Sur les canaux de vin vert se croisaient des bateaux aussi délicats que des fleurs de bronze. Au sein des longues demeures qui s’incurvaient interminablement, pareilles à des serpents au repos, à travers les collines, les amants paressaient en échangeant des chuchotis dans la fraîcheur nocturne des lits. Quelques enfants couraient encore dans les ruelles à la lueur des torches, brandissant des araignées d’or qui projetaient des entrelacs de fils. Ça et là se préparait un souper tardif sur des tables où de la lave portée au blanc argent bouillonnait en sifflant. Dans les amphithéâtres d’une centaine de villes situées sur la face nocturne de Mars, les Martiens à la peau brune et aux yeux pareils à des pièces d’or étaient calmement conviés à fixer leur attention sur des estrades où des musiciens faisaient flotter une musique sereine, tel un parfum de fleur, dans l’air paisible.
Sur une estrade une femme chantait.
Un frémissement parcourut l’assistance.
Elle s’arrêta de chanter, porta une main à sa gorge, fit un
signe de tête aux musiciens et ils reprirent le morceau.Et les musiciens de jouer et elle de chanter, et cette fois l’assistance soupira et se pencha en avant, quelques hommes se dressèrent sous le coup de la surprise, et un souffle glacé traversa l’amphithéâtre. Car c’était une chanson étrange et effrayante que chantait cette femme. Elle tenta d’empêcher les mots de franchir ses lèvres, mais ils étaient là :
Sur une estrade une femme chantait.
Un frémissement parcourut l’assistance.
Elle s’arrêta de chanter, porta une main à sa gorge, fit un
signe de tête aux musiciens et ils reprirent le morceau.Et les musiciens de jouer et elle de chanter, et cette fois l’assistance soupira et se pencha en avant, quelques hommes se dressèrent sous le coup de la surprise, et un souffle glacé traversa l’amphithéâtre. Car c’était une chanson étrange et effrayante que chantait cette femme. Elle tenta d’empêcher les mots de franchir ses lèvres, mais ils étaient là :
La beauté marche avec elle, comme la nuit
Des deux qui sont voués au règne des étoiles ;
Et le plus beau du noir et de tout ce qui luit
Dans sa personne entière et ses yeux se dévoile...
La chanteuse se fit un bâillon de ses mains, interdite.
« Qu’est-ce que c’est que ces paroles ? demandaient les musiciens.
— Qu’est-ce que c’est que cette chanson ?— Qu’est-ce que c’est que cette langue ? »
Et quand ils se remirent à souffler dans leurs trompes
dorées, l’étrange musique s’éleva pour planer au-dessus des spectateurs qui maintenant quittaient leurs sièges en parlant à voix haute.
« Qu’est-ce qui te prend ? se demandaient mutuellement les musiciens.
— Quel air tu jouais ?— Et toi, qu’est-ce que tu joues ? »
La femme fondit en larmes et quitta la scène en courant. Le
public déserta l’amphithéâtre. Et partout, dans toutes les villes de Mars, jetant le trouble, le même phénomène s’était produit. Une froidure de neige s’était emparée de l’atmosphère.
Dans les ruelles enténébrées, sous les torches, les enfants chantaient :
Et quand elle arriva, Il n’y avait plus rien, Et son chien fit tintin !
« Hé, les enfants ! criaient des voix. C’était quoi cette chanson ? Où l’avez-vous apprise ? — Elle nous est venue comme ça, d’un coup. C’est des mots qu’on ne comprend pas. »
Des deux qui sont voués au règne des étoiles ;
Et le plus beau du noir et de tout ce qui luit
Dans sa personne entière et ses yeux se dévoile...
La chanteuse se fit un bâillon de ses mains, interdite.
« Qu’est-ce que c’est que ces paroles ? demandaient les musiciens.
— Qu’est-ce que c’est que cette chanson ?— Qu’est-ce que c’est que cette langue ? »
Et quand ils se remirent à souffler dans leurs trompes
dorées, l’étrange musique s’éleva pour planer au-dessus des spectateurs qui maintenant quittaient leurs sièges en parlant à voix haute.
« Qu’est-ce qui te prend ? se demandaient mutuellement les musiciens.
— Quel air tu jouais ?— Et toi, qu’est-ce que tu joues ? »
La femme fondit en larmes et quitta la scène en courant. Le
public déserta l’amphithéâtre. Et partout, dans toutes les villes de Mars, jetant le trouble, le même phénomène s’était produit. Une froidure de neige s’était emparée de l’atmosphère.
Dans les ruelles enténébrées, sous les torches, les enfants chantaient :
Et quand elle arriva, Il n’y avait plus rien, Et son chien fit tintin !
« Hé, les enfants ! criaient des voix. C’était quoi cette chanson ? Où l’avez-vous apprise ? — Elle nous est venue comme ça, d’un coup. C’est des mots qu’on ne comprend pas. »
Les portes claquaient. Les rues se vidaient. Au-dessus des collines bleues une étoile verte se leva.
Sur toute la face nocturne de Mars les amants se réveillaient pour écouter leurs bien-aimées fredonner dans l’obscurité.
« Quel est donc cet air ? »
Et dans un millier de villas, au milieu de la nuit, des femmes se réveillaient en hurlant. Il fallait les calmer tandis que leur visage ruisselait de larmes. « Là, là. Dors. Qu’est-ce qui ne va pas ? Un rêve ?
— Quelque chose d’affreux va arriver demain matin.— Il ne peut rien arriver, tout va bien. »
Sanglot hystérique. « Ça se rapproche, ça se rapproche de
plus en plus !— Il ne peut rien nous arriver. Quelle idée ! Allons, dors.
Dors. »
Tout était calme dans les petites heures du matin martien,
aussi calme que les fraîches ténèbres d’un puits. Les étoiles brillaient dans les eaux des canaux; les enfants étaient pelotonnés dans leur chambre et le bruit de leur respiration, les poings refermés sur leurs araignées d’or ; les amants étaient enlacés, les lunes couchées, les torches froides, les amphithéâtres de pierre déserts.
Le silence ne fut rompu qu’à l’approche de l’aube par un veilleur de nuit qui, au loin, dans les sombres profondeurs d’une rue solitaire, fredonnait en marchant une étrange chanson...(...)
Sur toute la face nocturne de Mars les amants se réveillaient pour écouter leurs bien-aimées fredonner dans l’obscurité.
« Quel est donc cet air ? »
Et dans un millier de villas, au milieu de la nuit, des femmes se réveillaient en hurlant. Il fallait les calmer tandis que leur visage ruisselait de larmes. « Là, là. Dors. Qu’est-ce qui ne va pas ? Un rêve ?
— Quelque chose d’affreux va arriver demain matin.— Il ne peut rien arriver, tout va bien. »
Sanglot hystérique. « Ça se rapproche, ça se rapproche de
plus en plus !— Il ne peut rien nous arriver. Quelle idée ! Allons, dors.
Dors. »
Tout était calme dans les petites heures du matin martien,
aussi calme que les fraîches ténèbres d’un puits. Les étoiles brillaient dans les eaux des canaux; les enfants étaient pelotonnés dans leur chambre et le bruit de leur respiration, les poings refermés sur leurs araignées d’or ; les amants étaient enlacés, les lunes couchées, les torches froides, les amphithéâtres de pierre déserts.
Le silence ne fut rompu qu’à l’approche de l’aube par un veilleur de nuit qui, au loin, dans les sombres profondeurs d’une rue solitaire, fredonnait en marchant une étrange chanson...(...)
À la lueur des flammes qui palpitaient dans l’air ténu de cette mer desséchée de Mars, il regarda par-dessus son épaule et vit la fusée qui les avait tous emmenés, le capitaine Wilder, Cheroke, Hathaway, Sam Parkhill et lui-même, à travers le noir silence interstellaire pour se poser sur un monde de rêve désormais mort.
Jeff Spender attendait le tapage. Il regardait les autres hommes et attendait qu’ils se mettent à sauter et à brailler. Cela se produirait dès que se serait dissipée l’hébétude d’être les « premiers » hommes sur Mars. Aucun d’eux ne parlait, mais beaucoup espéraient, peut-être, que les autres expéditions avaient échoué et que celle-ci, la Quatrième, serait la bonne. Ils n’y mettaient aucune malice. Mais ils y songeaient quand même, nourrissaient des rêves d’honneur et de gloire, tandis que leurs poumons s’acclimataient à l’atmosphère raréfiée, qui saoulait presque si l’on se déplaçait trop vite.
Gibbs s’approcha du feu qui venait d’être allumé et dit : « Pourquoi ne pas se servir du feu chimique du vaisseau à la place de ce bois ?
— T’occupe », fit Spender sans lever les yeux.
Ce ne serait pas bien, la première nuit sur Mars, de faire du boucan, d’exhiber un engin aussi bizarre, stupide et clinquant qu’un poêle. Ce serait comme importer une sorte de blasphème.On aurait le temps pour cela plus tard ; le temps de jeter des boîtes de lait condensé dans les fiers canaux martiens ; le temps de laisser des numéros du New York Times voleter, cabrioler et froufrouter sur le désert gris auquel se réduisait le fond des mers martiennes ; le temps des peaux de banane et des papiers gras dans les ruines délicatement cannelées des anciennes villes martiennes. On aurait tout le temps. Il en éprouva un petit frisson intérieur.
Jeff Spender attendait le tapage. Il regardait les autres hommes et attendait qu’ils se mettent à sauter et à brailler. Cela se produirait dès que se serait dissipée l’hébétude d’être les « premiers » hommes sur Mars. Aucun d’eux ne parlait, mais beaucoup espéraient, peut-être, que les autres expéditions avaient échoué et que celle-ci, la Quatrième, serait la bonne. Ils n’y mettaient aucune malice. Mais ils y songeaient quand même, nourrissaient des rêves d’honneur et de gloire, tandis que leurs poumons s’acclimataient à l’atmosphère raréfiée, qui saoulait presque si l’on se déplaçait trop vite.
Gibbs s’approcha du feu qui venait d’être allumé et dit : « Pourquoi ne pas se servir du feu chimique du vaisseau à la place de ce bois ?
— T’occupe », fit Spender sans lever les yeux.
Ce ne serait pas bien, la première nuit sur Mars, de faire du boucan, d’exhiber un engin aussi bizarre, stupide et clinquant qu’un poêle. Ce serait comme importer une sorte de blasphème.On aurait le temps pour cela plus tard ; le temps de jeter des boîtes de lait condensé dans les fiers canaux martiens ; le temps de laisser des numéros du New York Times voleter, cabrioler et froufrouter sur le désert gris auquel se réduisait le fond des mers martiennes ; le temps des peaux de banane et des papiers gras dans les ruines délicatement cannelées des anciennes villes martiennes. On aurait tout le temps. Il en éprouva un petit frisson intérieur.
Il alimentait le feu à la main, et c’était comme une offrande à un géant mort. Ils s’étaient posés sur un immense tombeau. Ici était morte toute une civilisation. La plus élémentaire des courtoisies imposait que cette première nuit se passe dans le silence.
« C’est pas ma conception de la fête. » Gibbs se tourna vers le capitaine Wilder. « Je pensais qu’on pourrait distribuer des rations de gin et de nourriture et faire un peu la bringue. »
Le capitaine Wilder avait les yeux fixés sur une cité morte à un ou deux kilomètres de là. « Nous sommes tous fatigués », dit-il d’un air absent, comme si toute son attention était retenue par la cité et ses habitants oubliés. « Demain soir, peut-être. Ce soir, on devrait simplement se réjouir d’avoir traversé tout cet espace sans se ramasser un météore dans la coque et sans mort d’homme. »
L’équipage commençait à s’agiter. Vingt hommes en tout, qui se tenaient par les épaules ou ajustaient leurs ceinturons. Spender les observait. Ils n’étaient pas contents. Ils avaient risqué leur vie pour réaliser un exploit. Maintenant ils avaient envie de se saouler, de crier et de tirer en l’air pour montrer quels types formidables ils étaient d’avoir foré l’espace à bord d’une fusée jusqu’à la planète Mars.
Mais personne ne braillait.(...)
« C’est pas ma conception de la fête. » Gibbs se tourna vers le capitaine Wilder. « Je pensais qu’on pourrait distribuer des rations de gin et de nourriture et faire un peu la bringue. »
Le capitaine Wilder avait les yeux fixés sur une cité morte à un ou deux kilomètres de là. « Nous sommes tous fatigués », dit-il d’un air absent, comme si toute son attention était retenue par la cité et ses habitants oubliés. « Demain soir, peut-être. Ce soir, on devrait simplement se réjouir d’avoir traversé tout cet espace sans se ramasser un météore dans la coque et sans mort d’homme. »
L’équipage commençait à s’agiter. Vingt hommes en tout, qui se tenaient par les épaules ou ajustaient leurs ceinturons. Spender les observait. Ils n’étaient pas contents. Ils avaient risqué leur vie pour réaliser un exploit. Maintenant ils avaient envie de se saouler, de crier et de tirer en l’air pour montrer quels types formidables ils étaient d’avoir foré l’espace à bord d’une fusée jusqu’à la planète Mars.
Mais personne ne braillait.(...)
Spender ne reparut pas de toute la semaine suivante. Le capitaine envoya des petits détachements à sa recherche, mais ils rentrèrent en disant qu’ils ne savaient pas où Spender avait pu aller. Il reviendrait quand ça lui chanterait. C’était un râleur. Il pouvait aller au diable !
Le capitaine ne dit rien mais consigna la chose dans son livre de bord...
Ce matin-là aurait pu être un lundi, un mardi ou n’importe quel autre jour sur Mars. Biggs était assis au bord du canal, les pieds trempant dans l’eau fraîche, le visage tourné vers le soleil.
Un homme s’approcha le long de la berge. Son ombre se posa sur Biggs, qui leva les yeux.
« Ça c’est trop fort ! fit Biggs.
—Je suis le dernier des Martiens, déclara l’homme en sortant un pistolet.
— Qu’est-ce que vous dites ?— Je vais te tuer.— Arrêtez votre char. Qu’est-ce que c’est que cette blague,
Spender ?— Lève-toi, que je te troue la panse.— Rangez ce pistolet, bon Dieu ! »
Spender appuya une seule fois sur la détente. Biggs resta un
instant assis au bord du canal avant de basculer en avant et de tomber dans l’eau. Le pistolet n’avait fait entendre qu’un léger bourdonnement. Le corps s’enfonça avec une lente indifférence dans le courant paresseux. Il émit un gargouillement caverneux qui cessa au bout d’un moment.
Spender rengaina son arme et s’éloigna sans bruit. Le soleil brillait sur Mars, lui brûlant les mains et caressant les côtés de son visage contracté. Il ne courait pas ; il marchait comme s’il n’y avait rien de nouveau en ce jour en dehors de la lumière du jour. Il alla jusqu’à la fusée. Quelques hommes absorbaient un petit déjeuner tout juste apprêté sous un abri construit par Cookie.
« Tiens, voilà le Cavalier solitaire, dit l’un d’eux.— Salut, Spender ! Ça fait une paye ! »
Le capitaine ne dit rien mais consigna la chose dans son livre de bord...
Ce matin-là aurait pu être un lundi, un mardi ou n’importe quel autre jour sur Mars. Biggs était assis au bord du canal, les pieds trempant dans l’eau fraîche, le visage tourné vers le soleil.
Un homme s’approcha le long de la berge. Son ombre se posa sur Biggs, qui leva les yeux.
« Ça c’est trop fort ! fit Biggs.
—Je suis le dernier des Martiens, déclara l’homme en sortant un pistolet.
— Qu’est-ce que vous dites ?— Je vais te tuer.— Arrêtez votre char. Qu’est-ce que c’est que cette blague,
Spender ?— Lève-toi, que je te troue la panse.— Rangez ce pistolet, bon Dieu ! »
Spender appuya une seule fois sur la détente. Biggs resta un
instant assis au bord du canal avant de basculer en avant et de tomber dans l’eau. Le pistolet n’avait fait entendre qu’un léger bourdonnement. Le corps s’enfonça avec une lente indifférence dans le courant paresseux. Il émit un gargouillement caverneux qui cessa au bout d’un moment.
Spender rengaina son arme et s’éloigna sans bruit. Le soleil brillait sur Mars, lui brûlant les mains et caressant les côtés de son visage contracté. Il ne courait pas ; il marchait comme s’il n’y avait rien de nouveau en ce jour en dehors de la lumière du jour. Il alla jusqu’à la fusée. Quelques hommes absorbaient un petit déjeuner tout juste apprêté sous un abri construit par Cookie.
« Tiens, voilà le Cavalier solitaire, dit l’un d’eux.— Salut, Spender ! Ça fait une paye ! »
Les quatre hommes attablés observaient le personnage silencieux qui les toisait.
« Vous et ces fichues ruines ! s’esclaffa Cookie en remuant une substance noire dans un pot de faïence. Vous êtes comme un chien dans un tas d’os.
—Peut-être, dit Spender. J’ai fait quelques découvertes. Que diriez-vous si j’avais trouvé un Martien en train de rôder dans les parages ? »
Les quatre hommes posèrent leurs fourchettes.
« Vraiment ? Où ça ?—Peu importe. Laissez-moi vous poser une question.
Comment réagiriez-vous si vous étiez martiens et que des étrangers débarquent dans votre pays et commencent à le mettre en pièces ?
— Je sais très bien comment je réagirais, dit Cheroke. J’ai du sang cherokee dans les veines. Mon grand-père m’a raconté des tas de choses sur l’Oklahoma et le territoire indien. S’il y a un Martien dans le coin, je suis à fond pour lui.
— Et vous autres ? » demanda Spender, attentif.
Personne ne répondit ; leur silence était éloquent. Prends ce qui te tombe sous la main, ce que tu trouves est à toi, si l’autre tend la joue, mets-lui-en une bonne, etc.
« Eh bien, dit Spender, j’ai trouvé un Martien. »
Les autres le lorgnèrent.
« Là-bas, dans une ville morte. Je ne pensais pas en trouver
un. Je ne songeais même pas à en chercher un. Je ne sais pas ce qu’il faisait là. Je suis resté environ une semaine dans une petite ville au fond d’une vallée, à apprendre à lire les anciens livres et à examiner leurs formes d’art passées. Et un jour j’ai vu ce Martien. Il est resté là un moment, puis il a disparu. Un autre jour s’est écoulé sans qu’il revienne. J’ai continué de traîner dans le coin, à apprendre à lire les vieux textes, et le Martien est revenu, chaque fois un peu plus près, jusqu’au jour où je suis parvenu à déchiffrer le langage martien – c’est extraordinairement simple et il y a des idéogrammes pour faciliter les choses. Là, le Martien m’est apparu et m’a dit :
« Donne-moi tes bottes. » Et je les lui ai données. Puis : « Donne-moi ton uniforme et tous tes autres vêtements." Et je lui ai donné tout ça. Puis : « Donne-moi ton pistolet. »
« Vous et ces fichues ruines ! s’esclaffa Cookie en remuant une substance noire dans un pot de faïence. Vous êtes comme un chien dans un tas d’os.
—Peut-être, dit Spender. J’ai fait quelques découvertes. Que diriez-vous si j’avais trouvé un Martien en train de rôder dans les parages ? »
Les quatre hommes posèrent leurs fourchettes.
« Vraiment ? Où ça ?—Peu importe. Laissez-moi vous poser une question.
Comment réagiriez-vous si vous étiez martiens et que des étrangers débarquent dans votre pays et commencent à le mettre en pièces ?
— Je sais très bien comment je réagirais, dit Cheroke. J’ai du sang cherokee dans les veines. Mon grand-père m’a raconté des tas de choses sur l’Oklahoma et le territoire indien. S’il y a un Martien dans le coin, je suis à fond pour lui.
— Et vous autres ? » demanda Spender, attentif.
Personne ne répondit ; leur silence était éloquent. Prends ce qui te tombe sous la main, ce que tu trouves est à toi, si l’autre tend la joue, mets-lui-en une bonne, etc.
« Eh bien, dit Spender, j’ai trouvé un Martien. »
Les autres le lorgnèrent.
« Là-bas, dans une ville morte. Je ne pensais pas en trouver
un. Je ne songeais même pas à en chercher un. Je ne sais pas ce qu’il faisait là. Je suis resté environ une semaine dans une petite ville au fond d’une vallée, à apprendre à lire les anciens livres et à examiner leurs formes d’art passées. Et un jour j’ai vu ce Martien. Il est resté là un moment, puis il a disparu. Un autre jour s’est écoulé sans qu’il revienne. J’ai continué de traîner dans le coin, à apprendre à lire les vieux textes, et le Martien est revenu, chaque fois un peu plus près, jusqu’au jour où je suis parvenu à déchiffrer le langage martien – c’est extraordinairement simple et il y a des idéogrammes pour faciliter les choses. Là, le Martien m’est apparu et m’a dit :
« Donne-moi tes bottes. » Et je les lui ai données. Puis : « Donne-moi ton uniforme et tous tes autres vêtements." Et je lui ai donné tout ça. Puis : « Donne-moi ton pistolet. »
Et je le lui ai donné. Et enfin : « Maintenant viens avec moi et regarde ce qui se passe. » Et le Martien est allé jusqu’au camp, et le voilà.
— Je ne vois aucun Martien, dit Cheroke.— Désolé. »
Spender sortit son pistolet. Il bourdonna légèrement. La
première balle atteignit l’homme qui se trouvait à gauche ; les deux suivantes abattirent ceux qui se tenaient à droite et au centre de la table. Cookie se détourna du foyer, horrifié, pour encaisser la quatrième balle. Il tomba à la renverse dans le feu et resta là sans bouger tandis que ses vêtements s’enflammaient.
La fusée reposait en plein soleil. Trois hommes, les mains sur la table, se tenaient immobiles devant leur petit déjeuner qui refroidissait. Cheroke, seul à rester indemne, fixait sur Spender un regard pétrifié par l’incrédulité.
« Tu peux venir avec moi », dit Spender.
Cheroke demeura coi.
« Tu peux te mettre de mon côté. » Spender attendait. Enfin, Cheroke retrouva la parole. « Vous les avez tués, dit-
il en risquant un œil sur le carnage.
— Ils le méritaient.— Vous êtes fou !— Peut-être. Mais tu peux venir avec moi.— Venir avec vous, pour quoi faire ? cria Cheroke, livide, les
yeux au bord des larmes. Allez, fichez le camp ! »
Le visage de Spender se durcit. «Je pensais que toi au
moins tu comprendrais.— Foutez le camp ! » Cheroke tendit la main vers son
pistolet.
Spender tira une dernière fois. Cheroke cessa de bouger. Alors Spender vacilla sur ses jambes. Il porta une main à
son visage en sueur, jeta un coup d’œil à la fusée et se mit à trembler de tous ses membres. Il faillit tomber tant la réaction physique était violente. Il avait l’air de se réveiller d’un sommeil hypnotique, d’un rêve. Il s’assit un moment et s’exhorta au calme.
— Je ne vois aucun Martien, dit Cheroke.— Désolé. »
Spender sortit son pistolet. Il bourdonna légèrement. La
première balle atteignit l’homme qui se trouvait à gauche ; les deux suivantes abattirent ceux qui se tenaient à droite et au centre de la table. Cookie se détourna du foyer, horrifié, pour encaisser la quatrième balle. Il tomba à la renverse dans le feu et resta là sans bouger tandis que ses vêtements s’enflammaient.
La fusée reposait en plein soleil. Trois hommes, les mains sur la table, se tenaient immobiles devant leur petit déjeuner qui refroidissait. Cheroke, seul à rester indemne, fixait sur Spender un regard pétrifié par l’incrédulité.
« Tu peux venir avec moi », dit Spender.
Cheroke demeura coi.
« Tu peux te mettre de mon côté. » Spender attendait. Enfin, Cheroke retrouva la parole. « Vous les avez tués, dit-
il en risquant un œil sur le carnage.
— Ils le méritaient.— Vous êtes fou !— Peut-être. Mais tu peux venir avec moi.— Venir avec vous, pour quoi faire ? cria Cheroke, livide, les
yeux au bord des larmes. Allez, fichez le camp ! »
Le visage de Spender se durcit. «Je pensais que toi au
moins tu comprendrais.— Foutez le camp ! » Cheroke tendit la main vers son
pistolet.
Spender tira une dernière fois. Cheroke cessa de bouger. Alors Spender vacilla sur ses jambes. Il porta une main à
son visage en sueur, jeta un coup d’œil à la fusée et se mit à trembler de tous ses membres. Il faillit tomber tant la réaction physique était violente. Il avait l’air de se réveiller d’un sommeil hypnotique, d’un rêve. Il s’assit un moment et s’exhorta au calme.
« Arrête, arrête ! » ordonnait-il à son corps. Il frissonnait de toutes ses fibres. « Arrête ! » Il pesa sur son corps de toute sa force mentale jusqu’à l’expulsion du moindre frémissement. Désormais ses mains reposaient sagement sur ses genoux.
Il se leva et fixa un casier de rations portable sur son dos avec une tranquille efficacité. Sa main se remit à trembler l’espace d’une petite seconde, mais un « Non ! » lancé d’une voix ferme eut raison de cette incartade. Puis, d’un pas raide, il s’enfonça dans la touffeur des collines rouges sans autre compagnie que la sienne. (...)
Il se leva et fixa un casier de rations portable sur son dos avec une tranquille efficacité. Sa main se remit à trembler l’espace d’une petite seconde, mais un « Non ! » lancé d’une voix ferme eut raison de cette incartade. Puis, d’un pas raide, il s’enfonça dans la touffeur des collines rouges sans autre compagnie que la sienne. (...)
— Pourquoi ne pas nous avoir tous tués ce matin, quand
vous en aviez l’occasion ? Vous auriez pu, vous savez.— Je sais. En fait, j’ai eu un malaise. Quand on crève d’envie de faire quelque chose, on se ment à soi-même. On se dit que tous les autres ont tort. Bref, après avoir commencé à tuer ces types, je me suis rendu compte que ce n’étaient que des imbéciles et que je n’avais pas le droit de les tuer. Mais il était trop tard. Je n’ai pas pu continuer, alors je suis monté ici, où je pouvais recommencer à me mentir, nourrir ma colère, faire
remonter la pression.— Elle est remontée ?— Pas très haut. Mais suffisamment. »
Wilder contempla sa cigarette. «Pourquoi avez-vous fait
ça ? »
Spender posa discrètement son pistolet à ses pieds. « Parce
que j’ai constaté que ce que ces Martiens possédaient était largement aussi bien que tout ce que nous pourrons jamais espérer obtenir. Ils se sont arrêtés là où nous aurions dû le faire il y a cent ans. Je me suis promené dans leurs cités, je connais ces gens-là et je serais heureux de les avoir pour ancêtres. (...)
vous en aviez l’occasion ? Vous auriez pu, vous savez.— Je sais. En fait, j’ai eu un malaise. Quand on crève d’envie de faire quelque chose, on se ment à soi-même. On se dit que tous les autres ont tort. Bref, après avoir commencé à tuer ces types, je me suis rendu compte que ce n’étaient que des imbéciles et que je n’avais pas le droit de les tuer. Mais il était trop tard. Je n’ai pas pu continuer, alors je suis monté ici, où je pouvais recommencer à me mentir, nourrir ma colère, faire
remonter la pression.— Elle est remontée ?— Pas très haut. Mais suffisamment. »
Wilder contempla sa cigarette. «Pourquoi avez-vous fait
ça ? »
Spender posa discrètement son pistolet à ses pieds. « Parce
que j’ai constaté que ce que ces Martiens possédaient était largement aussi bien que tout ce que nous pourrons jamais espérer obtenir. Ils se sont arrêtés là où nous aurions dû le faire il y a cent ans. Je me suis promené dans leurs cités, je connais ces gens-là et je serais heureux de les avoir pour ancêtres. (...)
— J’ai découvert des passages souterrains et une retraite que vous ne trouverez jamais. Je vais m’y réfugier pour quelques semaines. Le temps que votre garde se relâche. Et là, je vous descendrai l’un après l’autre. »
Le capitaine hocha la tête. «Parlez-moi un peu de cette civilisation, dit-il en désignant d’un geste de la main les villes environnantes.
— Ils savaient vivre avec la nature et s’entendre avec elle. Ils ne s’acharnaient pas à éliminer en eux l’animal pour n’être que des hommes. C’est l’erreur que nous avons commise quand Darwin est entré en scène. Nous l’avons serré dans nos bras, tout sourires, et Huxley et Freud avec lui. Puis nous avons découvert que Darwin et nos religions ne s’accordaient pas. Ou du moins, nous n’avons pas pensé la chose possible. Pauvres imbéciles que nous étions! Nous avons essayé d’ébranler Darwin, Huxley et Freud. Mais ils ne se sont pas laissé faire. Alors, comme des idiots, nous avons essayé d’abattre la religion.
« Là, nous avons assez bien réussi. Nous avons perdu la foi et sommes allés nous demandant quel était le but de la vie. Si l’art n’était rien de plus que l’expression d’un désir frustré, si la religion n’était qu’aveuglement, quel était l’intérêt de la vie ? La foi avait toujours donné réponse à tout. Mais elle a été reléguée aux oubliettes avec Freud et Darwin. Nous étions et sommes encore des hommes perdus.
— Et ces Martiens se seraient trouvés ?
— Oui. Ils savaient marier science et religion de façon que l’une et l’autre s’épaulent, s’enrichissent mutuellement au lieu de se nier.
— L’idéal !
Le capitaine hocha la tête. «Parlez-moi un peu de cette civilisation, dit-il en désignant d’un geste de la main les villes environnantes.
— Ils savaient vivre avec la nature et s’entendre avec elle. Ils ne s’acharnaient pas à éliminer en eux l’animal pour n’être que des hommes. C’est l’erreur que nous avons commise quand Darwin est entré en scène. Nous l’avons serré dans nos bras, tout sourires, et Huxley et Freud avec lui. Puis nous avons découvert que Darwin et nos religions ne s’accordaient pas. Ou du moins, nous n’avons pas pensé la chose possible. Pauvres imbéciles que nous étions! Nous avons essayé d’ébranler Darwin, Huxley et Freud. Mais ils ne se sont pas laissé faire. Alors, comme des idiots, nous avons essayé d’abattre la religion.
« Là, nous avons assez bien réussi. Nous avons perdu la foi et sommes allés nous demandant quel était le but de la vie. Si l’art n’était rien de plus que l’expression d’un désir frustré, si la religion n’était qu’aveuglement, quel était l’intérêt de la vie ? La foi avait toujours donné réponse à tout. Mais elle a été reléguée aux oubliettes avec Freud et Darwin. Nous étions et sommes encore des hommes perdus.
— Et ces Martiens se seraient trouvés ?
— Oui. Ils savaient marier science et religion de façon que l’une et l’autre s’épaulent, s’enrichissent mutuellement au lieu de se nier.
— L’idéal !
— Absolument. J’aimerais vous montrer comment les Martiens y sont arrivés.
— Mes hommes attendent.
— Nous ne serons absents qu’une demi-heure. Informez-en vos hommes, capitaine. »
Wilder hésita, puis il se leva et lança un ordre vers le bas de la colline.
Spender le mena dans un petit village martien entièrement fait d’un marbre sans défaut. Il y avait là de longues frises d’animaux magnifiques, félins aux membres blancs et symboles solaires aux membres jaunes, des statues de créatures taurines, d’hommes et de femmes et d’énormes molosses aux traits pleins de délicatesse.
« Voilà la réponse, capitaine.— Je ne vois pas.— Les Martiens ont découvert le secret de la vie dans le
monde animal. L’animal ne s’interroge pas sur la vie. Il vit. Sa seule raison de vivre est la vie ; il jouit de la vie et la savoure. Vous voyez... les statues, les symboles animaux un peu partout.
— Ça a un air païen.
— Au contraire, ce sont des symboles divins, des symboles de la vie. Sur Mars aussi, l’homme était devenu trop humain et pas assez animal. Et les Martiens ont compris que, pour survivre, il leur fallait renoncer à toujours se poser cette question : Pourquoi vivre ?
La vie fournissait sa propre réponse. La vie consistait à engendrer encore de la vie et à vivre la meilleure vie possible. Les Martiens se sont aperçus qu’ils se posaient la question du pourquoi de la vie au sommet d’une période de guerre et de désespoir, quand il n’y avait pas de réponse. Mais une fois la civilisation revenue au calme, à la sagesse, une fois les guerres finies, la question est devenue absurde d’une nouvelle façon. Désormais il faisait bon vivre et toute discussion était inutile. (...)
— Mes hommes attendent.
— Nous ne serons absents qu’une demi-heure. Informez-en vos hommes, capitaine. »
Wilder hésita, puis il se leva et lança un ordre vers le bas de la colline.
Spender le mena dans un petit village martien entièrement fait d’un marbre sans défaut. Il y avait là de longues frises d’animaux magnifiques, félins aux membres blancs et symboles solaires aux membres jaunes, des statues de créatures taurines, d’hommes et de femmes et d’énormes molosses aux traits pleins de délicatesse.
« Voilà la réponse, capitaine.— Je ne vois pas.— Les Martiens ont découvert le secret de la vie dans le
monde animal. L’animal ne s’interroge pas sur la vie. Il vit. Sa seule raison de vivre est la vie ; il jouit de la vie et la savoure. Vous voyez... les statues, les symboles animaux un peu partout.
— Ça a un air païen.
— Au contraire, ce sont des symboles divins, des symboles de la vie. Sur Mars aussi, l’homme était devenu trop humain et pas assez animal. Et les Martiens ont compris que, pour survivre, il leur fallait renoncer à toujours se poser cette question : Pourquoi vivre ?
La vie fournissait sa propre réponse. La vie consistait à engendrer encore de la vie et à vivre la meilleure vie possible. Les Martiens se sont aperçus qu’ils se posaient la question du pourquoi de la vie au sommet d’une période de guerre et de désespoir, quand il n’y avait pas de réponse. Mais une fois la civilisation revenue au calme, à la sagesse, une fois les guerres finies, la question est devenue absurde d’une nouvelle façon. Désormais il faisait bon vivre et toute discussion était inutile. (...)
« On a eu de la chance. Il ne reste plus de fusées. Il est temps que vous sachiez que ceci n’est pas une partie de pêche. J’ai tardé à vous le dire. La Terre n’existe plus. Il n’y aura plus de voyages interplanétaires pendant des siècles, c’en est peut- être fini à jamais. Mais ce mode de vie s’est révélé une faillite et s’est étranglé de ses propres mains. Vous êtes jeunes. Je vous répéterai ça tous les jours jusqu’à ce que ça rentre. »
Il s’arrêta pour jeter d’autres papiers dans le feu.
«À présent, nous sommes seuls. Nous et une poignée d’autres personnes qui arriveront dans quelques jours. Assez pour recommencer. Assez pour tourner le dos à tout ça, là-bas, sur la Terre, et repartir sur de nouvelles bases... »
Le feu s’anima pour souligner ses paroles. Tous les papiers, sauf un, étaient désormais consumés. Toutes les lois et les croyances de la Terre n’étaient plus qu’un petit amas de cendres brûlantes qu’un souffle de vent ne tarderait pas à emporter.
Timothy regarda le dernier papier que papa jeta dans le feu. C’était une carte du Monde. Elle se tordit, se recroquevilla sous les flammes, et pffft, s’évanouit comme un papillon noir. Timothy détourna la tête.
« Maintenant, je vais vous montrer les Martiens, dit papa. Venez tous. Toi aussi, Alice. » Il lui prit la main.
Michael pleurait à chaudes larmes. Papa le prit dans ses bras et ils se mirent en route au milieu des ruines pour se diriger vers le canal.
Le canal. Où, le lendemain ou le surlendemain, leurs futures femmes, pour l’instant des fillettes rieuses, arriveraient en bateau avec père et mère.
La nuit les enveloppait. Des étoiles brillaient, mais Timothy ne parvint pas à trouver la Terre. Elle était déjà couchée. Cela donnait à réfléchir.
Sur leur passage, un oiseau de nuit lança son cri parmi les ruines. « Votre mère et moi essaierons de vous apprendre, dit papa. Peut-être échouerons-nous. J’espère que non. Nous avons vu beaucoup de choses et en avons tiré les enseignements. Nous avons décidé de ce voyage il y a des années, avant votre naissance. Même s’il n’y avait pas eu de guerre, je crois que nous serions venus sur Mars pour y vivre selon nos principes. Il aurait fallu un siècle de plus avant que Mars ne soit vraiment empoisonné par la civilisation terrienne. Maintenant, bien sûr... »
Il s’arrêta pour jeter d’autres papiers dans le feu.
«À présent, nous sommes seuls. Nous et une poignée d’autres personnes qui arriveront dans quelques jours. Assez pour recommencer. Assez pour tourner le dos à tout ça, là-bas, sur la Terre, et repartir sur de nouvelles bases... »
Le feu s’anima pour souligner ses paroles. Tous les papiers, sauf un, étaient désormais consumés. Toutes les lois et les croyances de la Terre n’étaient plus qu’un petit amas de cendres brûlantes qu’un souffle de vent ne tarderait pas à emporter.
Timothy regarda le dernier papier que papa jeta dans le feu. C’était une carte du Monde. Elle se tordit, se recroquevilla sous les flammes, et pffft, s’évanouit comme un papillon noir. Timothy détourna la tête.
« Maintenant, je vais vous montrer les Martiens, dit papa. Venez tous. Toi aussi, Alice. » Il lui prit la main.
Michael pleurait à chaudes larmes. Papa le prit dans ses bras et ils se mirent en route au milieu des ruines pour se diriger vers le canal.
Le canal. Où, le lendemain ou le surlendemain, leurs futures femmes, pour l’instant des fillettes rieuses, arriveraient en bateau avec père et mère.
La nuit les enveloppait. Des étoiles brillaient, mais Timothy ne parvint pas à trouver la Terre. Elle était déjà couchée. Cela donnait à réfléchir.
Sur leur passage, un oiseau de nuit lança son cri parmi les ruines. « Votre mère et moi essaierons de vous apprendre, dit papa. Peut-être échouerons-nous. J’espère que non. Nous avons vu beaucoup de choses et en avons tiré les enseignements. Nous avons décidé de ce voyage il y a des années, avant votre naissance. Même s’il n’y avait pas eu de guerre, je crois que nous serions venus sur Mars pour y vivre selon nos principes. Il aurait fallu un siècle de plus avant que Mars ne soit vraiment empoisonné par la civilisation terrienne. Maintenant, bien sûr... »
Ils atteignirent le canal. Long trait rectiligne dispensateur de fraîcheur, il miroitait dans la nuit.
« J’ai toujours voulu voir un Martien, dit Michael. Où ils sont, p’pa ? Tu avais promis.
— Les voilà », dit papa. Il hissa Michael sur son épaule et pointa un doigt vers le bas.
Les Martiens étaient là. Timothy se mit à frissonner.
Les Martiens étaient là – dans le canal – réfléchis dans l’eau. Timothy, Michael, Robert, papa et maman.
Les Martiens leur retournèrent leurs regards durant un long, long moment de silence dans les rides de l’eau...
http://gen.lib.rus.ec/fiction/?q=Ray+Bradbury&criteria=&language=French&format=&page=2
« J’ai toujours voulu voir un Martien, dit Michael. Où ils sont, p’pa ? Tu avais promis.
— Les voilà », dit papa. Il hissa Michael sur son épaule et pointa un doigt vers le bas.
Les Martiens étaient là. Timothy se mit à frissonner.
Les Martiens étaient là – dans le canal – réfléchis dans l’eau. Timothy, Michael, Robert, papa et maman.
Les Martiens leur retournèrent leurs regards durant un long, long moment de silence dans les rides de l’eau...
http://gen.lib.rus.ec/fiction/?q=Ray+Bradbury&criteria=&language=French&format=&page=2
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