L'art de mémoire (ars memoriae), appelé aussi méthode des loci, méthode des lieux ou plus récemment palais de la mémoire, est une méthode mnémotechnique pratiquée depuis l'Antiquité; le poète Simonide de Céos en serait l'inventeur. Elle sert principalement à mémoriser de longues listes d'éléments ordonnés. Elle est basée sur le souvenir de lieux déjà bien connus, auxquels on associe par divers moyens les éléments nouveaux que l'on souhaite mémoriser.
L'existence de cette méthode est rapportée par un document en latin d'auteur inconnu, dénommé La Rhétorique à Herennius (Rhetorica ad Herennium), écrit vers 85 av. J.-C. L'auteur de ce manuel de rhétorique en examine les cinq parties, considérant que la quatrième de ces parties concerne la mémoire, partie dans laquelle il explique la méthode des lieux:
" Maintenant, nous parlerons de la mémoire artificielle. Elle comprend les cases et les images. Par cases, nous entendons les ouvrages de la nature ou de l'art tels que, dans un espace restreint, ils forment un tout complet et capable d'attirer l'attention, si bien que la mémoire naturelle puisse facilement les saisir et les embrasser : tels sont un palais, un entre-colonnement, un angle, une voûte et d'autres choses semblables.
Les images sont des formes qui permettent de reconnaître et de représenter l'objet que nous voulons nous rappeler ; par exemple, si nous voulons évoquer le souvenir d'un cheval, d'un lion, d'un aigle, il nous faudra placer l'image de ces animaux dans des lieux déterminés. (…)
Mais comme il arrive ordinairement que, parmi les images, les unes soient durables, frappantes et capables de mettre sur la voie, les autres faibles, passagères et presque incapables de réveiller les souvenirs, il faut examiner la cause de ces différences, afin que, la connaissant, nous puissions savoir les images que nous devons écarter ou rechercher.
Or, d'elle-même, la nature nous enseigne ce qu'il faut faire. En effet, dans la vie courante, si nous voyons des choses peu importantes, ordinaires, banales, ordinairement nous ne nous en souvenons pas, parce que l'esprit n'est frappé d'aucune circonstance nouvelle et propre à soulever l'étonnement. Au contraire, si nous voyons une chose particulièrement honteuse, infâme, extraordinaire, importante, incroyable, propre à faire rire, ou si nous en entendons parler, généralement nous en conservons longtemps le souvenir.
Aussi ce que nous voyons sous nos yeux ou ce que nous entendons chaque jour, nous l'oublions presque toujours ; ce qui nous est arrivé dans notre enfance, c'est souvent ce que nous nous rappelons le mieux ; la seule explication possible de ce double phénomène, c'est que les choses ordinaires s'échappent de notre mémoire, alors que les choses remarquables par leur nouveauté restent plus longtemps dans l'esprit.(…)
Les images devront donc être choisies dans le genre qui peut rester le plus longtemps gravé dans la mémoire. Ce sera le cas, si nous établissons des similitudes aussi frappantes que possible ; si nous prenons des images qui ne soient ni nombreuses ni flou, mais qui aient une valeur ; si nous leur attribuons une beauté exceptionnelle ou une insigne laideur ; si nous ornons certaines, comme qui dirait de couronnes ou d'une robe de pourpre, pour que nous reconnaissions plus facilement la ressemblance, ou si nous les enlaidissons de quelque manière, en nous représentant telle d'entre elles sanglante, couverte de boue, ou enduite de vermillon, pour que la forme nous frappe davantage, ou encore en attribuant à certaines images quelque chose qui soulève le rire : car c'est là aussi un moyen pour nous de retenir plus facilement.
En effet, les choses dont nous nous souvenons facilement, quand elles existent, il ne sera pas difficile de nous en souvenir, si elles sont imaginaires et soigneusement distinguées. Mais ce qu'il faudra, c'est parcourir rapidement en pensée les premières cases de chaque série, afin de rafraîchir le souvenir des images. "
Peut-être à la suite de l'exemple de Metrodorus que décrivit Quintilien, Giordano Bruno utilisa vers 1582 une variante de cette technique dans laquelle les lieux de référence étaient les signes du zodiaque. Sa méthode était très élaborée. Elle se fondait sur les combinaisons de cercles concentriques du missionnaire espagnol Raymond Lulle et était remplie d'images censées représenter toute la connaissance du Monde.
Elle devait être utilisée de manière magique comme un chemin pour atteindre le monde des idées au-delà des apparences et obtenir ainsi le pouvoir d'influer sur les événements du monde réel. Sur ses cinq principaux ouvrages, trois étaient des traités concernant l'hermétisme. D'aussi enthousiastes revendications en faveur de la portée encyclopédique de l'art de mémoire sont fréquentes à la Renaissance. Elles eurent de sérieux développements logiques et scientifiques aux xvie et xviie siècles.
Puritanisme et abandon de la méthode
En 1584, une grande controverse sur cette méthode éclata en Angleterre où les puritains l'attaquèrent comme impie parce qu'elle fait appel à des pensées absurdes ou obscènes pour générer des images mémorables. Le scandale fut grand, mais finalement pas fatal à la méthode. Érasme de Rotterdam et d'autres humanistes, protestants comme catholiques, critiquèrent également les pratiquants de cette méthode qui en faisaient une apologie extravagante, bien qu'ils fussent eux-mêmes convaincus de la nécessité d'une mémoire ordonnée et bien formée dans l'élaboration d'une pensée efficace.
L'art de mémoire en tant que tel fut alors largement abandonné dans le cursus des écoles et des universités et il est maintenant enseigné et pratiqué de manière informelle bien que, dans l'étude de l'argumentation, certains de ses aspects constituèrent toujours une part importante des cours de logique et de rédaction des études supérieures. L'art de mémoire resta aussi enseigné tout au long du xixe siècle comme pouvant être utile aux orateurs et aux conférenciers.
http://www.internetactu.net/2017/03/15/le-retour-des-palais-de-memoire/
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