samedi 18 septembre 2010

" De la Brièveté de la vie " par Sénèque ( 49 ap J.-C. )


Aucun homme ne souffre qu'on s'empare de ses propriétés ; et, pour le plus léger différend sur les limites, on a recours aux pierres et aux armes. Et pourtant la plupart permettent qu'on empiète sur leur vie; on les voit même en livrer d'avance à d'autres la possession pleine et entière. On ne trouve personne qui vous fasse part de son argent, et chacun dissipe sa vie à tous venants. ( ... )

La plupart des hommes disent : A cinquante ans, j'irai vivre dans la retraite; à soixante ans, je renoncerai aux emplois. Et qui vous a donné caution d'une vie plus longue ? qui permettra que tout se passe comme vous l'arrangez ? N'avez-vous pas honte de ne vous réserver que les restes de votre vie, et de destiner à la culture de votre esprit le seul temps qui n'est plus bon à rien? N'est-il pas trop tard de commencer à vivre lorsqu'il faut sortir de la vie? ( ... )

Ce n'est donc pas à ses rides et à ses cheveux blancs, qu'il faut croire qu'un homme a longtemps vécu : il n'a pas longtemps vécu, il est longtemps resté sur la terre. Quoi donc! pensez-vous qu'un homme a beaucoup navigué, lorsque, surpris dès le port par une tempête cruelle, il a été çà et là ballotté par les vagues, et qu'en butte à des vents déchaînés en sens contraire, il a toujours tourné autour du même espace? il n'a pas beaucoup navigué, il a été longtemps battu par la mer. ( ... )

Ceux-là, nous pouvons le dire, s'attachent à leurs véritables devoirs, qui tous les jours ont avec les Zénon, les Pythagore, les Démocrite, les Aristote, les Théophraste, et les autres précepteurs de la morale et de la science, des relations intimes et familières. Aucun de ces sages qui n'ait le loisir de les recevoir; aucun qui ne renvoie ceux qui sont venus à lui, plus heureux et plus affectionnés à sa personne; aucun qui souffre que vous sortiez d'auprès de lui les mains vides, Nuit et jour leur accès est ouvert à tous les mortels. ( ... )

On dit souvent qu'il n'a pas été en notre pouvoir de choisir nos parents; que le sort nous les a donnés. Il est pourtant une naissance qui dépend de nous. Il existe plusieurs familles d'illustres génies; choisissez celle où vous désirez être admis, vous y serez adopté, non seulement pour en prendre le nom, mais les biens, et vous ne serez point tenu de les conserver en homme avare et sordide; ils s'augmenteront au fur et à mesure que vous en ferez part à plus de monde.

Ces grands hommes vous ouvriront le chemin de l'éternité, et vous élèveront à une hauteur d'où personne ne pourra vous faire tomber. Tel est le seul moyen d'étendre une vie mortelle, et même de la changer en immortalité. Les honneurs, les monuments, tout ce que l'ambition obtient par des décrets, tous les trophées qu'elle peut élever, s'écroulent promptement: le temps ruine tout, et renverse en un moment ce qu'il a consacré. Mais la sagesse est au-dessus de ses atteintes. Aucun siècle ne pourra ni la détruire, ni l'altérer. L'âge suivant et ceux qui lui succéderont, ne feront qu'ajouter, à la vénération qu'elle inspire; car l'envie s'attache à ce qui est proche, et plus volontiers l'on admire ce qui est éloigné.

La vie du sage est donc très étendue; elle n'est pas renfermée dans les bornes assignées au reste des mortels. Seul il est affranchi des lois du genre humain: tous les siècles lui sont soumis comme à Dieu : le temps passé, il en reste maître par le souvenir; le présent, il en use; l'avenir, il en jouit d'avance. Il se compose une longue vie par la réunion de tous les temps en un seul. ( ... )

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