mardi 29 octobre 2019

" La chasse aux Clowns " par Alain Fromentin


« Allez, les enfants, on éteint la télé et on s’habille. Ce soir, on a du travail, on part chasser les Clowns. »

Papa est déjà prêt, il a son filet à papillon et un grand sac en toile. Avec sa lampe frontale, on dirait un super-héros qui va partir sauver l’Univers, mais pourtant, il n’y a aucun risque, ce n’est pas les Clowns qui peuvent nous faire du mal.

Si nous avons la chance de tomber sur une bande de Clowns, ils vont s’immobiliser, leur petite combinaison va changer de couleur, passant de cette couleur étrange qu’on appelle caca-clown à une sorte de couleur noir intense et on aura qu’a les ramasser, pour les ramener à la maison.

Après on les mettra en vente sur internet et on les enverra par colis express, aux amateurs. Il y a ceux qui se contente de s’en servir en décoration, en les posant sur un rebord de cheminée, ça fait joli, ou il y a ceux qui s’en serve pour confectionner des objets divers, des pyramides de Clowns, des meubles, ou des lampadaires. 

On aime les imaginer souffrir d’être prisonnier et de rester des années immobile comme des statues.

Mais par contre, il ne faut pas essayer de les torturer, le plaisir ne dure pas longtemps, rapidement, leur combinaison devient transparente et on ne sais pas si ils se dissolvent ou ils sont télé-portés vers leur planète d’origine. Dans les deux cas de figure, savoir qu’ils arrêtent de souffrir, c’est frustrant.

Les gens détestent tellement ces saloperies de Clowns et en plus, ils sont de plus en plus nombreux, c’est comme s’ils ne comprenaient pas le sort qui les attend sur la planète Terre. 

On pense aussi que leur mission est tellement importante qu’ils préfèrent prendre le risque de terminer en abat-jour ou en nain de jardin.

Au début, quand ils sont arrivés, c’était une autre ambiance, déjà les gens ont eu du mal à le croire. Des extraterrestres !

Depuis le temps qu’avec les soucoupes volantes et les livres de science-fiction, on imaginait tous les cas de figure, ça été un branle-le- bas de combat, on a amené le premier groupe dans une sorte de conférence internationale avec les chefs d’état et les meilleurs scientifiques du monde entier.

Et on a commencé à essayer de communiquer avec eux. Que dalle ! Au début on a cru qu’on arrivait pas à dialoguer, on a fait des tas d’expériences et ça terminait toujours pareil : ils se transformaient en statuette noir intense et rien.

Et on s’est rendu compte que c’est comme si on était pour eux juste un mur qui les empêchaient de continuer leur mission mystérieuse sur la planète Terre.

Ils se mettaient en « stand bail », en attendant de pouvoir continuer à faire ce pourquoi ils étaient arrivés ici. Ils n’étaient pas venus, pour nous voir, pour essayer de communiquer avec nous. Ils comprenaient visiblement qu’il y avait des êtres humains intelligents qui essayaient d’entrer en contact avec eux, mais non, ils ne voulaient pas.

Et progressivement on s’est mis à les détester. Ils se croyaient donc tellement plus intelligent que nous ! C’est vrai que pouvoir se télé-porter sur une autre planète, notre technologie ne nous permet pas encore, les scientifiques pensaient même que comme ils le font ce n’était pas possible.

Et aussi, qu’est ce qu’ils venaient faire chez nous ? Quand on les laissait tranquille, ils se déployaient selon des schémas très compliqués, très lentement et on a pensé qu’ils étaient en train de cartographier la Terre, pour en prendre possession.

Plein de théories ont commencé à apparaître, ils allaient prendre notre place, ils s’attendaient à ce que l’on disparaisse rapidement et ils se préparaient à s’installer sur notre planète. Chez eux la vie était donc moins agréable qu’ici, ou alors ils devenaient trop nombreux.

Et à la fin, tout le monde les haïssait, même les écologistes les plus radicaux qui ne supportent pas qu’on tue le moindre insecte, ont commencé à se moquer d’eux et à les torturer.

Et c’est là qu’on les a surnommé les « Clowns » et qu’on s’est mis à les attraper pour le plaisir de les faire souffrir en les transformant en statues de décoration. 

Au début, on les a appelé les « Clowns de l’espace », mais c’était leur faire trop d’honneur, d’imaginer qu’ils venaient d’une lointaine galaxie et on ne voulait pas en regardant le ciel, la nuit, penser en voyant une étoile que c’était de là qu’ils étaient partis nous envahir. (...)

https://archive.org/details/@alain_fromentin

jeudi 19 septembre 2019

Le culte du cargo : Dieu est américain



Le culte du cargo se manifeste au xixe siècle par une imitation de l'attitude des Européens, par exemple par le fait de couper des fleurs pour les mettre dans des vases. Il se traduisait parfois par l'apparition de prophètes prédisant un âge d'or à venir à condition que les récoltes soient détruites, ou par la migration de la population autochtone dans des lieux reculés de la forêt. 

L'administration coloniale intervenait alors parfois pour éviter une famine en apportant des vivres, ce qui avait l'effet pervers de conforter les populations dans leur attitude, puisqu'elles attribuaient cette arrivée de vivres à une réponse positive d'une divinité à leur demande.


Le culte du cargo est un ensemble de rites qui apparaissent à la fin du xixe siècle et dans la première moitié du xxe siècle chez les aborigènes, en réaction à la colonisation de la Mélanésie (Océanie). Il consiste à imiter les opérateurs radios américains et japonais commandant du ravitaillement (distribués par avion-cargo) 

et plus généralement la technologie et la culture occidentale (moyens de transports, défilés militaire, habillement, etc.) en espérant déboucher sur les mêmes effets, selon ce qu'on a qualifié de croyances « millénaristes ». En effet, les indigènes ignorent l'existence et les modalités de production occidentale ; dès lors, ils attribuent l'abondance et la sophistication des biens apportés par cargo à une faveur divine.

Peter Lawrence a écrit, en 1974, dans son livre intitulé Les Cultes du cargo :

« Les indigènes ne pouvaient pas imaginer le système économique qui se cachait derrière la routine bureaucratique et les étalages des magasins, rien ne laissait croire que les Blancs fabriquaient eux-mêmes leurs marchandises. 

On ne les voyait pas travailler le métal ni faire les vêtements et les indigènes ne pouvaient pas deviner les procédés industriels permettant de fabriquer ces produits. Tout ce qu’ils voyaient, c’était l’arrivée des navires et des avions. »

Le mouvement, le mythe, religion ou terme « culte du cargo » s’est forgé à travers les théories anthropologiques et études sur les civilisations du Pacifique. Il est la fusion entre, premièrement, les enseignements de missionnaires chrétiens du xixe siècle,

 deuxièmement l’abondance des richesses matérielles qui arrivaient par bateaux et plus tard au xxe siècle par avion, ainsi que les croyances mythologiques autochtones ancestrales confrontées au style de vie des Asiatiques, des Européens et des Américains.

En Océanie, le culte du cargo est maintenant un mouvement, à la fois de transformations sociales et de résistance, face aux pratiques et aux valeurs des pays industrialisés.

Le culte du cargo se manifeste au xixe siècle par une imitation de l'attitude des Européens, par exemple par le fait de couper des fleurs pour les mettre dans des vases. Il se traduisait parfois par l'apparition de prophètes prédisant un âge d'or à venir à condition que les récoltes soient détruites, ou par la migration de la population autochtone dans des lieux reculés de la forêt. 

L'administration coloniale intervenait alors parfois pour éviter une famine en apportant des vivres, ce qui avait l'effet pervers de conforter les populations dans leur attitude, puisqu'elles attribuaient cette arrivée de vivres à une réponse positive d'une divinité à leur demande.

 De même, des fonctionnaires européens étaient parfois envoyés pour repérer les signes avant-coureurs du déclenchement d'un culte, par exemple par le fait de couper des fleurs, mais cela avait pour effet de confirmer aux yeux de la population le rôle magique des fleurs coupées.

À l'issue de la Guerre du Pacifique où les populations autochtones furent en contact avec des armées dotées de matériel considérable, le culte du cargo prit un tour particulier. Des indigènes, ayant constaté que les radio-opérateurs des troupes au sol semblaient obtenir l’arrivée de navires ou le parachutage de vivres et de médicaments simplement en les demandant dans leur poste radio-émetteur, 


eurent l’idée de les imiter et construisirent, de leur mieux, de fausses cabines d’opérateur-radio – avec des postes fictifs – dans lesquels ils demandaient eux aussi – dans de faux micros – l’envoi de vivres, médicaments et autres équipements dont ils pouvaient avoir besoin. Plus tard, ils construiront même de fausses pistes d'atterrissage en attendant que des avions viennent y décharger leur cargaison.

mercredi 18 septembre 2019

« Nous – moi, vous, nous tous – étions trop naïfs » par Edward Snowden


 Ce n’est d’ailleurs jamais comme ça que ça se passe pour les grandes décisions de la vie. On se décide sans s’en rendre compte et ce n’est qu’ensuite qu’on réalise, lorsqu’on est assez fort pour admettre que notre conscience avait déjà choisi pour nous, que c’est la ligne de conduite à tenir. 

Voilà le cadeau d’anniversaire que je m’étais fait pour mes 29 ans : je venais de réaliser que je m’étais enfoncé dans un tunnel au bout duquel ma vie se limiterait à ne plus faire qu’une seule chose – encore assez confuse, il est vrai.


Etant donné le caractère américain de l’infrastructure des communications mondiales, il était prévisible que le gouvernement se livrerait à la surveillance de masse. Cela aurait dû me sauter aux yeux. Pourtant, ça n’a pas été le cas, principalement parce que les autorités américaines démentaient si catégoriquement se livrer à ce genre de choses, et avec une telle vigueur, dans les médias ou devant les tribunaux, que les quelques sceptiques qui leur reprochaient de mentir étaient traités comme des junkies complotistes.

Nous – moi, vous, nous tous – étions trop naïfs. C’était d’autant plus pénible pour moi que la dernière fois que j’étais tombé dans le panneau, j’avais approuvé l’invasion de l’Irak avant de m’engager dans l’armée. Quand j’ai commencé à travailler dans le renseignement, j’étais certain de ne plus jamais me faire mener en bateau, d’autant plus que j’avais une habilitation top secret à présent, ce qui n’est pas rien.

 Après tout, pourquoi les autorités dissimuleraient-elles des secrets à leurs propres gardiens du secret ? Tout cela pour dire que je n’arrivais pas à concevoir ce qui était pourtant manifeste, et il a fallu attendre 2009 et mon affectation au Japon dans un service de la NSA, l’agence américaine spécialisée dans le renseignement d’origine électromagnétique, pour que ça change.

C’était le poste idéal, parce que j’intégrais le service de renseignement le plus performant au monde. Bien qu’ayant officiellement le statut de contractuel, les responsabilités qui seraient les miennes et la ville ( Tokyo ) où je serais amené à vivre ont suffi à me convaincre. L’ironie veut que ce soit en retravaillant dans le privé que j’ai été en mesure de comprendre ce que faisaient les dirigeants de mon pays. 

Comme jadis avec la CIA, le privé n’était qu’une couverture et j’ai toujours travaillé dans les locaux de la NSA. C’était la première fois de ma vie que je réalisais vraiment ce que signifiait le pouvoir d’être le seul dans une pièce à maîtriser non seulement le fonctionnement interne d’un système mais aussi son interaction avec quantité d’autres systèmes. (…)

Une usine sous un champ d’ananas


C’était une immense usine aéronautique datant de l’époque de Pearl Harbor, planquée sous un champ d’ananas à Kunia, sur l’île d’Oahu, dans l’archipel d’Hawaï, qui abritait désormais une base de la NSA. Ce complexe en béton armé et son tunnel d’un kilomètre de long creusé à flanc de colline débouchaient sur trois vastes espaces sécurisés où l’on trouvait des serveurs et des bureaux. 

Ce n’était autre que le Security Operations Center, ou SOC, de la région de Kunia. Toujours officiellement employé par Dell, je travaillais à nouveau pour le compte de la NSA, j’y ai été affecté début 2012. Un beau jour, au cours de cet été – c’était le jour de mon anniversaire –, tandis que je franchissais les postes de contrôle, j’ai soudain pris conscience que mon avenir était là, en face de moi.

Je ne dis pas que c’est à ce moment-là que j’ai pris ma décision. Ce n’est d’ailleurs jamais comme ça que ça se passe pour les grandes décisions de la vie. On se décide sans s’en rendre compte et ce n’est qu’ensuite qu’on réalise, lorsqu’on est assez fort pour admettre que notre conscience avait déjà choisi pour nous, que c’est la ligne de conduite à tenir. 

Voilà le cadeau d’anniversaire que je m’étais fait pour mes 29 ans : je venais de réaliser que je m’étais enfoncé dans un tunnel au bout duquel ma vie se limiterait à ne plus faire qu’une seule chose – encore assez confuse, il est vrai.

Hawaï est devenu un endroit important pour les communications américaines. C’est notamment le cas pour les renseignements échangés entre les 48 Etats continentaux américains et le Japon, où j’avais travaillé, ainsi que d’autres sites installés en Asie. En me nommant administrateur système SharePoint, la NSA faisait de moi le principal responsable de la gestion documentaire, et c’était effectivement moi qui prenais connaissance des messages.

Avant d’aller plus loin, je tiens à souligner que ce n’est pas en copiant des documents mais tout simplement en les lisant que mes recherches concernant les abus de la NSA ont commencé. 

Je voulais avoir la confirmation des soupçons que j’avais depuis 2009, lorsque je me trouvais à Tokyo. Trois ans plus tard, j’étais déterminé à savoir si mon pays avait mis en place un système de surveillance de masse et, si oui, comment il opérait concrètement. Si je ne voyais pas trop comment mener mon enquête, une chose était sûre, je devais comprendre le fonctionnement du système avant de décider, le cas échéant, de réagir.(...)

« Le gars au Rubik’s Cube »


Je vais refréner mon envie de coucher sur le papier la manière précise dont j’ai fait ma propre copie et mon propre cryptage – pour que la NSA soit encore debout demain matin. Je mentionnerai toutefois la technologie de stockage que j’ai utilisée pour les fichiers copiés. Laissez tomber les clés USB ; elles sont trop encombrantes au regard de leur faible capacité de stockage. 

A la place, je me suis servi de cartes SD – l’acronyme signifie Secure Digital (« transmission numérique protégée »). Pour être plus précis, je me suis servi de cartes mini-SD et micro-SD. Vous savez à quoi ressemble une carte SD si vous vous êtes déjà servi d’un appareil photo numérique ou d’une caméra, ou si vous avez déjà eu besoin de plus de mémoire sur votre tablette. Elles ne déclenchent quasiment jamais les détecteurs de métaux, et puis, qui m’en voudrait d’avoir oublié quelque chose d’aussi petit ?

Il y a malheureusement un prix à payer pour la petite taille des cartes SD : les transferts de données sont extrêmement lents. Et, tandis que la barre se remplissait jusqu’à atteindre l’immense soulagement des « 100 %, tous les fichiers ont été copiés », j’étais en nage, je voyais des ombres partout, j’entendais des pas venir des moindres recoins. 

Une fois une carte remplie, je devais opérer ma fuite quotidienne, faire sortir du bâtiment cette archive vitale, passer devant les chefs et des types en uniforme, descendre les escaliers, m’engouffrer dans un couloir vide, scanner mon badge, passer devant les gardes armés, passer les sas de sécurité – ces zones à deux portes dans lesquelles, pour que la seconde porte s’ouvre, il faut que la première soit fermée et que votre badge soit approuvé, et s’il ne l’est pas, ou que quelque chose ne se passe pas comme prévu, le garde vous braque avec son arme, les portes se verrouillent, et vous dites : « Eh bien, c’est pas mon jour ! »

 A chaque fois que je partais, j’étais pétrifié. Je devais me forcer à ne pas penser à la carte SD car si j’y pensais, j’avais peur d’agir différemment, de manière suspecte. Il m’est aussi arrivé de dissimuler une carte dans l’une de mes chaussettes et, lors de mon pic de paranoïa, dans ma joue, afin de pouvoir l’avaler si nécessaire.

Je n’arrêtais pas d’imaginer une équipe d’agents du FBI aux aguets à l’autre extrémité du Tunnel. En général, j’essayais de plaisanter avec les gardes, et c’est là que mon Rubik’s Cube s’est révélé utile. Les gardes comme le reste des gens du Tunnel me connaissaient comme « le gars au Rubik’s Cube ». 

Il était devenu mon totem et une source de distraction, autant pour moi que pour mes collègues. La plupart devaient penser que c’était un air que je me donnais, ou bien une invitation à une conversation de geek. C’était le cas, mais c’était avant tout une manière de maîtriser mon angoisse. Le Rubik’s Cube me calmait.

C’est seulement de retour chez moi que je commençais à me détendre. J’étais toujours inquiet à l’idée que ma maison soit sur écoute – c’était l’une des autres méthodes charmantes utilisées par le FBI quand il soupçonnait un agent d’avoir des loyautés suspectes. 

Sur le canapé, je me planquais sous une couverture avec mon ordinateur, comme un gosse, parce que le coton reste plus fort que les caméras. Le risque d’une arrestation immédiate étant momentanément écarté, je pouvais me concentrer sur le transfert des fichiers depuis mon ordinateur portable vers un disque dur externe et les verrouiller en me servant de plusieurs algorithmes de cryptage utilisant différentes méthodes d’implémentation, si bien que même si l’une des méthodes de cryptage échouait, les autres continueraient à garder les fichiers en sécurité.

En fin de compte, les documents que j’avais sélectionnés tenaient sur un unique disque dur que j’ai laissé sur mon bureau à la maison. Je savais que ces données étaient autant en sécurité qu’à l’agence. En réalité, grâce aux différentes méthodes et aux différents niveaux de cryptage que j’avais utilisés, elles étaient même davantage sécurisées. Là réside l’incomparable beauté de l’art de la cryptologie. Un petit peu de maths peut accomplir ce dont sont incapables les fusils et les fils barbelés : garder un secret. (...)

Quarante jours à l’aéroport

 Nous avons atterri à Cheremetievo ( l’aéroport de Moscou ) le 23 juin 2013 pour ce qui devait en théorie être une escale de 24 heures. Cette escale dure depuis bientôt six ans. L’exil est une escale sans fin. Dans la communauté du renseignement, et tout particulièrement à la CIA, vous êtes formé à éviter les problèmes aux douanes. Votre but est d’être la personne la plus ennuyeuse de toute la file, avec le visage qu’on oublie le plus vite. 

Mais rien de tout cela n’est efficace quand le nom qui est inscrit sur votre passeport est en « une » de tous les journaux.

J’ai tendu mon petit livret bleu au type barbu dans sa cabine de contrôle des passeports, qui l’a scanné et en a scruté chaque page. Sarah Harrison ( journaliste et éditrice pour WikiLeaks ) se tenait derrière moi, solide. 

J’avais pris soin d’évaluer le temps qu’il fallait aux personnes nous précédant dans la file pour passer la douane, et mon tour était beaucoup trop long. Puis le type a décroché son téléphone, grommelé quelques mots en russe et, presque immédiatement – bien trop rapidement –, deux agents de sécurité en uniforme se sont approchés. Ils devaient m’attendre. L’un des agents a pris mon petit livret bleu au type de la cabine et s’est penché vers moi : « Il y a problème avec passeport. S’il vous plaît, venez. »

Les deux agents de sécurité nous ont escortés à vive allure vers ce que j’imaginais être une pièce spéciale destinée à l’inspection approfondie, mais qui s’est en fait révélée un somptueux salon d’affaires de l’aéroport de Cheremetievo. Sarah et moi sommes entrés dans une sorte de salle de réunion remplie d’hommes en costume gris assis autour d’une table. Ils étaient une demi-douzaine à peu près, tous avec une coupe militaire. 

L’un des types était assis à l’écart et avait un stylo à la main. C’était celui qui prenait des notes, une sorte de secrétaire, enfin c’est ce que j’imaginais. Le dossier était devant lui avec un bloc de papier. Sur la couverture du dossier se trouvait un insigne monochrome et je n’avais pas besoin de lire le russe pour en comprendre la signification : l’insigne représentait une épée et un bouclier, le symbole du principal service de renseignement de Russie, le Service fédéral de sécurité (FSB).

Comme le FBI aux Etats-Unis, le FSB ne se contente pas d’espionner et d’enquêter, mais procède également aux arrestations. Au centre de la table était assis un homme plus âgé, dans un costume plus élégant que ceux de ses voisins. Le blanc de ses cheveux brillait comme un halo d’autorité. Il nous a fait signe de nous asseoir en face de lui, avec un geste plein d’assurance et un sourire qui indiquait qu’il était l’équivalent russe d’un officier traitant chevronné.

Il s’est raclé la gorge et, dans un anglais correct, il m’a offert ce que la CIA appelle un « cold pitch », en gros une offre d’engagement par un service de renseignement étranger qui peut se résumer à « venez bosser avec nous ».

 En échange de leur coopération, on fait miroiter aux étrangers des faveurs qui peuvent aller de montagnes de cash à une carte « vous êtes libéré de prison » valant pour quasiment tout, depuis la simple fraude jusqu’au meurtre. Le truc, bien sûr, c’est qu’ils espèrent toujours une contrepartie d’une valeur égale ou supérieure.

 Mais cela ne démarre jamais par une transaction claire et sans ambiguïté. Quand j’y pense, il est même amusant d’appeler ça un « cold pitch » (« argumentaire de vente froid »), parce que la personne qui le fait commence toujours avec chaleur, légèreté et bienveillance, un large sourire aux lèvres.

Je savais qu’il fallait que je coupe court à cette conversation le plus vite possible. Si vous ne mettez pas immédiatement un terme à cette discussion, ils peuvent détruire votre réputation rien qu’en faisant fuiter un enregistrement de vous en train de considérer la proposition. 

Tandis que l’homme s’excusait pour la gêne occasionnée, j’ai donc imaginé les caméras cachées et j’ai choisi mes mots avec soin : « Ecoutez, je comprends qui vous êtes, et ce que vous êtes en train de faire. Permettez-moi d’être clair sur le fait que je n’ai aucune intention de coopérer avec un service de renseignement, quel qu’il soit. Je ne veux pas me montrer irrespectueux mais je vous préviens que ce ne sera pas l’objet de cette discussion. Si vous voulez fouiller mon sac, il est juste là. »

L’homme m’a alors demandé :

« Donc vous n’êtes pas venus en Russie pour y rester ? 
Non. 
Dans ce cas, puis-je vous demander où vous comptez aller ? Quelle est votre destination finale ? 
Quito, Equateur, en passant par Caracas et La Havane », ai-je répondu, même si je savais parfaitement qu’il le savait déjà.

Mais soudain, la discussion a bifurqué.
« Vous n’êtes pas au courant ? », m’a-t-il demandé. Il s’est levé et m’a regardé comme s’il s’apprêtait à m’annoncer la mort d’un membre de ma famille. « Je suis au regret de vous informer que votre passeport n’est malheureusement plus valide. »

J’étais tellement surpris que j’ai seulement pu bégayer : « Je suis désolé mais j…, je ne vous crois pas. »

Je n’en revenais pas : mon propre gouvernement m’avait coincé en Russie. Les Etats-Unis s’étaient infligé tout seuls une cuisante défaite en offrant ainsi à la Russie une telle victoire de sa propagande.

 En tout, nous sommes restés coincés dans l’aéroport pendant la durée biblique de 40 jours et 40 nuits. Pendant cette période, j’ai demandé l’asile politique à un total de 27 pays. Pas un seul n’était prêt à subir les foudres des Etats-Unis. Le 1er août, le gouvernement russe m’a accordé un droit d’asile temporaire.


Edward Snowden 

mardi 10 septembre 2019

Question du New York Times : " Les accusations contre Julian Assange sont-elles constitutionnelles et votre administration poursuivrait-elle Julian Assange avec la loi sur l'espionnage ? "



Liberté de presse

Criminalisation de l'activité journalistique

Le contexte : Les procureurs ont récemment élargi le dossier pénal contre Julian Assange pour y inclure des accusations de violation de la loi sur l'espionnage en sollicitant, obtenant et publiant des documents classifiés divulgués en 2010 par Chelsea Manning, ce qui pourrait créer un précédent selon lequel de telles activités journalistiques  peuvent être traité comme un crime en Amérique.

La question :

Les accusations contre Julian Assange sont-elles constitutionnelles et votre administration poursuivrait-elle Julian Assange avec la loi sur l'espionnage ?



Michael Bennet : ( Sénateur du Colorado ( 54 ans ) :

« La presse libre joue un rôle essentiel dans notre démocratie, en particulier à une époque où le président Trump qualifie régulièrement les médias de « fake news ». Nous devons protéger les dénonciateurs afin que les individus et les institutions puissants puissent être tenus pour responsables. 

Dans le même temps, nous devons reconnaître qu'il existe une distinction entre la presse et les lanceurs d'alerte qui servent un objectif public et ceux, comme M. Assange, qui publient des informations classifiées sans se soucier de savoir si cela peut mettre les forces américaines en danger. En tant que président, je m'en remettrais au jugement des avocats de carrière du ministère de la Justice en ce qui concerne l'accusation d'Assange. »

Joseph R. Biden Jr. ( Ancien vice-président, 76 ans ) :

« Je ne parlerai pas spécifiquement de l’affaire Assange, il n’est pas approprié pour moi de donner un avis sur les poursuites pénales en cours qui sont en instance devant les tribunaux et sur lesquelles tous les détails ne sont pas accessibles au public. Mais je peux décrire les principes qui régiront les affaires de publication d'informations confidentielles relatives à la sécurité nationale dans une administration Biden.

Premièrement, nous devons reconnaître qu’il existe deux intérêts légitimes mais contradictoires lorsque des journalistes (et je ne présume en aucune manière qu’Assange est en fait un journaliste) publient des informations qui ont une incidence sur la sécurité nationale. Les représentants du gouvernement ont souvent des raisons impérieuses de protéger la confidentialité des informations relatives à la sécurité nationale, et les journalistes professionnels reconnaissent et respectent depuis longtemps ces raisons. 

Contrairement à WikiLeaks, les journalistes responsables ont toujours refusé de publier des informations qui risquaient de mettre des vies en danger ou de menacer de porter atteinte à l'intérêt national. Mais les journalistes ont également un intérêt légitime à publier des informations vitales pour le public, même des informations que les responsables gouvernementaux souhaitent garder confidentielles. L'une des principales responsabilités d'un journaliste est de trouver un équilibre entre ces intérêts.

Deuxièmement, le premier amendement n'immunise pas les journalistes de toute infraction à la loi. Les journalistes n'ont aucun droit constitutionnel à pénétrer dans un bureau du gouvernement, à pirater un ordinateur du gouvernement ou à corrompre un employé du gouvernement pour obtenir des informations. L'auteur d'un crime devrait faire l'objet de poursuites.

Troisièmement, nous devrions hésiter à poursuivre un journaliste qui n’a rien fait de plus que de recevoir et de publier des informations confidentielles et qui n’a pas autrement violé la loi. L'histoire nous a montré qu'il est essentiel pour la santé de notre démocratie que les journalistes puissent publier des informations révélant des actes répréhensibles de la part du gouvernement ou des erreurs de politique. 

La gêne et l’embarras des représentants gouvernementaux exposés ne l’emportent pas sur l’importance de mettre au jour des questions qui intéressent profondément le public. Informer le public, c’est le travail de la presse, reconnu par les fondateurs de notre République et commémoré dans le Premier amendement. La Cour suprême a reconnu ce principe important lorsqu'elle a jugé, à juste titre, que l'administration Nixon ne pouvait empêcher la publication des papiers du Pentagone. 

En fait, la dénigrement du journaliste par le président Trump comme «ennemi du peuple» est scandaleux. Cette affirmation est profondément fausse: une presse vigoureuse est essentielle pour que le gouvernement reste honnête et que le public soit informé - comme l'ont confirmé des reportages d'investigation répétés sur les violations de l'administration Trump. »

Cory Booker : ( Sénateur du New Jersey, 50 ans ) :

« La démocratie ne peut fonctionner sans une presse libre, et le Premier amendement garantit son droit d'opérer dans ce pays. Notre démocratie a besoin d'une presse libre pour promouvoir la transparence et la responsabilité. À la différence du président Trump, qui a ciblé et vilipendé la presse à chaque tour, je ferais tout ce qui est en mon pouvoir pour faire respecter le serment professionnel et préserver, protéger et défendre la Constitution, y compris son premier amendement.

 Bien qu'il ne soit pas approprié que le président dirige des poursuites ou non des poursuites, je demanderais à mon procureur général de revoir la politique et les directives du MJ pour s'assurer que mon administration respecte le premier amendement et protège la liberté de presse. »

Steve Bullock : ( Gouverneur du Montana, 53 ans ) :

« Je soutiens le rôle important d'une presse libre qui enquête sur les actions du gouvernement et met au jour des actes répréhensibles. Les journalistes doivent toujours examiner avec soin si leur le portage peut révéler des informations classifiées qui pourraient mettre nos troupes ou des innocents en danger. Je rechercherais une approche coopérative avec la presse tout en décourageant fortement les fuites d'informations correctement classifiées. »

Pete Buttigieg :  (Maire de South Bend, Ind., 37 ans ) :

« La liberté de la presse est l'un des principes les plus importants protégés par la Constitution. En criminalisant un comportement qui ressemble beaucoup aux pratiques journalistiques courantes, l'acte d'accusation le plus récent de Julian Assange sur des accusations portées en vertu de la Loi sur l'espionnage (par opposition aux accusations de piratage informatique à l'origine) vient dangereusement compromettre ce principe. 

Même si ces accusations résistent en fin de compte au contrôle constitutionnel - résultat qui dépendra en grande partie de la manière dont le ministère de la Justice articule et limite sa théorie dans l'affaire -, les poursuites pourraient nuire au journalisme légitime. Julian Assange ne défend pas les théories juridiques avancées par le gouvernement actuel à ce sujet.

En tant que président, j'ai l'intention de nommer des personnes au Département de la justice qui partagent mon respect pour le premier amendement. Cependant, je ne me mêlerai pas de leurs jugements indépendants concernant des poursuites individuelles. »
  
Tulsi Gabbard : Députée d'Hawaï, 38 ans ) :

« Non, c'est une violation de la liberté d'expression - inconstitutionnelle. Non, mon administration laisserait tomber ce cas. »

Kamala Harris : ( Sénateur de Californie, 54 ans ) :

« Le ministère de la Justice devrait prendre des décisions indépendantes en matière de poursuites sur la base de faits et du droit. Je rétablirais un ministère de la justice indépendant et ne dicterais ni ne dirigerais les poursuites. »

Amy Klobuchar : ( Sénateur du Minnesota, 59 ans ) :

« En tant que fille d’un journaliste, j’ai toujours cru que le rôle des journalistes était essentiel à la démocratie de notre pays. Dans le cadre de mon plan pour les 100 premiers jours de ma présidence, je me suis déjà engagé à rétablir les directives de l’ancien procureur général Eric Holder sur la protection des journalistes afin qu’ils ne soient pas emprisonnés pour leur travail. »

Beto O’Rourke : ( Ancien membre du Congrès du Texas, 46 ans ) :

« Sans commenter les détails d'une affaire, il est essentiel que notre gouvernement ne prenne aucune mesure et n'affirme aucune politique qui imposerait une sanction pénale aux activités journalistiques légitimes, fonction essentielle à la protection de la liberté et à la santé de notre démocratie libérale. »  

Tim Ryan : ( Membre du Congrès de l'Ohio, 46 ​​ans ) :

« Ces accusations sont-elles constitutionnelles ? »

« Non. »

« Votre administration poursuivrait-elle la loi sur l'espionnage dans l'affaire contre Assange ? »

« Je m'appuierais sur le fait que le procureur général fasse partie de la recommandation de mon cabinet à ce sujet. »

Bernie Sanders : ( Sénateur du Vermont, 78 ans ) :

« Il n'appartient pas au président de déterminer qui est ou non un journaliste. Les actions de l'administration Trump constituent une attaque inquiétante contre le Premier amendement et menacent de saper le travail important que les journalistes enquêteurs effectuent chaque jour. »

Joe Sestak : ( Ancien membre du Congrès de Pennsylvanie, 67 ans ) :

« Je laisserai le cas particulier de Julian Assange à mon procureur général - car j'estime que le procureur général doit être libre de fonctionner indépendamment de toute ingérence. Cependant, j’estime qu’il s’agit d’une pente très glissante en ce qui concerne l’utilisation de la loi sur l’espionnage. 

Nous ne devons pas criminaliser les techniques et activités journalistiques habituelles, même si les journalistes ont le devoir de se comporter de manière responsable et je souscris à la pratique habituelle de journaux comme le Washington Post de donner aux organismes chargés de l'application de la loi la possibilité de faire valoir leurs arguments. informations, notamment celles susceptibles de porter atteinte à des membres américains du service militaire ou à des agents du renseignement si elles étaient communiquées sous une forme non expurgée. »

Joe Walsh : ( Ancien membre républicain de l'Illinois, 57 ans ) :

« Bien que je puisse comprendre l'impulsion à prendre des mesures pour protéger les informations classifiées, je suis toujours partisan d'affirmer qu'une presse libre est vitale pour notre démocratie américaine. Notre gouvernement ne devrait jamais chercher à poursuivre quiconque en justice pour avoir publié des informations utiles.

De plus, je suis troublé par le fait que dans l’affaire Assange, une grande partie de la couverture a été centrée sur le fait que son activité soit "journalistique" ou non. Je rejette cet objectif dans la mesure où la liberté de la presse est vitale en tant que manifestation de nos droits du Premier Amendement inscrits dans la Constitution, consacrés par la Constitution, à la liberté d'expression, un droit qui s'étend à de nombreuses formes d'expression et de parole. 

À l’heure des nouveaux médias, nous nous contentons de laisser un tribunal décider de ce qui constitue une activité journalistique et de ce qui ne l’est pas. En tant que président, je demanderais au ministère de la Justice d’établir des lignes directrices afin de s’assurer que nous adoptions le point de vue le plus large possible afin de nous assurer que le pouvoir exécutif défendait au maximum le premier amendement.

En tout état de cause, il ne doit pas incomber à un journaliste de décider si des informations peuvent être divulguées légalement ou non - cela va à l'encontre de l'esprit du quatrième amendement qui est au cœur de notre société démocratique. 

Plutôt que de savoir comment empêcher que des informations classifiées se retrouvent entre de mauvaises mains, je travaillerais en tant que président pour renforcer la protection des dénonciateurs afin d'éviter des situations dans lesquelles des employés ou des entrepreneurs du gouvernement respectueux de la loi estiment que la seule option de recours possible Sonner l’alarme aux mauvais acteurs (individus, agences, ou autres), c’est aller voir les médias. »


Elizabeth Warren : ( Sénateur du Massachusetts, 70 ans )

« Quelle que soit l’opinion de Julian Assange, ces accusations en vertu de la Loi sur l’espionnage créent un précédent qui pourrait être utilisé pour cibler les journalistes. Nous ne devrions pas utiliser cette affaire comme prétexte pour faire la guerre au Premier Amendement et attaquer la presse libre qui chaque jour tient en respect les puissants. »

William F. Weld : ( Ancien gouverneur républicain du Massachusetts, 74 ans ) :

« Mon administration ne porterait pas plainte contre Espionnage contre Julian Assange. »

Marianne Williamson : ( écrivaine américaine., 67 ans ) :

« La loi sur l’espionnage est une relique des poursuites engagées par le président Woodrow Wilson contre Eugene Debs pour s'être opposé à ses ébats militaires en Union soviétique.

 La loi viole la liberté d'expression et de la presse en criminalisant les publications sans preuve que les révélations avaient pour but de causer un préjudice important à la sécurité nationale des États-Unis. 

Le Premier amendement n'autorise pas une loi sur les secrets officiels de type britannique pour les informations classifiées. Je laisserais tomber les actes de la Loi sur l'espionnage contre Assange. »



Notre peur la plus profonde. 

Marianne Williamson est l'auteure de ce texte devenus célèbre, attribué à tort à Nelson Mandela lors de son discours d'investiture à la présidence en 1994. 

« Notre peur la plus profonde n'est pas d'être inapte.

Elle est que nous puissions être doté d'un pouvoir sans commune mesure.

C'est notre clarté, pas nos zones d'ombres, qui nous effraie.

Nous nous demandons "Qui suis-je pour être brillant, talentueux, fabuleux, splendide ?

En fait, quelle place ne méritez vous pas ? Vous êtes enfant de Dieu. 

On n'apporte rien au monde en se dévalorisant.

Il n'est pas éclairé de se faire plus petit que l'on est, simplement pour rassurer les autres autour de nous.

Nous sommes nés pour manifester la gloire de Dieu, présente en nous.

Nous sommes tous conçus pour briller, comme les enfants.

Ce n'est pas donné qu'à quelques-uns, c'est en nous tous.

En laissant briller notre propre lumière, nous donnons inconsciemment aux autres le pouvoir d'en faire autant.

Si nous nous libérons de notre propre peur, notre présence seule pourra aussi libérer les autres. »

Cet extrait est tiré de son livre "Un Retour à l'Amour : Réflexions sur les principes énoncés " dans " Un Cours sur les miracles " paru en 1992.

L'attribution à Nelson Mandela a rendu ce texte fort célèbre, et Marianne Williamson a dit à ce sujet :

« Aussi honorée que je puisse être si le Président Mandela avait cité mes mots, en réalité il ne l'a pas fait. Je n'ai aucune idée d'où a pu surgir cette idée, mais je suis heureuse que ce paragraphe en soit venu à signifier autant pour autant de personnes ».



vendredi 6 septembre 2019

Lettres à Sophie Volland par Denis Diderot ( 1759 )


Nous partageâmes notre promenade en deux : nous parcourûmes les bas avant dîner ; nous dînâmes tous d’appétit. Notre Baron, le nôtre, fut d’une folie sans égale.


Il a de l’originalité dans le ton et dans les idées. Imaginez un satyre gai, piquant, indécent et nerveux, au milieu d’un groupe de figures chastes, molles et délicates ; tel il était entre nous. Il n’aurait ni embarrassé ni offensé ma Sophie, parce que ma Sophie est homme et femme quand il lui plaît. 

                                                

                                                                                   Paris, le 10 mai 1759.

Nous partîmes hier à huit heures pour Marly ; nous y arrivâmes à dix heures et demie ; nous ordonnâmes un grand dîner, et nous nous répandîmes dans les jardins, où la chose qui me frappa, c’est le contraste d’un art délicat dans les berceaux et les bosquets, et d’une nature agreste dans un massif touffu de grands arbres qui les dominent et qui forment le fond. 

Ces pavillons, séparés et à demi enfoncés dans une forêt, semblent être les demeures de différents génies subalternes dont le maître occupe celui du milieu. Cela donne à l’ensemble un air de féerie qui me plut.

Il ne faut pas qu’il y ait beaucoup de statues dans un jardin, et celui-ci m’en paraît un peu trop peuplé ; il faut regarder les statues comme des êtres qui aiment la solitude et qui la cherchent, des poëtes, des philosophes et des amants, et ces êtres ne sont pas communs. 

Quelques belles statues cachées dans les lieux les plus écartés, les unes loin des autres, qui m’appellent, que j’aille chercher ou que je rencontre ; qui m’arrêtent, et avec lesquelles je m’entretiens longtemps ; et pas davantage ; et point d’autres.

 Je portais tout à travers les objets des pas errants et une âme mélancolique. Les autres nous devançaient à grands pas, et nous les suivions lentement, le baron de Gleichen et moi. Je me trouvais bien à côté de cet homme ; c’est que nous éprouvions au dedans de nous un sentiment commun et secret. C’est une chose incroyable comme les âmes sensibles s’entendent presque sans parler. 

Un mot échappé, une distraction, une réflexion vague et décousue, un regret éloigné, une expression détournée, le son de la voix, la démarche, le regard, l’attention, le silence, tout les décèle l’une à l’autre. 

Nous nous parlions peu ; nous sentions beaucoup ; nous souffrions tous deux ; mais il était plus à plaindre que moi. Je tournais de temps en temps mes yeux vers la ville ; les siens étaient souvent attachés à la terre ; il y cherchait un objet qui n’est plus.

Nous arrivâmes à un morceau qui me frappa par la simplicité, la force et la sublimité de l’idée. C’est un Centaure qui porte sur son dos un enfant. Cet enfant approche ses petits doigts de la tête de l’animal féroce et le conduit par un cheveu.

Il faut voir le visage du Centaure, le tour de sa tête, la langueur de son expression, son respect pour l’enfant despote : il le regarde, et l’on dirait qu’il craint de marcher. Un autre me fit encore plus de plaisir : c’est un vieux Faune qui s’attendrit sur un enfant nouveau-né qu’il tient dans ses bras. 

La statue d’Agrippine au bain est au-dessous de sa réputation, ou peut-être étais-je mal placé pour en juger mieux. Nous partageâmes notre promenade en deux : nous parcourûmes les bas avant dîner ; nous dînâmes tous d’appétit. Notre Baron, le nôtre, fut d’une folie sans égale.

Il a de l’originalité dans le ton et dans les idées. Imaginez un satyre gai, piquant, indécent et nerveux, au milieu d’un groupe de figures chastes, molles et délicates ; tel il était entre nous. Il n’aurait ni embarrassé ni offensé ma Sophie, parce que ma Sophie est homme et femme quand il lui plaît. 

Il n’aurait ni offensé ni embarrassé mon ami Grimm, parce qu’il permet à l’imagination ses écarts, et que le mot ne lui déplaît que quand il est mal placé. Oh ! combien il fut regretté, cet ami ! que ce fut un intervalle bien doux que celui où nos âmes s’ouvrirent, et nous nous mîmes à peindre et à louer nos amis absents ! 

Quelle chaleur d’expressions, de sentiment et d’idées ! quel enthousiasme ! que nous étions heureux d’en parler ! qu’ils l’auraient été de nous entendre ! Ô mon Grimm ! qui est-ce qui vous rendra mes discours ?

Notre dîner fut long et ne dura pas. Nous parcourûmes les hauts. J’observai que de toutes les eaux, il n’y en avait point d’aussi belles que celles qui tombent sans cesse ou qui coulent, et qu’on n’en avait pratiqué nulle part. 

Nous nous entretînmes d’art, de poésie, de philosophie et d’amour ; de la grandeur et de la vanité de nos entreprises ; du sentiment et du ver de l’immortalité ; des hommes, des dieux et des rois ; de l’espace et du temps ; de la mort et de la vie ; c’était un concert au milieu duquel le mot dissonant de notre Baron se faisait toujours distinguer.

Le vent qui s’élevait et la soirée qui commençait à devenir froide nous rapprochèrent de notre voiture. Le baron de Gleichen a beaucoup voyagé ; ce fut lui qui fit les frais de retour. Il nous parla des Inquisiteurs d’État de Venise, qui marchent toujours entre le confesseur et le bourreau ; de la barbarie de la cour de Sicile, qui avait abandonné un char de triomphe antique, avec ses bas-reliefs et ses chevaux, à des moines qui les ont fondus pour en faire des cloches : 

cela fut amené par la destruction d’une cascade de Marly dont les marbres revêtent à présent les chapelles de Saint-Sulpice. Je dis peu de choses. J’écoutais ou je rêvais. Nous descendîmes, entre huit et neuf, à la porte de notre ami. Je me reposai là jusqu’à dix. J’ai dormi de lassitude et de peine ; oui, mon amie, et de peine. J’augure mal de l’avenir. Votre mère a l’âme scellée des sept sceaux de l’Apocalypse. Sur son front est mis : Mystère.

Je vis à Marly deux sphinx, et je me la rappelai. Elle vous a promis, elle s’est promis à elle-même, plus qu’il n’est en elle de tenir ; mais je m’en console, et je vis sur la certitude que rien ne séparera nos deux âmes. Cela s’est dit, écrit, juré si souvent ! que cela soit vrai du moins une fois. Sophie, ce ne sera pas de ma faute.

M. de Saint-Lambert nous invite, le Baron et moi, à aller à Épinay passer quelque temps avec Mme d’Houdetot ; je refuse, et je fais bien, n’est-ce pas ? Malheur à celui qui cherche des distractions ! il en trouvera ; il guérira de son mal, et je veux garder le mien jusqu’au moment où tout finit. Je crains de vous aller voir ; il le faudra pourtant ; le sort nous traite comme si la peine était nécessaire à la durée de nos liens. Adieu, mon amie, un mot, s’il vous plaît, par Lanan. 




https://fr.wikisource.org/wiki/Lettres_à_Sophie_Volland/Texte_entier
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