mercredi 29 juillet 2009

Génie civil : Projets de "Terrassement Nucléaire" ( 1957 à 1987 )


L' application des explosions nucléaires à la construction des ports sur côte abrupte a été annoncée le 6 mars 1958 par le Dr W. F.Libby, président intérimaire de l' Atomic Energy Commission. Une mission a recherché l' été dernier l' emplacement le plus favorable pour un port pétrolier et minier en Alaska, au nord du cercle Arctique, entre le cap Seppings et le cap Thompson.

 L' exécution est actuellement prévue au moyen de quatre explosions nucléaires laissant une profondeur minimum de 90 m. D' après le Dr Brown, l' un des codirecteur du projet, le prix de revient ne dépasserait pas le dixième de celui d' un port construit par les méthodes de terrassement ordinaires (...)

Science et Vie

Les États-Unis programmèrent donc l’opération « Plowshare » (soc de charrue) dont le nom fait référence au texte du prophète Isaïe : « De leurs épées, ils forgeront des socs de charrues. » Sous de telles auspices « religieuses », une quarantaine d’explosions « civiles » ont eu lieu aux États-Unis à partir de 1957. Ainsi, un tir souterrain effectué à Gasbuggy le 10 décembre 1967 a permis de montrer qu’il était possible de « stimuler » l’extraction de gaz naturel. Cette opération a été payée pour un tiers par une société privée El Paso Natural Gaz. Cette dernière compagnie s’est associée au groupe Nobel français pour former la société « Geonuclear Nobel Paso » qui se propose d’organiser des essais nucléaires à des fins industrielles hors des États-Unis.

De son côté, la Russie aurait effectué 108 essais nucléaires souterrains «pacifiques» sur plus de vingt ans entre 1965 et 1987. Selon les relevés de tirs souterrains, 77 de ces explosions nucléaires «pacifiques» ont été effectuées en dehors des sites d’essais sur l’ensemble du territoire de l’Union soviétique. L’objectif de ces tirs était le percement de canaux, la création de réserves souterraines de gaz, l’optimisation de l’exploitation pétrolière…

"Sortir du nucléaire"

jeudi 23 juillet 2009

" Lettres à un jeune poète " par Rainer-Maria Rilke ( 1903 - 1908 )

Les enfants sont toujours comme l’enfant que vous fûtes : tristes et heureux ; 

et si vous pensez à votre enfance, vous revivez parmi eux, parmi les enfants secrets. 

Les grandes personnes ne sont rien, leur dignité ne répond à rien.


Une seule chose est nécessaire : la solitude. La grande solitude intérieure. Aller en soi-même, et ne rencontrer durant des heures personne, c’est à cela qu’il faut parvenir. Être seul comme l’enfant et seul quand les grandes personnes vont et viennent, mêlées à des choses qui semblent grandes à l’enfant et importantes du seul fait que les grandes personnes s'en affairent et que l’enfant ne comprend rien à ce qu’elles font.

Le jour où l’on voit que leurs soucis sont misérables, leurs métiers refroidis et sans rapports avec la vie, comment alors ne pas continuer de les regarder, ainsi que fait l’enfant, comme chose étrangère, du fond de son propre monde, de sa grande solitude qui est elle-même travail, rang et métier ? Pourquoi vouloir échanger le sage ne-pas-comprendre de l’enfant contre lutte et mépris, puisque ne pas comprendre c’est accepter d’être seul, et que lutte et mépris ce sont des façons de prendre part aux choses mêmes que l’on veut ignorer ? (...)

Et même si, loin de tout métier, vous aviez cherché à créer entre vous et la société des rapports souples et libres, ce sentiment d’oppression ne vous aurait pas été épargné. Il en va partout ainsi, mais ce n’est pas une raison d’être inquiet ou triste. S’il n’est pas de communion entre les hommes et vous, essayez d’être près des choses : elles ne vous abandonneront pas. Il y a encore des nuits, il y a encore des vents qui agitent les arbres et courent sur les pays.

Dans le monde des choses et dans celui des bêtes, tout est plein d’événements auxquels vous pouvez prendre part. Les enfants sont toujours comme l’enfant que vous fûtes : tristes et heureux ; et si vous pensez à votre enfance, vous revivez parmi eux, parmi les enfants secrets. Les grandes personnes ne sont rien, leur dignité ne répond à rien.

http://beq.ebooksgratuits.com/classiques/Rilke_Lettres_a_un_jeune_poete.pdf

Il faut avoir des souvenirs de beaucoup de nuits d’amour, dont aucune ne ressemblait à l’autre, de cris de femmes hurlant en mal d’enfant, et de légères, de blanches, de dormantes accouchées qui se refermaient. Il faut encore avoir été auprès de mourants, être resté assis auprès de morts, dans la chambre, avec la fenêtre ouverte et les bruits qui venaient par à-coups. Et il ne suffit même pas d’avoir des souvenirs. Il faut savoir les oublier quand ils sont nombreux, et il faut avoir la grande patience d’attendre qu’ils reviennent.

Car les souvenirs eux-mêmes ne sont pas encore cela. Ce n’est que lorsqu’ils deviennent en nous sang, regard, geste, lorsqu’ils n’ont plus de nom et ne se distinguent plus de nous, ce n’est qu’alors qu’il peut arriver qu’en une heure très rare, du milieu d’eux, se lève le premier mot d’un vers.

Les Cahiers de Malte Laurids Brigge

samedi 11 juillet 2009

La « monnaie « fondante » ou « monnaie franche »


 Au 1er janvier 1933, Wôrgl avait une nouvelle piste de ski (tremplin) et une piscine... Un nouveau pont en ciment armé portait l’inscription : « Construit en 1933 avec de l’argent libre ».

Déjà plusieurs communes voisines allaient être admises par Wôrgl dans le système. C’est alors qu’une plainte contre le maire de Wôrgl fut déposée à la Cour suprême de Vienne... 



Silvio Gesell, un Belgo - Allemand, avait fait une rapide fortune en Argentine à la fin du XIXe siècle. Revenu au pays, il étudia à fond les problèmes des monnaies, assujetties ou non à perception d’intérêt par leurs émetteurs. Avant la guerre de 14, il conçut son maître livre, L’Ordre Économique Naturel. Il y posait les bases de la Monnaie Franche qui n’est pas vraiment une monnaie puisqu’il n’y a aucun intérêt à la thésauriser.

Cette monnaie, pour tourner plus vite et fertiliser au mieux le corps économique, perdait 1 % de son montant, à date mensuelle fixe ; perte qu’il fallait compenser par un timbre de 1 % collé sur le dos du billet pour qu’il puisse circuler.

Cette accélération (d’un facteur 4 à un facteur 8... ) était due, selon Fischer, à l’effet psychologique de la perte à éviter (par l’acheteur).
Utilisée 20 fois (dont 3 en France) lors des grandes crises économiques, elle permit des métamorphoses incroyables :

- À Wôrgl (Autriche, 1932-33), elle résorba en 11 mois un chômage au taux de 60 %.
- En 1956, à Lignières-en-Berry (France), elle ressuscita en un an une petite ville ruinée par la désertification des campagnes, comme le relate Science et vie n° 488, et l’utilisation des « bons d’achat » émis par le Maire fut ensuite interdite par De Gaulle.
- Mêmes effets à Marans (France) en 1957-58.
- Et à Porto Alegre (Brésil) en 58.
- En 33-34, aux USA, bien qu’elle ait été utilisée très maladroitement (selon L. Fischer, qui avait étudié de près ses procédures en Europe), elle créa des redressements inespérés dans 14 villes. Le Congrès s’apprêtait à la légaliser quand le projet de « New Deal » de Roosevelt fit tout stopper.

Le « miracle monétaire » de Wôrgl

La commune autrichienne de Wôrgl était une petite ville industrielle. En 1932, elle comptait 4300 habitants, dont 1500 étaient chômeurs (60 %).Les impôts ne rentraient pas et la situation financière de la ville était désastreuse. Voulant mettre fin à ce marasme, le bourgmestre avait suivi avec intérêt l’expérience de Schwanenkirchen. Pour vaincre les difficultés de trésorerie de son administration, il décida de se servir de la « monnaie franche ».

Certains commerçants de Wôrgl, tout comme à Schwanenkirchen, refusèrent au début d’accepter cette monnaie qui avait une trop grande ressemblance avec la monnaie légale ; mais quand ils se rendirent compte de l’intensité de la circulation et constatèrent que les employés et ouvriers municipaux achetaient dans les boutiques qui acceptaient cette monnaie auxiliaire, l’esprit de concurrence reprit bien vite le dessus et ils suivirent l’exemple des autres...

Or, après l’introduction de la « monnaie franche », non seulement les impôts courants furent payés, mais la ville réussit à solder tous ses arriérés, elle put faire exécuter, dans le deuxième semestre 1932, 100.000 schillings de travaux : sept routes neuves, sept km d’asphaltage ; douze nouvelles rues furent projetées... On étendit le système de canalisations. On planta des arbres, on reboisa la forêt... La vie économique prit une intensité incroyable... Et il y eut du travail pour tous !

Les banques profitaient également de cette activité retrouvée.
Au 1er janvier 1933, Wôrgl avait une nouvelle piste de ski (tremplin) et une piscine... Un nouveau pont en ciment armé portait l’inscription : « Construit en 1933 avec de l’argent libre ».
Déjà plusieurs communes voisines allaient être admises par Wôrgl dans le système. C’est alors qu’une plainte contre le maire de Wôrgl fut déposée à la Cour suprême de Vienne... Le Conseil municipal contre-attaqua en prouvant :

- que la commune avait pu payer tous ses arrérages sur les impôts (120.000 schillings),
- qu’elle avait réussi à exécuter bon nombre de travaux publics de première nécessité,
- que le chômage avait été complètement résorbé,
- que l’économiste américain, le professeur Irving Fisher, de l’Université de Yale, avait envoyé en décembre 1932 une commission pour étudier cette expérience,
- qu’il ne s’agissait que d’une « monnaie auxiliaire » et non d’une monnaie véritable.

Rien n’y fit ! De procès en procès, la Banque d’Autriche plaida l’atteinte à son privilège d’émission par cette monnaie « hérétique » (sic). La commune fut obligée de retirer ces « bons »...
La manière dont le tribunal a débouté Wôrgl de son recours montre qu’elle reconnaissait les effets très positifs de cette expérience, qui avait conduit à une reprise économique rapide, mais qu’elle refusait de la laisser poursuivre, renvoyant de ce fait les citoyens à la misère.

wiki.societal

Silvio Gesell

L'ordre économique naturel

samedi 4 juillet 2009

"Ces études qui attaquent la télévision"


Elle ne lasse pas. Pire, elle intoxique. Elle enchaîne les foyers, colonise les pensées quotidiennes, s'implante dans les espaces publics, après avoir déjà largement modifié l'espace social et familial. Constat global de ces études : la télévision affaiblit la capacité d'attention, engendre un état d'hypnose sous couvert de relaxation, elle se passe de l'activité intelligente, critique, l'altère même, mettant les neurones au repos. (...)

Le neurologue américain Thomas Mulholland, montre, lui, sur la base d'électroencéphalogrammes (EEG), que la télévision plonge dans un état de somnolence, de léthargie du cerveau. Du fait de la suspension d'activité du cerveau, celui-ci est mis, face aux images projetées, dans un état d'hypnose. Contrairement à son hypothèse de départ, qui était de considérer que le cerveau était en état d'activité face à la télévision (ce qui aurait dessiné des ondes bêta sur l'EEG), l'EEG dessine des ondes alpha. Ces ondes sont celles que l'on observe lorsque l'être humain ne fait rien. Moins le cerveau travaille, plus il produit des ondes alpha. En revanche, lorsque l'on fixe son attention, il n'y a plus d'ondes alpha. Un pas de plus est franchi, la télévision provoque un état de somnolence proche de celui de l'hypnose. (...)

Des études faites sur des tout-petits montrent le danger de placer de façon répétée un bébé face aux images qui bougent sur l'écran. La plus importante de ces études est celle publiée en 2007 dans la revue américaine «Pediatrics» par deux chercheurs de l'université de Washington (Seattle), Dimitri Christakis et Frederick Zimmerman. Sur un panel de 3300 familles, elle révèle que l'exposition à la télévision avant 3 ans engendre quelques années plus tard des troubles de l'attention définis dans la nosographie américaine comme ceux du «deficit attention disorder» (TDAH. Cf. les troubles du déficit d'attention avec ou sans hyperactivité stigmatisés notamment dans les écoles). L'étude confirmait l'hypothèse selon laquelle la consommation audiovisuelle précoce engendre une modification de la synaptogenèse, c'est-à-dire de la formation du cerveau infantile et de son appareil psychique.(...)

Revenons aux adultes. Si la télévision est dangereuse pour les enfants, elle l'est aussi pour les adultes, bien au-delà du conditionnement publicitaire. Divertie ou trompée – que d'erreurs, d'errements, de non-vérités, de fuites au journal télévisé et ailleurs –, la masse sociale se détourne des enjeux du politique et entre dans le monde de la fiction, une fiction dont la ressemblance avec la réalité sera d'ailleurs un atout de crédibilité. La télévision est avant tout un remède au mal-être, peu cher et mal connu, qui ressemble aux drogues… La conversation autour des séries télévisées ou des fictions est associée à un sentiment d'évasion mais aussi de dégoût de soi. Cet arrière-monde télévisuel est proche d'une toxicomanie. Et celle-ci se trahit comme pour toute addiction par le dégoût qui s'associe au geste de s'installer devant son téléviseur et de disposer son esprit à ingurgiter des émissions sans distinction. Créant une illusion de satisfaction et un monde parallèle, elle agit aussi au détriment de l'implication de chacun dans la réalité sociale et politique. Au détriment, pour un certain nombre d'entre nous, des liens de famille qui ne résistent pas à la fascination et au dérivatif fournie par la télévision, qui crée comme un manque addictif. Mais aussi au détriment, pour une majorité «silencieuse» de leur implication dans des luttes et des combats de société.(...)

Louise A. Renard

Ars Industrialis

mediapart



Le mystère de la spectaculaire étude sur les enfants et la télé


Au début janvier, l’Inspecteur viral du journal Métro proposait dix questions pour débusquer les articles scientifiques bidons. La mystérieuse image sur les enfants et la télé ne passe malheureusement pas le test. 


lundi 29 juin 2009

« pseudo-crise » à Trinité-et-Tobago



Pendant des années, des rumeurs avaient couru au sujet de la participation des institutions financières internationales à la création de « pseudo-crises », (…)




 Le témoignage le plus détaillé vient de Davison Budhoo, employé du FMI passé à la dénonciation,(…)

Lorsque l’organisation effectua un virage à droite prononcé, à l’ère du thatchérisme et du reaganisme, Budhoo, d’une grande indépendance d’esprit, se sentit de plus en plus mal à l’aise dans son milieu de travail.

 Le FMI était désormais truffé de Chicago Boys soumis à l’autorité de Michel Camdessus, économiste néolibéral convaincu. Après avoir quitté son poste en 1988, Budhoo décida de consacrer sa vie à dévoiler les secrets de son ancien employeur. Tout commença par la remarquable lettre ouverte qu’il adressa à Camdessus, (…)

Manifestant pour le langage un enthousiasme rare chez les économistes en chef du Fonds, Budhoo commençait sa lettre en ces termes :

« Aujourd’hui, je démissionne de mon poste au Fonds monétaire international après douze années de services et 1000 jours de travail sur le terrain ; période au cours de laquelle j’ai fait avaler votre médecine et vos tours de passe-passe aux peuples d’Amérique latine, des Antilles et de l’Afrique. Cette démission est pour moi une inestimable libération : c’est le premier pas que je franchis dans l’espoir de laver un jour mes mains de ce qui, dans mon esprit, représente le sang de millions de pauvres et d’affamés. (…)

Parfois j’ai l’impression qu’il n’y aurait pas assez de savon dans le monde pour me laver des gestes que j’ai commis en votre nom. »

Budhoo entreprend ensuite d’étayer ses accusations. Il reproche au FMI d’utiliser les statistiques comme une arme « mortelle » . Avec force détails, il montre comment, en tant qu’employé du FMI, au milieu des années 1980, il a été mêlé à des cas de « fraudes statistiques » visant à exagérer les chiffres contenus dans les rapports du FMI concernant Trinité-et-Tobago, riche en pétrole, afin de donner l’impression que le pays était beaucoup plus instable qu’il ne l’était en réalité. (…)

Ces « irrégularités grossières » , qui, selon Budhoo , étaient délibérées et non le résultat de calculs bâclés, furent acceptées telles quelles par les marchés financiers, qui rangèrent Trinité-et-Tobago dans la catégorie des mauvais risques et mirent fin à son financement. Les problèmes économiques du pays – déclanchés par une diminution subite du prix du pétrole, sa principale exportation – devinrent rapidement catastrophiques, et il fut contraint de supplier le FMI de le tirer d’affaire.

 Le Fond exigea en contrepartie l’acceptation de ce que Budhoo appelle « sa médecine la plus mortelle » : licenciements, diminution de salaire et « toute la panoplie » des politiques d’ajustement structurel. Selon Budhoo il s’agissait d’ « un subterfuge visant à priver sciemment Trinité-et-Tobago d’une porte de sortie économique » et à « détruire l’économie du pays pour la reconvertir ensuite ». (…)

Après la publication de la lettre, le gouvernement de la Trinité commanda deux études indépendantes pour faire la lumière sur les accusations qu’elle contenait, qui se révélèrent fondées : le FMI avait bel et bien gonflé et fabriqué des chiffres, entraînant des effets dévastateurs sur le pays.(23) (…)

En 1996, on tira toutefois de la lettre une pièce intitulée Mr. Budhoo’s Letter of resignation from the I.M.F. ( 50 Years Is Enouth ), qui fut présentée dans un petit théâtre de l’East Village à New York.

 La production reçut un accueil étonnamment élogieux de la part du New York Times, qui, dans une courte critique, loua sa « rare créativité », et ces « accessoires inventifs ». Le nom de Budhoo était apparu pour la première et la dernière fois dans le New York Times.

(23) « Bitter Calypsos in the Caribbean », Guardian (Londres), le 30 juillet 1990 ;
Robert Weissman, « Playing with Numbers : The IMF’s Fraud in Trinidad and Tobago », Multinational Monitor, vol 11, n° 6, juin 1990.

« La stratégie du choc » par Naomi Klein ( Actes Sud ) pages 315-317.

Articles de Naomi Klein

« La stratégie du choc » par Naomi Klein  

http://inventin.lautre.net/livres/Klein-La-strategie-du-choc.pdf

mardi 23 juin 2009

"De la méthode des études de notre temps" par Giambattista Vico (1708)


La critique de la « critique » à laquelle Vico se livre dans le De ratione aboutit à ce reproche fondamental : fascinée par la rigueur du modèle mécaniste, la culture moderne se consacre entièrement à l’étude du monde naturel et néglige presque totalement l’étude de l’homme moral et de l’homme civil, parce que le monde humain, livré au libre arbitre et à l’occasion, ne relève pas d’une véritable « science ». 



Il s’agit là d’un renversement total de la perspective de la culture antique, qui était essentiellement « politique », dans la mesure où, chez elle, « la science du raisonnement, celle de la nature, celle de l’âme humaine « étaient subordonnées à la « prudence civile », cette finalité politique donnant à l’éducation, qui est la formation de futurs citoyens et non de simples individus, sa cohérence et sa pleine efficacité. Montesquieu, si proche à tant d’égards de Vico, fera la même constatation : « Chez les Grecs et les Romains, l’admiration pour les connaissances politiques et morales fut portée jusqu’à une espèce de culte. Aujourd’hui nous n’avons d’estime que pour les sciences physiques, nous en sommes entièrement occupés, et le bien et le mal politiques sont, parmi nous, un sentiment, plutôt qu’un objet de connaissance [...]

On a, dans notre siècle, donné un tel degré d’estime aux connaissances physiques que l’on [n’]a conservé que de l’indifférence pour les morales». Là encore, Descartes est exemplaire. « Spectateur plutôt qu’acteur en toutes les comédies qui se jouent dans le monde », pensant que la meilleure occupation qu’il peut avoir dans la vie est de s’employer à cultiver sa raison et à avancer autant qu’il le pourra en la connaissance de la vérité selon la méthode qu’il s’est prescrite, il dénie au philosophe, simple particulier, toute compétence à s’occuper de réformer l’État. Le philosophe moderne n’a plus la vocation « politique » que lui reconnaissaient Platon, Aristote ou Cicéron, il doit se consacrer à la « théorie », à la métaphysique et à la science. 

Quand il s’agit des affaires de l’État, il s’en remet aux Grands (mais qui les conseillera ?) et se réfugie dans le conservatisme et le conformisme systématiques (teintés, chez Pascal, d’un pessimisme cynique). Il n’en peut aller autrement, pense Vico, puisque l’idéal moderne de la science n’admet, comme valeur suprême, que la vérité, et n’est donc pas applicable au monde de la praxis, c’est-à-dire, au sens grec, de l’action politique. La seule pratique que la science moderne puisse concevoir, c’est la practica theoriae, l’application d’une théorie scientifique, qui tire son efficacité de la validité de la théorie elle-même. Or il ne peut y avoir de théorie « scientifique » de l’action politique, qui n’est ni nécessaire ni géométriquement déductible, et reste soumise à la contingence, au hasard, aux circonstances, à un temps qui n’est pas celui de la mécanique. On est alors réduit à abandonner la politique au « sentiment », comme disait Montesquieu, ou plutôt à la routine empirique, ou, pis encore, à l’habileté du « machiavélisme ». (…)

Vico, dans le De ratione, rallume cette querelle qui semblait désormais close au profit des sciences de la nature et de ces sciences mathématiques dont les idéalités, créées par l’homme, lui permettent de parvenir à une certaine intelligence des réalités physiques et à leur manipulation. Il croit que l’homme ne vit pas seulement en savant et en technicien, en chercheur professionnel de vérité. Il vit aussi, et d’abord, comme le savaient les anciens, en défricheur de la grande forêt primordiale, en constructeur de cités, en législateur, c’est-à-dire en poète, en créateur de mots, en raconteur de fables et d’histoires. 

Il habite en homme le monde, en délimitant et marquant des « lieux » qui lui soient communs avec les autres hommes, qui soient des lieux humains. Et c’est ce défrichement, ce travail « toponymique » de l’homme « topique » qui a permis l’apparition de ce tard-venu, fragile et plein de démesure, qu’est l’homme « critique ». Les avertissements de Vico, adressés à des jeunes gens, en 1708, à l’aube du siècle des Lumières et de la raison triomphante, avaient peu de chance d’être entendus. Mais les idées ont aussi leurs ricorsi et viennent en appel. Notre modernité a perdu ses certitudes massives, et il n’y a pas besoin de tirer Vico vers elle, c’est elle qui vient à lui. Beaucoup de ses questions sont à nouveau les nôtres. Le temps de la prudence est revenu.

traduction du texte intégral avec présentation par Alain Pons ( PDF )

dimanche 14 juin 2009

" Nanotechnologies"


“La sécurité est très souvent vécue dans nos sociétés démocratiques comme une atteinte aux libertés individuelles. Il faut donc faire accepter par la population les technologies utilisées et parmi celles-ci la biométrie, la vidéosurveillance et les contrôles.


Plusieurs méthodes devront être développées par les pouvoirs publics et les industriels pour faire accepter la biométrie. Elles devront être accompagnées d’un effort de convivialité par une reconnaissance de la personne et par l’apport de fonctionnalités attrayantes :

• Éducation dès l’école maternelle, les enfants utilisent cette technologie pour rentrer dans l’école, en sortir, déjeuner à la cantine, et les parents ou leurs représentants s’identifieront pour aller chercher les enfants.

• Introduction dans des biens de consommation, de confort ou des jeux : téléphone portable, ordinateur, voiture, domotique, jeux vidéo.

• Développer les services « cardless » à la banque, au supermarché, dans les transports, pour l’accès Internet... La même approche ne peut pas être prise pour faire accepter les technologies de surveillance et de contrôle, il faudra probablement recourir à la persuasion et à la réglementation en démontrant l’apport de ces technologies à la sérénité des populations et en minimisant la gène occasionnée. Là encore, l’électronique et l’informatique peuvent contribuer largement à cette tâche.”

“Livre Bleu” du GIXEL

“Au niveau médical, les assureurs pourraient varier leurs tarifs selon si vous avez ou non sous la peau des puces de diagnostic précoce. Des personnes peuvent estimer que cela va à l’encontre de leur vie privée, qu’on pourrait les pister à distance. On peut aussi se demander comment se comporteront les nanoparticules dans l’environnement. Ce n’est pas au scientifique de répondre à ses questions, mais au citoyen.” (Jean Therme directeur du CEA Grenoble).

L’aiguillage vers les labos et les programmes de recherche en nanotechnologies de gigantesques flux de crédits ne vise pas seulement à s’assurer la suprématie lors du prochain cycle militaro-industriel. Il existe au-delà tout un courant fondateur et dominant des nano-sciences (Eric Drexler, Ray Kurzweil, Marvin Minsky, Hans Moravec, Mihail Roco, William S. Bainbridge, etc) qui, sous des noms divers : "cyborg", "successeur", "mutant", vise à l’avènement de l’homme-machine. Roboman, si l’on veut, censé être la version technoïde du surhomme nietzchéen. "Ceux qui décideront de rester humains et refuseront de s’améliorer auront un sérieux handicap", déclare le cybernéticien Kevin Warwick ( Libération , 11-12/05/02). "Ils constitueront une sous-espèce et formeront les chimpanzés du futur."

Il se trouve justement que William Bainbridge a publié en 1985 un livre intitulé “ Génétique culturelle ”. Et il développe dans le rapport NBIC les perspectives de la mémétique (pp. 318 et suivantes) : “ Certaines idées peuvent avoir la force de "virus sociaux" aux effets aussi délétères que des virus biologiques ”, explique-t-il dans ce rapport. Il propose donc d’“ étudier la culture avec les méthodes de la bioinformatique ” et recommande une initiative analogue au projet Génome humain, le “ Human Cognome Project ”, pour “ comprendre et maîtriser les mystères du génome culturel ”].

On arrive ici au point culminant de cette nouvelle idéologie. Sa prétention est de décrire les “ automates mentaux ” de façon à les maîtriser puis les manipuler. Les courants de pensée deviennent des objets quantifiables. De même que l’on a abandonné la compréhension de la vie avec le gène, on abandonne celle de la pensée avec la neuroéthique (qui vise à localiser les aires de la morale ou de la religion) puis avec la mémétique. “ C’est seulement si nous renonçons à une explication de la vie au sens commun du mot que s’offre à nous une possibilité de prendre en compte ce qui la caractérise. ” estimait Niels Bohr.

“ Dans la science moderne, la mathématisation de la nature s’est imposée comme une fin en soi ”, souligne le mathématicien Olivier Rey [9]. Mais avec elle, “ le monde n’est pas compris, il est mathématisé : par là il est fonctionnalisé mais il ne reçoit aucun sens. Au contraire tout sens lui est ôté : l’homme n’y trouve plus rien qui lui parle. ”

[9] O. Rey (2003) Itinéraire de l’égarement. Du rôle de la science dans l ’absurdité contemporaine, Seuil Paris.

Pièces et Main d'Œuvre
Quelle est la différence entre un optimiste et un pessimiste ?

L'optimiste pense que l'on vit dans le meilleur des mondes possibles.
Le pessimiste pense que malheureusement c'est vrai.