Green Town, quelque part sur Mars ; Mars, quelque part en Egypte
« Ne me dites pas ce que je fais ; je ne veux pas le savoir ! »
Ces paroles ne sont pas de moi. Elles ont été prononcées par mon ami Federico Fellini, le fameux réalisateur italien. Quand il tournait un de ses scénarios, il refusait de voir ce qui avait été mis « dans la boîte » et tiré en laboratoire à la fin de chaque journée. Il voulait que ses scènes restent mystérieusement provocatrices pour lui donner envie de poursuivre.
Ainsi en a-t-il été avec mes nouvelles, pièces de théâtre et poèmes la plus grande partie de ma vie. Ainsi en a-t-il été avec mes Chroniques martiennes dans les années qui ont précédé mon mariage en 1947, pour culminer, de surprises en hasards, durant l’été 1949. Ce qui avait commencé comme un récit occasionnel, ou un « aparté », concernant la planète Rouge est devenu une explosion tous azimuts en juillet et août de cette année-là, lorsque je me précipitais tous les matins sur ma machine à écrire pour découvrir quel nouveau cadeau ma Muse était disposée à m’offrir.
Avais-je une telle Muse? Et croyais-je toujours en cet animal mythique ? Non. Plus jeune, au temps où je poursuivais mes études ou vendais des journaux à la criée, je faisais ce que la plupart des écrivains font à leurs débuts : je rivalisais avec mes aînés, imitais mes pairs, m’interdisant du même coup toute possibilité de découvrir des vérités sous ma peau et derrière mes yeux.
J’ai beau avoir écrit une série de très bonnes histoires fantastiques et de terreur qui furent publiées alors que j’avais dans les vingt-cinq ans, elles ne m’ont rien appris. Je refusais de voir que je remuais un tas de bonnes choses dans ma tête et que j’arrivais à les fixer sur le papier. Mes histoires bizarres avaient de la vivacité et de l’authenticité. Mes histoires futuristes étaient des robots sans vie, mécaniques et figées.
Ce sont les nouvelles de Sherwood Anderson, réunies dansWinesburg, Ohio, qui m’ont libéré. J’étais alors dans ma vingt- quatrième année. Ses douzaines de personnages qui passaient leur vie dans les vérandas ténébreuses et les greniers sans soleil de cette ville constamment automnale m’ont mis dans tous mes états. « Seigneur Dieu ! me suis-je écrié. Si je pouvais écrire un livre à moitié aussi bon que celui-ci, mais situé sur Mars, quelle chose incroyable ce serait ! »
J’ai griffonné une liste de décors et de personnages sur ce monde lointain, imaginé des titres, commencé et abandonné une douzaine d’histoires, puis j’ai rangé et oublié le tout. Ou imaginé que je l’avais oublié.
Car la Muse persiste. Elle continue de vivre, même si on la néglige, attendant que vous lui laissiez le champ libre ou que vous mouriez sans lui donner l’occasion de s’exprimer. Mon travail consistait à me convaincre que le mythe était plus qu’un fantôme, une intuition substantielle qui ne demandait qu’à être excitée pour se répandre en langues inconnues et jaillir du bout de mes doigts. (...)
J’ai griffonné une liste de décors et de personnages sur ce monde lointain, imaginé des titres, commencé et abandonné une douzaine d’histoires, puis j’ai rangé et oublié le tout. Ou imaginé que je l’avais oublié.
Car la Muse persiste. Elle continue de vivre, même si on la néglige, attendant que vous lui laissiez le champ libre ou que vous mouriez sans lui donner l’occasion de s’exprimer. Mon travail consistait à me convaincre que le mythe était plus qu’un fantôme, une intuition substantielle qui ne demandait qu’à être excitée pour se répandre en langues inconnues et jaillir du bout de mes doigts. (...)
À la fin des années 70, j’ai produit une adaptation de Chroniques martiennes sur la scène d’un théâtre de Wilshire Boulevard. À six rues de là, le musée de Los Angeles accueillait l’exposition itinérante de Toutankhamon. Du théâtre à Toutankhamon et de Toutankhamon au théâtre, surprise à m’en décrocher la mâchoire.
« Grands dieux ! » me suis-je exclamé en contemplant le masque d’or du pharaon égyptien. « C’est Mars. » « Grands dieux ! » me suis-je de nouveau exclamé en voyant mes Martiens sur la scène. « C’est l’Egypte avec les fantômes de Toutankhamon. »
« Grands dieux ! » me suis-je exclamé en contemplant le masque d’or du pharaon égyptien. « C’est Mars. » « Grands dieux ! » me suis-je de nouveau exclamé en voyant mes Martiens sur la scène. « C’est l’Egypte avec les fantômes de Toutankhamon. »
Ainsi, devant mes yeux et se mêlant dans mon esprit, les vieux mythes reprenaient vie et les nouveaux mythes s’enveloppaient de bandelettes et affichaient des masques resplendissants.
Sans le savoir, j’avais été le fils de Toutankhamon tout le temps où je traçais les hiéroglyphes du monde Rouge, persuadé que c’était le futur que je faisais pousser jusque dans les passés les plus poussiéreux.
Cela dit, comment se fait-il que mes Chroniques martiennes soient souvent considérées comme étant de la science-fiction ? Cette définition leur convient mal. Il n’y a dans tout le livre qu’un texte qui obéisse aux lois de la physique appliquée: « Viendront de douces pluies. » Il met en scène une des premières maisons « virtuelles » qui ont pris place parmi nous au cours de ces dernières années. En 1950, cette maison aurait coûté les yeux de la tête. Aujourd’hui, avec l’avènement des ordinateurs, d’Internet, du fax, des bandes magnétiques, du baladeur et de la télévision grand écran, ses pièces pourraient être raccordées à moindres frais à l’univers du circuit imprimé.
Très bien, alors, les Chroniques c’est quoi? C’est Toutankhamon extrait de sa tombe quand j’avais trois ans, les Eddas islandais quand j’avais six ans et les dieux gréco-romains qui me faisaient rêver quand j’avais dix ans : de la mythologie à l’état pur. Si c’était de la science-fiction bon teint, rigoureuse sur le plan technologique, elle serait depuis longtemps en train de rouiller au bord de la route. Mais comme il s’agit d’une fable indépendante, même les physiciens les plus endurcis de l’Institut de technologie de Californie acceptent de respirer l’oxygène que j’ai frauduleusement lâché sur Mars. La science et les machines peuvent s’entre-tuer ou être remplacées. Le mythe, reflet dans un miroir, hors d’atteinte, demeure. S’il n’est pas immortel, du moins en a-t-il l’air.
Donc: Ne me dites pas ce que je fais; je ne veux pas le savoir !
Sans le savoir, j’avais été le fils de Toutankhamon tout le temps où je traçais les hiéroglyphes du monde Rouge, persuadé que c’était le futur que je faisais pousser jusque dans les passés les plus poussiéreux.
Cela dit, comment se fait-il que mes Chroniques martiennes soient souvent considérées comme étant de la science-fiction ? Cette définition leur convient mal. Il n’y a dans tout le livre qu’un texte qui obéisse aux lois de la physique appliquée: « Viendront de douces pluies. » Il met en scène une des premières maisons « virtuelles » qui ont pris place parmi nous au cours de ces dernières années. En 1950, cette maison aurait coûté les yeux de la tête. Aujourd’hui, avec l’avènement des ordinateurs, d’Internet, du fax, des bandes magnétiques, du baladeur et de la télévision grand écran, ses pièces pourraient être raccordées à moindres frais à l’univers du circuit imprimé.
Très bien, alors, les Chroniques c’est quoi? C’est Toutankhamon extrait de sa tombe quand j’avais trois ans, les Eddas islandais quand j’avais six ans et les dieux gréco-romains qui me faisaient rêver quand j’avais dix ans : de la mythologie à l’état pur. Si c’était de la science-fiction bon teint, rigoureuse sur le plan technologique, elle serait depuis longtemps en train de rouiller au bord de la route. Mais comme il s’agit d’une fable indépendante, même les physiciens les plus endurcis de l’Institut de technologie de Californie acceptent de respirer l’oxygène que j’ai frauduleusement lâché sur Mars. La science et les machines peuvent s’entre-tuer ou être remplacées. Le mythe, reflet dans un miroir, hors d’atteinte, demeure. S’il n’est pas immortel, du moins en a-t-il l’air.
Donc: Ne me dites pas ce que je fais; je ne veux pas le savoir !
En voilà des façons ! Ce sont les seules que je connaisse. Car en feignant l’ignorance, l’intuition, curieuse de se voir apparemment négligée, dresse sa tête invisible et se faufile jusque dans vos mains pour prendre la forme du mythe. Et parce que j’ai écrit des mythes, peut-être ma planète Mars a-t- elle encore devant elle quelques années d’impossible vie.
Une chose me rassure à demi : on continue de m’inviter à l’Institut de technologie de Californie.
http://gen.lib.rus.ec/fiction/?q=Ray+Bradbury&criteria=&language=French&format=&page=2
Une chose me rassure à demi : on continue de m’inviter à l’Institut de technologie de Californie.
http://gen.lib.rus.ec/fiction/?q=Ray+Bradbury&criteria=&language=French&format=&page=2
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