«Le scénario de l’effondrement l’emporte»
Nous sommes avant la première crise pétrolière de 1973, et pour tout le monde, la croissance économique ne se discute pas. Aujourd’hui encore, elle reste l’alpha et l’oméga des politiques publiques. En 2004, quand les auteurs enrichissent leur recherche de données accumulées durant trois décennies d’expansion sans limites, l’impact destructeur des activités humaines sur les processus naturels les conforte définitivement dans leur raisonnement. Et ils sont convaincus que le pire scénario, celui de l’effondrement, se joue actuellement devant nous. Rencontre avec l’un de ces scientifiques, Dennis Meadows, à la veille de la conférence de Rio + 20. ( ... )
Vous semblez penser que l’humanité n’a plus de chance de s’en sortir ?
Avons-nous un moyen de maintenir le mode de vie des pays riches ? Non. Dans à peine trente ans, la plupart de nos actes quotidiens feront partie de la mémoire collective, on se dira : «Je me souviens, avant, il suffisait de sauter dans une voiture pour se rendre où on voulait», ou «je me souviens, avant, on prenait l’avion comme ça». Pour les plus riches, cela durera un peu plus longtemps, mais pour l’ensemble des populations, c’est terminé.
On me parle souvent de l’image d’une voiture folle qui foncerait dans un mur. Du coup, les gens se demandent si nous allons appuyer sur la pédale de frein à temps. Pour moi, nous sommes à bord d’une voiture qui s’est déjà jetée de la falaise et je pense que, dans une telle situation, les freins sont inutiles. Le déclin est inévitable.
En 1972, à la limite, nous aurions pu changer de trajectoire. A cette époque, l’empreinte écologique de l’humanité était encore soutenable. Ce concept mesure la quantité de biosphère nécessaire à la production des ressources naturelles renouvelables et à l’absorption des pollutions correspondant aux activités humaines.
En 1972, donc, nous utilisions 85% des capacités de la biosphère. Aujourd’hui, nous en utilisons 150% et ce rythme accélère. Je ne sais pas exactement ce que signifie le développement durable, mais quand on en est là, il est certain qu’il faut ralentir. C’est la loi fondamentale de la physique qui l’exige : plus on utilise de ressources, moins il y en a. Donc, il faut en vouloir moins. ( ... )
Depuis quarante ans, qu’avez-vous raté ?
Nous avons sous-estimé l’impact de la technologie sur les rendements agricoles, par exemple. Nous avons aussi sous-estimé la croissance de la population. Nous n’avions pas imaginé l’ampleur des bouleversements climatiques, la dépendance énergétique. En 1972, nous avions élaboré treize scénarios, j’en retiendrais deux : celui de l’effondrement et celui de l’équilibre. Quarante ans plus tard, c’est indéniablement le scénario de l’effondrement qui l’emporte ! Les données nous le montrent, ce n’est pas une vue de l’esprit.
Le point-clé est de savoir ce qui va se passer après les pics. Je pensais aussi honnêtement que nous avions réussi à alerter les dirigeants et les gens, en général, et que nous pouvions éviter l’effondrement. J’ai compris que les changements ne devaient pas être simplement technologiques mais aussi sociaux et culturels.
Or, le cerveau humain n’est pas programmé pour appréhender les problèmes de long terme. C’est normal : Homo Sapiens a appris à fuir devant le danger, pas à imaginer les dangers à venir. Notre vision à court terme est en train de se fracasser contre la réalité physique des limites de la planète.
Qu'entendez-vous par effondrement ?
La réponse technique est qu'un effondrement est un processus qui implique ce que l'on appelle une "boucle de rétroaction positive", c'est-à-dire un phénomène qui renforce ce qui le provoque. Par exemple, regardez ce qui se passe en Grèce: la population perd sa confiance dans la monnaie. Donc elle retire ses fonds de ses banques. Donc les banques sont fragilisées. Donc les gens retirent encore plus leur argent des banques, etc. Ce genre de processus mène à l'effondrement.
On peut aussi faire une réponse non technique : l'effondrement caractérise une société qui devient de moins en moins capable de satisfaire les besoins élémentaires : nourriture, santé, éducation, sécurité.
La croissance mondiale va donc inéluctablement s'arrêter ?
La croissance va s'arrêter en partie en raison de la dynamique interne du système et en partie en raison de facteurs externes, comme l'énergie. L'énergie a une très grande influence. La production pétrolière a passé son pic et va commencer à décroître. Or il n'y a pas de substitut rapide au pétrole pour les transports, pour l'aviation... Les problèmes économiques des pays occidentaux sont en partie dus au prix élevé de l'énergie.
Dans les vingt prochaines années, entre aujourd'hui et 2030, vous verrez plus de changements qu'il n'y en a eu depuis un siècle, dans les domaines de la politique, de l'environnement, de l'économie, la technique. Les troubles de la zone euro ne représentent qu'une petite part de ce que nous allons voir. Et ces changements ne se feront pas de manière pacifique.
Mais qu’est-ce qui résoudra le problème alors ?
Rien. La plupart des problèmes, nous ne les résolvons pas. Nous n’avons pas résolu le problème des guerres, nous n’avons pas résolu le problème de la démographie. En revanche, le problème se résoudra de lui-même parce que vous ne pouvez pas avoir une croissance physique infinie sur une planète finie. Donc la croissance va s’arrêter.
Les crises et les catastrophes sont des moyens pour la nature de stopper la croissance. Nous aurions pu l’arrêter avant, nous ne l’avons pas fait donc la nature va s’en charger. Le changement climatique est un bon moyen de stopper la croissance. La rareté des ressources est un autre bon moyen. La pénurie de nourriture aussi. Quand je dis « bon », je ne veux pas dire bon éthiquement ou moralement mais efficace. Ça marchera.
Mais y-a-t-il une place pour l’action ?
La nature va-t-elle corriger les choses de toute façon ?
En 1972, nous étions en dessous de la capacité maximum de la Terre à supporter nos activités, à 85% environ. Aujourd’hui, nous sommes à 150%. Quand vous êtes en dessous du seuil critique, c’est une chose de stopper les choses. Quand vous êtes au-delà, c’en est une autre de revenir en arrière. Donc oui, la nature va corriger les choses. Malgré tout, à chaque moment, vous pouvez rendre les choses meilleures qu’elles n’auraient été autrement.
Nous n’avons plus la possibilité d’éviter le changement climatique mais nous pouvons l’atténuer en agissant maintenant. En réduisant les émissions de CO2, l’utilisation d’énergie fossile dans le secteur agricole, en créant des voitures plus efficientes… Ces choses ne résoudront pas le problème mais il y a de gros et de petits effondrements. Je préfère les petits.
Vous parlez souvent de « résilience ». De quoi s’agit-il exactement ?
La résilience est un moyen de construire le système pour que, lorsque les chocs arrivent, vous puissiez continuer à fonctionner, vous ne vous effondriez pas complètement. J’ai déjà pensé à six manières d’améliorer la résilience. La première est de construire « des tampons ». Par exemple, vous faites un stock de nourriture dans votre cave : du riz, du lait en poudre, des bocaux de beurre de cacahuète…
En cas de pénurie de nourriture, vous pouvez tenir plusieurs semaines. A l’échelle d’un pays, c’est par exemple l’Autriche qui construit de plus gros réservoirs au cas où la Russie fermerait l’approvisionnement en gaz.
Deuxième chose : l’efficacité. Vous obtenez plus avec moins d’énergie, c’est ce qui se passe avec une voiture hybride par exemple… ou bien vous choisissez de discuter dans un café avec des amis plutôt que de faire une balade en voiture. En terme de quantité de bonheur par gallon d’essence dépensé, c’est plus efficace.
Troisième chose : ériger des barrières pour protéger des chocs. Ce sont les digues à Fukushima par exemple.
Quatrième outil : le « réseautage » qui vous rend moins dépendant des marchés. Au lieu d’employer une baby-sitter, vous demandez à votre voisin de garder vos enfants et en échange vous vous occupez de sa plomberie.
Il y a aussi la surveillance qui permet d’avoir une meilleure information sur ce qu’il se passe.
Enfin, la redondance qui consiste à élaborer deux systèmes pour remplir la même fonction, pour être prêt le jour où l’un des deux systèmes aura une faille.
Ces six méthodes accroissent la résilience. Mais la résilience coûte de l’argent et ne donne pas de résultats immédiats. C’est pour cela que nous ne le faisons pas.
Si l’on en croit un schéma de votre livre, nous sommes presque arrivés au point d’effondrement. Et nous entrons aujourd’hui, selon vous, dans une période très périlleuse…
Je pense que nous allons voir plus de changement dans les vingt ans à venir que dans les cent dernières années. Il y aura des changements sociaux, économiques et politiques. Soyons clairs, la démocratie en Europe est menacée. Le chaos de la zone euro a le potentiel de mettre au pouvoir des régimes autoritaires.
Pourquoi ?
L’humanité obéit à une loi fondamentale : si les gens doivent choisir entre l’ordre et la liberté, ils choisissent l’ordre. C’est un fait qui n’arrête pas de se répéter dans l’histoire. L’Europe entre dans une période de désordre qui va mécontenter certaines personnes.
Et vous allez avoir des gens qui vont vous dire : « Je peux garantir l’ordre, si vous me donnez le pouvoir. »
L’extrémisme est une solution de court terme aux problèmes. Un des grands présidents des Etats-Unis a dit : « Le prix de la liberté est la vigilance éternelle. » Si on ne fait pas attention, si on prend la liberté pour acquise, on la perd.
Le rapport Meadows & al. fait probablement partie, comme le rapport du GIEC sur le changement climatique aujourd'hui, de ces documents que 99% des personnes qui le citent n'ont pas lu, vu la quantité de conclusions que l'on attribue à ce papier dont on ne trouve pas trace lecture faite. ( ... )
Près de 30 % de la production des puits aujourd’hui en activité aura disparu dans 10 ans, passant de 68 à 48 millions de barils par jour (mb/j) en 2020. Et dans une génération, en 2035, les champs de pétrole actuellement exploités ne fourniront plus que 17 mb/j, soit moins d’un cinquième de la demande future, d’après le graphe reproduit ci-dessous, issu du rapport annuel que vient de rendre public l’Agence internationale de l’énergie (AIE). ( ... )
Nature, publication britannique créée en 1869, est la revue scientifique interdisciplinaire la plus citée au monde.
Le 7 juin 2012, elle a publié une synthèse signée d’une vingtaine de chercheurs internationaux (spécialistes en paléontologie, biologie, géosciences, géographie, biochimie, géologie, biodiversité, entre autres, mais aussi « écoinformatique et écologie computationnelle »), intitulée « Approching a state shift in Earth’s biosphere » , nous alertant d’un proche basculement de la biosphère, irréversible et brutal. ( ... )
L’étude nous apprend que 43 % de la surface de la planète est déjà exploitée par l’homme (agriculture et urbanisation). Si on atteint les 50 %, on ne pourra ni empêcher, ni retarder un effondrement planétaire, estiment les auteurs. À niveau de consommation des ressources naturelles constant, nous atteindrons ce seuil avec 8,2 milliards de Terriens. Soit, selon les estimations des démographes, en 2025.
Dans treize ans. « Mes collègues qui étudient les changements liés au climat dans l’histoire de la Terre sont plus qu’inquiets. En fait, certains sont terrifiés », confie Arne Mooers, l’un des co-auteurs, professeur de biodiversité à la Simon Fraser University (Canada). ( ... )
Les deux tiers des arbres dans le monde sont menacés de dépérissement
Les forêts, poumons de la Terre, sont menacées de dépérissement. Les arbres se montrent beaucoup plus vulnérables à la sécheresse que ce que les scientifiques imaginaient. Quand ils manquent d'eau, ils font des embolies : des bulles d'air obstruent les vaisseaux de transport de la précieuse sève des racines à leurs cimes. Un dessèchement fatal les guette. Toutes les espèces sont concernées : feuillus ou conifères. Tous les climats également : humides ou secs.
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