 à 2010 (lignes continues) — pour les variables démographiques: population, taux brut de natalité, taux brut de mortalité; pour les variables économiques: production industrielle per capita, nourriture per capita, services per capita (Courbe supérieure: électricité p.c.; courbes inférieures: taux d’alphabétisation des adultes et des jeunes [la courbe de données la plus basse]); pour les variables environnementales: pollution mondiale persistante, proportion des ressources non-renouvelables restantes (la courbe la plus haute utilise une limite supérieure de 150,000 EJ pour les ressources ultimes d’énergie; la courbe inférieure utilise une limite inférieure de 60,000 EJ [Turner 2008]).

En dépit du fait que LTG devint un best-seller dès sa publication, le travail fut ensuite largement relégué dans la « poubelle de l’histoire » par de nombreuses critiques (par exemple, Lomborg et Rubin, 2002). Ces critiques ont perpétué le mythe public selon lequel LTG s’était trompé, et disaient que LTG avait prévu que l’effondrement surviendrait bien avant les années 2000, alors que tel n’était absolument pas le cas. Ugo Bardi, dans « Les limites de la croissance revisitées » (2011), détaille de façon exhaustive les divers efforts qui furent entrepris pour discréditer l’étude LTG. 

 Le scénario « modèle standard » (business-as-usual ou BAU) des « Limites de la croissance » (« Limits To Growth », LTG), produit il a environ quarante ans, correspond bien avec les données historiques qui ont été mises à jour pour cet article. Le scénario BAU produit un effondrement de l’économie mondiale et de l’environnement (avec des niveaux de vie qui chutent dramatiquement plus vite que ce qu’ils progressèrent historiquement car les fonctions économiques normales cessent de fonctionner), entrainant une chute importante de la population mondiale. Bien que la baisse de la population modélisée survienne après environ 2030 —avec une augmentation des taux de mortalité à partir de 2020, inversant les tendances contemporaines— le début généralisé de l’effondrement apparait vers 2015 quand la production industrielle per capita commence un déclin rapide. 


Compte tenu de cette synchronisation imminente, une autre question que pose cet article est de savoir si les difficultés économiques de la crise financière mondiale sont potentiellement liées aux mécanismes de disruption mis en avant par le scénario BAU des « Limites de la croissance ». En particulier, les problèmes contemporains sur le pic pétrolier et l’analyse de l’énergie nette, ou rapport entre l’énergie produite et l’énergie investie, vont dans le sens de la modélisation des contraintes de ressources qui sous-tendent l’effondrement dans les « Limites de la croissance ».  

Vérification des « limites de la croissance »

Avec plus de quarante ans de recul disponible depuis la publication des limites de la croissance (LTG ; Meadows et al., 1972, Meadows et al., 1974), il est opportun d’examiner la façon dont la société a suivi le chemin dessiné par cette modélisation révolutionnaire de divers scénarii, et d’examiner si l’économie mondiale et la population sont sur le chemin de l’effondrement ou de la soutenabilité. (...)

 En dépit du fait que LTG devint un best-seller dès sa publication, le travail fut ensuite largement relégué dans la « poubelle de l’histoire » par de nombreuses critiques (par exemple, Lomborg et Rubin, 2002). Ces critiques ont perpétué le mythe public selon lequel LTG s’était trompé, et disaient que LTG avait prévu que l’effondrement surviendrait bien avant les années 2000, alors que tel n’était absolument pas le cas. Ugo Bardi, dans « Les limites de la croissance revisitées » (2011), détaille de façon exhaustive les divers efforts qui furent entrepris pour discréditer l’étude LTG. (...)


Durant la dernière décennie, cependant, il y a eu une sorte d’attention et de compréhension renouvelée à l’égard de LTG. Très récemment, Randers (2012a) —un des co-auteurs de LTG— a publié une prévision de la situation mondiale en 2052, et renouvelé les enseignements de la publication originale (Randers 2012b). Un renversement dans le débat a eu lieu en 2000 quand le spécialiste de l’énergie Simmons (2000) a émis l’idée que le modèle était plus précis que la perception qu’on en avait généralement. D’autres auteurs ont émis des évaluations plus complètes des conclusions du modèle (Hall and Day, 2009, Turner, 2008) ; en effet, mon précédent travail montrait que trente ans de données historiques s’alignaient très bien avec les conclusions du « scénario standard » de LTG. Le modèle standard incarne les pratiques économiques et sociales « business-as-usual » (BAU) de la période historique qui servit de calibrage au modèle (1900 à 1970), avec le scénario modélisé à partir de 1970. (...)


Jusqu’à ce que la base de ressources non renouvelables soit réduite à environ 50% du niveau initial ou final, le modèle World3 supposait que seule une faible part du capital (5%) est allouée au secteur de l’extraction des ressources, simulant un accès à des ressources aisément extractibles ou de haute qualité, ainsi qu’à l’amélioration de l’efficacité des techniques d’investigation et d’extraction.
Cependant, lorsque les ressources tombent en dessous du niveau de 50% du stock (moment de la déplétion NDT) au début du 21ème siècle tel que simulé par le modèle, et qu’elles deviennent plus difficiles à extraire et transformer, le capital nécessaire commence à augmenter. Par exemple, à 30% du stock initial de ressource, la proportion du capital total alloué au secteur de l’extraction atteint 50%, et elle continue à augmenter au fur et à mesure que la ressource s’épuise (indiqué dans Meadows et al., 1974).
Avec une part significative du capital qui va vers l’extraction des ressources, il n’y a plus suffisamment de capital disponible pour remplacer entièrement l’obsolescence des machines et du capital dans le secteur industriel lui-même. Par conséquent, malgré une activité industrielle accrue essayant de satisfaire les multiples demandes de tous les secteurs et de la population, la production industrielle réelle (per capita) commence à chuter précipitamment à partir de 2015, alors que la pollution générée par l’activité industrielle continue de croître. La réduction des apports de l’industrie à l’agriculture, combinée aux impacts de la pollution sur les terres agricoles, conduit à une chute des rendements agricoles et de la nourriture produite par habitant. (...)
La population mondiale chute alors, d’environ un demi-milliard d’individus par décennie, à partir de 2030 environ. Après l’effondrement, le résultat du modèle World3 pour le BAU (fig. 1) montre que le niveau de vie moyen de la population totale (richesse matérielle, nourriture et services per capita reflétant essentiellement les conditions de type OCDE) ressemble à celui observé au début du 20ème siècle. Les implications du scénario BAU sont sévères : la fig. 1 illustre l’effondrement global du système économique et de la population. Cet effondrement est essentiellement causé par les contraintes sur les ressources (Meadows et al., 1972), suivant la dynamique et les interactions décrites ci-dessus.
La dynamique étalonnée reflète les réponses observées dans l’économie à des changements de niveau d’abondance ou de rareté (Meadows et al., 1972), rendant superflu la modélisation des prix comme canal de communication des réponses économiques.[1]
[1] Un point particulièrement important réside dans le fait que l’offre de pétrole, d’abord élastique à la demande, devient inélastique, ce qui produit des bouleversements économiques (Murray et King, 2012, Murray et Hansen, 2013), discutés en détail dans les dernières sections.

Le scénario « business As Usual » de LTG suit la réalité


Après quarante années écoulées depuis la modélisation initiale de LTG, il est opportun d’examiner à quel point les scénarii reflètent la réalité. Dans cette partie, nous présentons une comparaison graphique des données historiques avec le scénario BAU décrit ci-dessous (Fig. 1). Il est évident en observant la figure 1 que les données correspondent fortement avec le scénario BAU (pour la plupart des variables); alors que les données ne correspondent pas avec les deux autres scénarii (Turner, 2012, Turner, 2008). (...)

Evolution du monde réel – pic pétrolier

 Taux de production de pétrole : réel et projeté ; dérivé de LTG ; et courbe « selon Hubbert » basée sur une fonction logistique – toutes normalisées pour correspondre à la ressource totale (c’est-à-dire l’aire sous les courbes).

La vision optimiste exprimée récemment est qu’il y pourrait y avoir une nouvelle surabondance de pétrole et de gaz. A première vue, cela semble contredire la contrainte de ressources qui sous-tend l’effondrement dans le scénario BAU de LTG. Mais les protagonistes de cette surabondance de pétrole et de gaz n’ont pas compris un point crucial. Ils ont confondu un stock et un flux. Le point clé, comme le souligne le modèle LTG, est la vitesse à laquelle la ressource peut être fournie, c’est-à-dire le flux, et les besoins associés en machines, énergie et autres intrants pour pouvoir obtenir ce flux. La recherche contemporaine sur l’énergie nécessaire pour extraire et fournir une unité d’énergie à partir du pétrole montre que les intrants ont augmenté de presque un ordre de grandeur. Peu importe la taille du stock de ressources si elles ne peuvent pas être extraites assez rapidement, ou si d’autres ressources nécessaires par ailleurs dans l’économie sont consommées pendant l’extraction. Les optimistes du pétrole et du gaz notent que l’extraction de carburants non conventionnels n’est économiquement rentable qu’au voisinage de 70 US$ le baril. Ils reconnaissent par là-même que l’époque du pétrole bon marché est révolue, apparemment sans se rendre compte que les carburants chers sont un signe de contraintes sur les taux d’extraction et les intrants nécessaires. Ce sont ces contraintes qui conduisent à l’effondrement dans le scénario BAU de LTG. (...)

Dans la littérature sur le pic pétrolier, la mesure pertinente du coût d’opportunité est le retour d’énergie par rapport à l’investissement (EROI) qui correspond à l’énergie nette disponible après avoir retranché l’énergie utilisée à extraire la ressource (Heun et de Wit, 2012, Dale et al., 2011, Heinberg, 2009, Murphy et Hall, 2011). L’EROI est défini comme le rapport entre l’énergie brute produite, TEProd, et l’énergie investie pour obtenir l’énergie produite, ERes. (...)


L’effondrement est retardé de 20 ans, mais est pire (c’est-à-dire en « falaise de Sénèque »), du fait d’une efficacité accrue dans l’accès aux ressources non conventionnelles.

Malheureusement, les preuves scientifiques des graves problèmes environnementaux ou de ressources naturelles se sont heurtées à une forte résistance de la part de forces sociétales puissantes, comme le démontre clairement la longue histoire de LTG ou les oppositions aux initiatives internationales des Nations Unies sur les questions environnementales/de changement climatique. Non sans ironie, la confirmation apparente par cet article du scénario BAU du modèle LTG implique que l’attention des scientifiques et du public pour le changement climatique, quoique d’importance cruciale en elle-même, pourrait avoir été défavorablement détournée du problème des contraintes de ressources, particulièrement celle de l’approvisionnement en pétrole. En effet, si l’effondrement global se produit conformément au scénario LTG, alors les impacts de la pollution se résoudront naturellement – quoique pas dans un sens idéal !

 Une des leçons difficiles des scénario de LTG est que les questions environnementales mondiales sont généralement étroitement liées et ne devraient pas être traitées comme des problèmes séparés. Une autre leçon est l’importance de la prise de mesures préventives bien avant que les problèmes ne s’enracinent. Malheureusement, la correspondance des tendances des données avec la dynamique de LTG indique que les premiers stades de l’effondrement pourraient survenir d’ici une décennie, ou pourraient même être déjà en cours. Cela suggère, dans une perspective rationnelle basée sur le risque probable, que nous avons gaspillé les dernières décennies, et que se préparer à un effondrement mondial pourrait être encore plus important que de chercher à éviter l’effondrement. (...)



Aucun commentaire:

Quelle est la différence entre un optimiste et un pessimiste ?

L'optimiste pense que l'on vit dans le meilleur des mondes possibles.
Le pessimiste pense que malheureusement c'est vrai.