mardi 14 décembre 2010
" Modeste proposition " par Jonathan Swift ( 1759 )
Modeste proposition
pour empêcher les enfants des pauvres en Irlande
d’être à charge à leurs parents et à leur pays
et pour les rendre utiles au public
C’est une triste chose pour ceux qui se promènent dans cette grande ville ou voyagent dans la campagne, que de voir les rues, les routes et les portes des cabanes encombrées de mendiantes que suivent trois, quatre ou six enfants tous en haillons et importunant chaque passant pour avoir l’aumône. ( ... )
Restent par an cent vingt mille enfants qui naissent de parents pauvres. La question est donc : Comment élever cette multitude d’enfants et pourvoir à leur sort ? Ce qui, comme je l’ai déjà dit, dans l’état présent des affaires, est complètement impossible par les méthodes proposées jusqu’ici. Car nous ne pouvons les employer ni comme artisans ni comme agriculteurs. Nous ne bâtissons pas de maisons (à la campagne, j’entends), et nous ne cultivons pas la terre ; il est fort rare qu’ils puissent vivre de vol avant l’âge de six ans, à moins de dispositions toutes particulières, ( ... )
Je proposerai donc humblement mes propres idées qui, je l’espère, ne soulèveront pas la moindre objection.
Un jeune américain de ma connaissance, homme très-entendu, m’a certifié à Londres qu’un jeune enfant bien sain, bien nourri, est, à l’âge d’un an, un aliment délicieux, très-nourrissant et très-sain, bouilli, rôti, à l’étuvée ou au four, et je ne mets pas en doute qu’il ne puisse également servir en fricassée ou en ragoût. ( ... )
que les cent mille restant peuvent, à l’âge d’un an, être offerts en vente aux personnes de qualité et de fortune dans tout le royaume, en avertissant toujours la mère de les allaiter copieusement dans le dernier mois, de façon à les rendre dodus et gras pour une bonne table. Un enfant fera deux plats dans un repas d’amis ; et quand la famille dîne seule, le train de devant ou de derrière fera un plat raisonnable, et assaisonné avec un peu de poivre et de sel, sera très-bon bouilli le quatrième jour, spécialement en hiver.
J’ai fait le calcul qu’en moyenne un enfant qui vient de naître pèse vingt livres, et que dans l’année solaire, s’il est passablement nourri, il ira à vingt-huit.
J’accorde que cet aliment sera un peu cher, et par conséquent il conviendra très-bien aux propriétaires, qui, puisqu’ils ont déjà dévoré la plupart des pères, paraissent avoir le plus de droits sur les enfants. ( ... )
Qu’on ne me parle donc pas d’autres expédients : de taxer nos absentees à cinq shillings par livre ; de n’acheter ni vêtements, ni meubles qui ne soient de notre crû et de nos fabriques ; de rejeter complètement les matières et instruments qui encouragent le luxe étranger ; de guérir nos femmes des dépenses qu’elles font par orgueil, par vanité, par oisiveté et au jeu ; d’introduire une veine d’économie, de prudence et de tempérance ; ( ... )
Je déclare, dans la sincérité de mon cœur, que je n’ai pas le moindre intérêt personnel à poursuivre le succès de cette œuvre nécessaire, n’ayant d’autre motif que le bien public de mon pays, que de faire aller le commerce, assurer le sort des enfants, soulager les pauvres, et procurer des jouissances aux riches. Je n’ai plus d’enfant dont je puisse me proposer de tirer un sou, le plus jeune ayant neuf ans, et ma femme n’étant plus d’âge à en avoir.
Wikisource
Les Voyages de Gulliver
mercredi 1 décembre 2010
"Éloge de la Folie" par Érasme (1509)

Vous voyez que sans moi, jusqu’à présent, aucune société n’a d’agrément, aucune liaison n’a de durée. Le peuple ne supporterait pas longtemps son prince, le valet son maître, la suivante sa maîtresse, l’écolier son précepteur, l’ami son ami, la femme son mari, l’employé son patron, le camarade son camarade, l’hôte son hôte, s’ils ne se maintenaient l’un l’autre dans l’illusion, s’il n’y avait entre eux tromperie réciproque, flatterie, prudente connivence, enfin le lénifiant échange du miel de la Folie.
Nos ingénieux contradicteurs viennent nous dire que la connaissance des Sciences est donnée à l’homme pour que son intelligence compense ce que lui refuse la Nature. Comme s’il était vraisemblable que la Nature, si vigilante pour les moucherons et même pour les plantes et les fleurs, sommeillât seulement pour l’homme, en lui imposant de recourir aux Sciences inventées à son dam par Theuth, l’ennemi du genre humain ! Elles sont, en effet, si peu utiles au bonheur qu’elles ne servent même pas à réaliser le bien qu’on attend de chacune d’elles, comme le prouve élégamment dans Platon un roi fort sensé, à propos de l’invention de l’écriture. Les Sciences ont fait irruption dans l’humanité avec le reste de ses fléaux ; elles proviennent des auteurs de toutes les mauvaises actions, c’est- à-dire des démons, dont le nom même, en grec, signifie qu’ils sont savants. ( ... )
Les vivants qui obéissent à la Sagesse sont de beaucoup les moins heureux. Par une double démence, oubliant qu’ils sont nés hommes, ils veulent s’élever à l’état des Dieux souverains et, à l’exemple des Géants, munis des armes de la science, ils déclarent la guerre à la Nature. ( ... )
Après eux s’avancent les Philosophes, respectables par la barbe et par le manteau, et qui se déclarent les seuls sages, voyant dans le reste de l’humanité des ombres flottantes. Quels délicieux transports, lorsqu’ils édifient des mondes innombrables, mesurent du doigt et du fil le soleil, la lune, les étoiles, les sphères, lorsqu’ils expliquent sans hésiter la foudre, les vents, les éclipses et autres choses inexplicables, comme s’ils étaient confidents de la Nature constructrice du monde et délégués du conseil des Dieux ! La Nature cependant se rit magnifiquement d’eux et de leurs conjectures, car ils n’ont rien pris à bonne source, et les discussions sans fin qu’ils soutiennent sur toute chose en font largement la preuve. ( ... )
L’Église chrétienne ayant été fondée par le sang, confirmée par le sang, accrue par le sang, ils continuent à en verser, comme si le Christ ne saurait pas défendre les siens à sa manière. La guerre est chose si féroce qu’elle est faite pour les bêtes et non pour les hommes ; c’est une démence envoyée par les Furies, selon la fiction des poètes, une peste qui détruit les mœurs partout où elle passe, une injustice, puisque les pires bandits sont d’habitude les meilleurs guerriers, une impiété qui n’a rien de commun avec le Christ. Les Papes, cependant, négligent tout pour en faire leur occupation principale. On voit parmi eux des vieillards décrépits y porter l’ardeur de la jeunesse, jeter l’argent, braver la fatigue, ne reculer devant rien pour mettre sens dessus dessous les lois, la religion, la paix, l’humanité tout entière. Ils trouveront ensuite maint docte adulateur pour décorer cette évidente aberration du nom de zèle, de piété, de courage, pour démontrer par raisonnement comment on peut dégainer un fer meurtrier et le plonger dans les entrailles de son frère, sans manquer le moins du monde à cette charité parfaite que le Christ exige du chrétien envers son prochain. ( ... )
Eloge de la Folie
samedi 20 novembre 2010
" Fermons les prisons ! " Par Loïc Wacquant

Là où la gauche dite « plurielle » pratiquait une pénalisation de la misère honteuse et larvée, la droite républicaine assume son choix d’endiguer les désarrois et les désordres sociaux qui s’accumulent dans les quartiers de relégation minés par le chômage de masse et l’emploi flexible en déployant l’appareil répressif avec vigueur et emphase.
Faire de la lutte contre la délinquance de rue un spectacle moral permanent permet en effet de réaffirmer symboliquement l’autorité de l’Etat au moment même où celui-ci se rend impotent sur le front économique et social.
( … ) Aberration, tout d’abord, parce que l’évolution de la criminalité en France ne justifie en rien l’essor fulgurant de sa population carcérale après la décrue modérée de 1996-2001. Les cambriolages, vols de véhicules et vols à la roulotte (qui constituent les trois quarts des crimes et délits enregistrés par les autorités) diminuent tous régulièrement depuis 1993 au moins ; les homicides et coups mortels refluent depuis 1995, d’après les données de la police, et depuis 1984 selon les relevés de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) ; les vols avec violence, qui obnubilent les grands médias, outre qu’ils se composent principalement de « violences » verbales (insultes, menaces), sont en recul depuis vingt ans (2).
( … ) Le même « effet d’entonnoir » s’observe dans le fonctionnement de la justice pénale en France, où moins de 2 % des contentieux portés devant les parquets donnent lieu à une peine d’enfermement. C’est dire si la prison est inadaptée à lutter contre la petite et moyenne délinquance, et à plus forte raison contre les « incivilités », dont la plupart ne relèvent même pas du code pénal (regards de travers, insultes, bousculades, rassemblements et chahuts dans les lieux publics, petites dégradations, etc.).
( … ) Il ne s’agit pas ici de nier la réalité de la criminalité ni la nécessité de lui donner une réponse, ou plutôt des réponses, y compris pénale quand cette dernière est appropriée. ( … ) Ce débat doit d’abord préciser pourquoi il se focalise sur telle ou telle des manifestations de la délinquance – sur les cages d’escalier des cités plutôt que sur les couloirs des hôtels de ville, les vols de cartables et de portables plutôt que sur les malversations boursières et les infractions au code du travail ou des impôts, etc. (7).
(7) En 1996, la fraude fiscale et douanière pesait 100 milliards de francs, celle aux cotisations sociales plus de 17 milliards, les contrefaçons environ 25 milliards de francs. Par ailleurs, la contre-valeur monétaire des atteintes volontaires à la vie était évaluée à 11 milliards de francs, à 4 milliards de francs pour les vols de véhicules, et à 250 millions de francs pour les vols en magasin. Dans Christophe Paille et Thierry Godefroy, Coûts du crime. Une estimation monétaire des infractions en 1996, Cesdip, Guyancourt, 1999.
( … ) La prison n’est pas un simple bouclier contre la délinquance, mais une arme à double tranchant : un organisme de coercition à la fois criminophage et criminogène qui, lorsqu’il se développe à l’excès, comme aux Etats-Unis durant le dernier quart de siècle ou en Union soviétique à l’ère stalinienne, en vient à se muer en vecteur autonome de paupérisation et de marginalisation.
Loïc Wacquant. Le Monde Diplomatique.
Sur quelques contes sécuritaires venus d’Amérique
( … ) Le dernier mythe sécuritaire planétaire venu d’Amérique est l’idée selon laquelle la politique de tolérance zéro jugée responsable du succès policier de New York s’appuierait sur une théorie criminologique scientifiquement validée, la fameuse « théorie de la vitre brisée ». Celle-ci postule que la répression immédiate et sévère des moindres infractions sur la voie publique enraye le déclenchement des grandes atteintes criminelles en y (r)établissant un sain climat d’ordre - arrêter les voleurs d’œufs permettrait de stopper les tueurs de bœufs potentiels. ( … )
le reflux de la criminalité violente est tout aussi net dans les villes qui n’appliquent pas la politique dite de tolérance zéro, y compris celles qui, optant pour une approche opposée, s’emploient à établir des rapports suivis avec les habitants de manière à prévenir les atteintes plutôt que de les traiter par la répression pénale à outrance. A San Francisco, une politique d’orientation des jeunes délinquants vers des programmes de formation, de conseil et de traitement social et médical a permis de dégonfler le nombre des entrées en maison d’arrêt de plus de moitié tout en réduisant la criminalité violente de 33 % entre 1995 et 1999 (contre 26 % à New York, où le volume des admis en détention a augmenté d’un tiers dans l’intervalle). ( … )
Le maître d’œuvre de la politique policière de M. Giuliani se gausse ouvertement de ceux qui croient en l’existence d’un « lien mystique entre les incidents mineurs relevant du désordre et les atteintes criminelles plus graves ». L’idée que la police pourrait faire baisser la criminalité violente en s’attaquant aux incivilités lui semble « pathétique » et il donne une foule d’exemples contraires tirés de son expérience professionnelle. Puis il compare le maire qui adopterait une telle tactique policière à un médecin qui « ferait un lifting à un cancéreux », ou à un chasseur sous-marin qui attraperait des « dauphins plutôt que des requins ».
Loïc Wacquant. Le Monde Diplomatique.
BAN PUBLIC
lundi 15 novembre 2010
" L'homme le plus seul de la planète "

Cet homme est un Indien dont les autorités brésiliennes ont conclu qu'il était le dernier survivant d'une tribu qui n'a jamais eu le moindre contact avec le monde extérieur.
Ils ont pris connaissance de l'existence de cet homme il y a une quinzaine d'années, et ont lancé pendant dix ans de nombreuses expéditions à sa recherche, afin d'assurer sa sécurité et établir un contact pacifique. En 2007, l'élevage et l'exploitation forestière se rapprochant dangeureusement de son lieu d'habitation, le gouvernement a déclaré propriété privée la zone de 50km² qui entoure sa hutte. ( ... )
Quelques habitants avaient déjà entendu parler de cet homme solitaire en 1996, lorsque les bûcherons du Rondônia, un Etat situé au nord-ouest du pays, ont commencé à faire circuler une rumeur: un sauvage vivrait dans la forêt, et il serait apparemment seul. Les agents de terrain du gouvernement brésilien spécialistes des tribus isolées ont rapidement trouvé une de ses huttes –un minuscule abri de chaume avec un mystérieux trou creusé au milieu. En poursuivant leurs recherches, ils ont découvert que l'homme était en fuite, et qu'il allait de cabane en cabane, les abandonnant à mesure que les bûcherons –et les agents du gouvernement– se rapprochaient. Aucune tribu connue ne vivait comme lui, creusant des trous rectangulaires de plus d'un mètre cinquante de profondeur au milieu des huttes sans but apparent. Il ne semblait être le survivant d'aucune tribu répertoriée. ( ... )
Slate.fr
mardi 9 novembre 2010
L' Avenir Radieux du Transhumanisme

Or nous sommes en train d’abroger toutes les lois – sauf celle du plus fort – et, si nous continuons dans cette funeste direction, nous entrerons dans une cruauté bien plus vive que celle d’avoir à se soumettre à des lois. Nous entrerons dans une cruauté inconnue consistant à vouloir modifier ce corps humain vieux de cent mille ans. Pour tenter d’en bricoler un autre.
Les transhumanistes prônent le droit moral de ceux qui le désirent, de se servir de la technologie pour accroître leurs capacités physiques, mentales ou reproductives et d’être davantage maîtres de leur propre vie. Nous souhaitons nous épanouir en transcendant nos limites biologiques actuelles. ( … )
Le transhumanisme englobe de nombreux principes de l’humanisme moderne et prône le bien-être de tout ce qui éprouve des sentiments qu’ils proviennent d’un cerveau humain, artificiel, posthumain ou animal. Le transhumanisme n’appuie aucun politicien, parti ou programme politique. ( … )
La Déclaration transhumaniste
( …)Nous sommes différents. Nous sommes les premiers mutants.
Nous aimons vivre. Evoluer encore et toujours, plus vite et plus loin. Nous voulons devenir l’origine du futur. Changer la vie, au sens propre et non plus au sens figuré : créer des espèces nouvelles, adopter les clones humains, sélectionner nos gamètes, sculpter le corps et l’esprit, apprivoiser nos germes, dévorer des festins transgéniques, faire don de nos cellules-souches, voir les infrarouges, écouter les ultrasons, sentir les phéromones, cultiver nos gènes, remplacer nos neurones, faire l’amour dans l’espace, débattre avec des robots, tester des états cérébraux modifiés, faire des projets avec notre cerveau reptilien, pratiquer des clonages diversifiants vers l’infini, ajouter de nouveaux sens, vivre vingt ans ou deux siècles, habiter la Lune, terraformer Mars, tutoyer les galaxies ; nous portons en nous le plus civilisé et le plus sauvage, le plus raffiné et le plus barbare, le plus complexe et le plus simple, le plus rationnel et le plus passionné. Tout s’est réuni un matin clair et la mortelle tiédeur des temps passés n’est plus qu’un mauvais souvenir.
Nous sommes les agents secrets de la vie. Elle-même ne le sait pas encore. ( …)
Manifeste des mutants
( … ) Mais à quoi servirait-il de gagner un corps neuf si c’était pour perdre l’esprit ?
La question vaut d’autant plus d’être posée qu’il existe un programme diffus de fabrication d’une « posthumanité ». Ce programme est dissimulé, on ne lui donne guère de publicité. On ne doit pas effrayer les hommes, il ne faut surtout pas qu’ils comprennent qu’on les fait travailler à l’abolition de l’humanité – c’est-à-dire à leur propre disparition. Le monde du vivant a été tellement investi par le capitalisme afin d’y développer de nouveaux espaces pour la marchandise que certaines de ses conséquences possibles sur l’humanité elle-même ont fini par percer le mur du silence. ( … )
On voit où le programme de fabrication d’une posthumanité pourrait mener : directement à l’entrée dans une ère de production d’individus dits supérieurs ayant échappé à l’engendrement. Et d’individus inférieurs pour les tâches subalternes. L’existence, banalisée, d’organismes génétiquement modifiés devrait mettre la puce à l’oreille : on pourrait à court terme entreprendre de fabriquer, par clonage et modification génétique, de nouvelles variantes humaines. Il est même vraisemblable que des expérimentations sont en cours ou ne sauraient tarder à l’être.
Lorsque ce jour arrivera, nous serons passés de la postmodernité, époque embarrassée dans l’effondrement des idoles, à la posthistoire. Si nul ne peut prévoir ce que cela sera, on peut cependant dire ce que cela ne sera plus. Car cela signifie le dénouement de cinq grands topoï de l’humanité : la fin de la commune humanité, la fin de la fatalité usuelle de la mort, la fin de l’individuation, la fin de l’arrangement (problématique) entre les sexes, et le bouleversement de la succession générationnelle. ( … )
( … ) Or cette route est encombrée d’« hommes premiers » – voilà le problème. Pour notre prophète, le vieil homme primitif est retors, il est constitutivement sourd – je cite – au « potentiel généreux » de la transformation « plurivalente ». Pis, par son « égoïsme ancien », il serait tout juste bon à « exercer le pouvoir sur les matières premières » pour « en disposer » afin de les soustraire aux changements promis – où l’on comprend que ces « matières premières » pourraient bien être le corps humain lui-même. Ce vieil homme ne serait, bien sûr, que « l’homme du ressentiment » prêt à faire « des rassemblements » pour embrigader « des populations désinformées » et les mener vers « de faux débats sur des menaces non comprises, sous la férule d’éditorialistes lascifs »... A bas donc les vieux « humanolâtres » qui prétendent, mus par « une hystérie antitechnologique », s’opposer à ce saut où l’Etre nous appelle car, bien sûr, il n’y a « rien de pervers » à vouloir « se transformer par autotechnique »...
Ces propos de Sloterdijk – par leur outrance même – sont de grande utilité : ils permettent de comprendre que la désinhibition symbolique actuelle n’est pas seulement une affaire de libération des mœurs et de sortie plus ou moins douloureuse du patriarcat. En fait, la levée des interdits révèle que perdure un véritable projet postnazi de sacrification de l’humain. Il est porté par l’anarcho-capitalisme, qui, en brisant toutes les régulations symboliques, rend possible le fait que la technique avance toute seule jusqu’à briser l’humanité. ( … )
( … ) L’anarcho-capitalisme a accrédité l’idée que se donner des lois est cruel et ne confine qu’à une sorte de masochisme insupportable. Et il renvoie cyniquement ceux qui auraient besoin d’un supplément d’âme au puritanisme obscurantiste. Il faut pourtant rappeler que les philosophes des Lumières, comme Jean-Jacques Rousseau et Emmanuel Kant, disaient que la liberté ne consiste en rien d’autre qu’à obéir aux lois que l’on s’est données. En fait, nous avons besoin de véritables lois juridiques et morales, et non de ces succédanés moralisants, pour rendre enfin la justice, pour sauvegarder le monde avant qu’il ne soit trop tard, pour préserver l’espèce humaine, menacée par une logique aveugle. Or nous sommes en train d’abroger toutes les lois – sauf celle du plus fort – et, si nous continuons dans cette funeste direction, nous entrerons dans une cruauté bien plus vive que celle d’avoir à se soumettre à des lois. Nous entrerons dans une cruauté inconnue consistant à vouloir modifier ce corps humain vieux de cent mille ans. Pour tenter d’en bricoler un autre.
De la réduction des têtes au changement des corps. Par Dany-Robert Dufour.
Wikipédia
La secte derrière les nanotechnologies. Pièces et Main d'Oeuvre
Jean-Pierre Dupuy. Le problème théologico-scientifique et la responsabilité de la science. (pdf)
lundi 4 octobre 2010
"De l'esclavage des nègres." ( 1758 ) Montesquieu et la complexité de l'ironie
De l'esclavage des nègres.
Si j'avais à soutenir le droit que nous avons eu de rendre les nègres esclaves, voici ce que je dirais :
Les peuples d'Europe ayant exterminé ceux de l'Amérique, ils ont dû mettre en esclavage ceux de l'Afrique, pour s'en servir à défricher tant de terres.
Le sucre serait trop cher, si l'on ne faisait travailler la plante qui le produit par des esclaves.
Ceux dont il s'agit sont noirs depuis les pieds jusqu'à la tête; et ils ont le nez si écrasé qu'il est presque impossible de les plaindre.
On ne peut se mettre dans l'esprit que Dieu, qui est un être très sage, ait mis une âme, surtout une âme bonne, dans un corps tout noir. ( ... )
Une preuve que les nègres n'ont pas le sens commun, c'est qu'ils font plus de cas d'un collier de verre que de l'or, qui, chez des nations policées, est d'une si grande conséquence.
Il est impossible que nous supposions que ces gens-là soient des hommes; parce que, si nous les supposions des hommes, on commencerait à croire que nous ne sommes pas nous-mêmes chrétiens.
De petits esprits exagèrent trop l'injustice que l'on fait aux Africains. Car, si elle était telle qu'ils le disent, ne serait-il pas venu dans la tête des princes d'Europe, qui font entre eux tant de conventions inutiles, d'en faire une générale en faveur de la miséricorde et de la pitié ?
.Montesquieu, De l'Esprit des Lois, livre XV, chapitre V
L'ironie de Montesquieu se révèle dans le contraste entre l'horreur des réalités évoquées et le détachement du ton qui est celui de la constatation tranquille ( ... )
Mais, si, dans ce dernier paragraphe, l'esclavagiste hausse le ton, si sa voix se fait presque menaçante à l'égard des "petits esprits" qui condamnent l'esclavage, on entend, derrière lui, s'enfler une autre voix qu'on entendait déjà monter dans le paragraphe précédent : celle du philosophe. Nous passons, en effet, avec ces deux derniers paragraphes, d'une ironie froide à une ironie ardente où l'on sent vibrer une colère de plus en plus difficile à contenir. La relative "qui font entre eux tant de conventions inutiles" est très ironique ( ... )
Mais sans doute était-il trop lucide pour nourrir l'illusion qu'il verrait lui-même exaucer un voeu si fervent. Et l'on sait qu'il faudra attendre près de cinquante ans après L'Esprit des Lois pour que, grâce à la Révolution française, cet appel commence à être entendu, et presque un siècle encore pour aboutir à une suppression à peu près générale de l'esclavage ( ... )
Si donc Montesquieu a choisi un procédé plus complexe qu'il ne semble tout d'abord, c'est, bien sûr, parce qu'il a voulu laisser à la subtilité de ses lecteurs le soin de découvrir toute la stupidité de certaines justifications; c'est parce qu'il a voulu ridiculiser les arguments réellement utilisés par les esclavagistes, en les reprenant presque textuellement et en les mettant sur le même plan que d'autres inventés de toutes pièces pour être d'une insigne ineptie; c'est surtout parce qu'il a voulu montrer non seulement l'extrême faiblesse de la position des esclavagistes sur le plan du droit, mais aussi la force des intérêts et des préjugés sur lesquels ils s'appuient. ( ... )
De l'esclavage des nègres est l'exemple même du texte ironique qui, pris à la lettre, dit le contraire de ce que l'auteur veut faire entendre, il arrive régulièrement que Montesquieu soit pris pour un esclavagiste. Assez récemment encore, dans le numéro de février 1988 du mensuel Actuel, on a pu lire, sous la plume du directeur de la publication, M. Jean-François Bizot, un article intitulé « Quand les Français étaient négriers » qui citait ce texte célèbre en le prenant à la lettre.
Et, qui plus est, croyant sans doute avoir fait une importante découverte, M. Jean-François Bizot n'a rien trouvé de mieux que de faire paraître, dans Le Monde ainsi que dans d'autres journaux, des placards publicitaires où, sur un fond noir, on lisait, en lettres blanches, la citation suivante : "On ne peut se mettre dans l'esprit que Dieu ait mis une âme dans un corps tout noir", et un peu plus bas : "Goebbels ? Peter Botha ? Non, Montesquieu".
Il est évident que M. Jean-François Bizot n'a pas lancé cette campagne publicitaire sans en parler à ses principaux collaborateurs et l'on peut même penser que toute l'équipe du journal a du être au courant. Il faut donc en conclure qu'il ne s'est trouvé personne, dans cette, équipe, pour relever une erreur aussi monstrueuse. Et apparemment personne non plus ne l'a relevée dans les services publicitaires du Monde et des autres journaux qui ont publié ces placards.( .. )
.Assez décodé ! Site de René Pommier
.Assez décodé ! Site de René Pommier
lundi 27 septembre 2010
"South Park - nous vous soutiendrions si nous n'avions pas si peur"
Les médias occidentaux se sont récemment émus, à l’unisson, du sort du dessin animé South Park et de ses auteurs. Victimes de menaces islamistes, ces derniers auraient vu un de leur épisode honteusement censuré alors qu'il montrait une image du prophète Mahomet.
Problème: l’image de Mahomet n’a pas été «censurée» et, une fois de plus, la série South Park, malgré ses énormes sabots, s’est sans doute révélée trop subtile pour les Lois binaires de l’Info. ( ... )
Dorénavant impliqués dans un jeu de défiance avec leur diffuseur Comedy Central, et ayant enfin touché du doigt ces limites que la série recherchait depuis ses débuts, les créateurs de South Park décidèrent quelques semaines plus tard de revenir sur l’affaire des caricatures de Mahomet. Dans l’épisode en deux parties Cartoon Wars, le pays est en proie à la panique lorsque la chaîne Fox annonce que sa série animée Les Griffin (Family Guy en vo) s’apprête à diffuser un épisode où l’on verra le visage de Mahomet. Craignant des représailles terroristes, les habitants de la ville de South Park décident à l’unanimité de s’enterrer la tête dans du sable, à la façon des autruches, pour montrer aux fondamentalistes musulmans qu’ils n’approuvent en rien cette diffusion. De leur côté, Al-Zawahiri et Ben Laden font paraître des vidéos de menaces, dans lesquelles ils semblent plus préoccupés par les faiblesses narratives de la série Family Guy que par la présence de Mahomet.

A la diffusion du deuxième épisode de Cartoon Wars, au moment fatidique de l’extrait imaginaire de Family Guy où devait apparaître Mahomet, un panneau noir envahissait l’écran avec la mention :
«Comedy Central a refusé de diffuser une image de Mahomet sur ses chaînes».
Pour Trey Parker et Matt Stone, cet évènement de dernière minute, qui donnait un sens beaucoup plus appuyé à leur propos, allait à n’en pas douter créer une violente polémique.
Or, il n’en fut rien !
Dans les jours qui suivirent, la discussion porta essentiellement sur la façon avec laquelle South Park s’était payé la poire de Family Guy, mais pratiquement aucune mention de l’image censurée. Parker et Stone furent chagrinés par cette non-controverse et le firent savoir à quelques journalistes. ( ... )
Tous les éléments étaient donc réunis pour mener au coup d’éclat récent du 200ème épisode, sobrement titré 200, un épisode anniversaire dans lequel les auteurs allaient, une bonne fois pour toutes, obliger leurs compatriotes à sortir la tête du sable et repenser à ce qui fait la liberté d’expression.

Beaucoup d'encre fut versé au sujet du costume d'ours du (prétendu) Mahomet. Mais aucun commentaire sur le fait que, dans le même épisode, Bouddha sniffait de la coke et Jésus insultait son propre nom ( ... )
Tom Cruise leur demande alors en échange de lui livrer le prophète Mahomet. Problème: comment la ville pourrait-elle livrer le prophète puisqu’il est interdit de montrer son visage ? Et tandis que l’on cherche un moyen de ne pas monter le visage de Mahomet (en l’acheminant dans une camionnette de livraison puis en le recouvrant d’un costume d’ours mascotte d’équipe de football), les enfants de la ville, qui le connaissent pour l’avoir déjà rencontré (en référence à l’épisode Les Super Meilleurs potes) aident le prophète à se cacher de ses multiples ravisseurs. Car il s’avèrera, dans la seconde partie de l’épisode, que celui qui se cachait sous le costume de mascotte de football n’est pas Mahomet mais le Père Noël, seul personnage mythique sur lequel les habitants ont réussi à mettre la main. ( ... )
Résumons
- Cet épisode très médiatisé est un épisode anniversaire, récapitulant tout ce qui a fait l’identité (et l’histoire mouvementée) de cette série
- Le costume de l’ours mascotte, qui a fait tardivement le tour des dépêches, n’est pas censé contenir Mahomet mais seulement le Père Noël
- Le panneau « censuré » qui recouvre Mahomet fait partie intégrante du récit et de son propos. Il a été créé par les auteurs eux-mêmes et non pas imposé par la chaîne

Dans un générique d'ouverture des Simpson, Bart écrit au nom de l'équipe :
"South Park - nous vous soutiendrions si nous n'avions pas si peur"
SOUTH PARK ET LES AUTRUCHES @rretsurimages via L'Islam en France
South Park T.V.http://fr.wikipedia.org/wiki/South_Park
Bien que Dieu soit habituellement mis en scène par une voix profonde et de la lumière venant du ciel, sa « véritable forme » apparaît dans la série : c'est en réalité un hybride de singe, de chat et d'hippopotame, avec une langue de reptile qu'il utilise pour manger des mouches. Dieu apparaît au paradis dès que quelqu'un prononce son nom et répond parfois aux mortels comme son fils Jésus. Dieu est lui-même bouddhiste, bien que seuls les mormons soient acceptés au paradis.
South Park
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Quelle est la différence entre un optimiste et un pessimiste ?
L'optimiste pense que l'on vit dans le meilleur des mondes possibles.
Le pessimiste pense que malheureusement c'est vrai.
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