jeudi 29 novembre 2018

" Une idée de l’Homme " extrait de " Eloge de la fuite " par Henri Laborit




Il n’y a que dans les pays où le pouvoir hiérarchique n’est plus lié à la propriété des choses, mais au conformisme idéologique, que les mots reprennent de l’importance et que la culture, qui ne se vend pas, ne peut plus se permettre d’être déviante. En pays capitalistes au contraire, le système, cimenté par la puissance adhésive de la marchandise, accepte, pourvu qu’elle se vende, toute idée, même révolutionnaire. Sa vente ne peut que favoriser la cohésion du système et montrer le libéralisme idéologique de la société qui l’autorise.






Les langages, intermédiaires obligés des relations humaines, ont couvert de leur logique et de leur justification l’établissement des hiérarchies de dominances dont nous avons dit qu’elles étaient fondées sur la recherche inconsciente et individuelle du plaisir, de l’équilibre biologique. Les dominants ont ainsi toujours trouvé de « bonnes raisons pour justifier leur dominance, et les dominés de « bonnes raisons » pour les accepter religieusement ou pour les rejeter avec violence. 

La philosophie et l’ensemble des sciences humaines se sont établies sur la tromperie du langage. Tromperie, car il ne prenait jamais en compte ce qui mène le discours, l’inconscient. Et quand Freud, après d’autres sans doute, est venu le démasquer, comment pouvait-il convaincre, puisque par définition l’inconscient est inconscient ? Comment admettre son existence quand la conscience couvre magiquement tous les rapports humains de sa clarté éblouissante, de sa charpente simple et solide, de sa cohérence avec le monde palpable, tangible ? (...)


L’Homme est enfin, on peut le supposer, le seul animal qui sache qu’il doit mourir. Ses luttes journalières compétitives, sa recherche du bien-être à travers l’ascension hiérarchique, son travail machinal accablant, lui laissent peu de temps pour penser à la mort, à sa mort. C’est dommage, car l’angoisse qui en résulte est sans doute la motivation la plus puissante à la créativité. Celle-ci n’est-elle pas en effet une recherche de la compréhension, du pourquoi et du comment du monde, et chaque découverte ne nous permet-elle pas d’arracher un lambeau au linceul de la mort ? N’est-ce pas ainsi que l’on peut comprendre qu’en son absence celui qui « gagne » sa vie la perd ? (…)

Même en écarquillant les yeux, l’Homme ne voit rien. Il tâtonne en trébuchant sur la route obscure de la vie, dont il ne sait ni d’où elle vient, ni où elle va. Il est aussi angoissé qu’un enfant enfermé dans le noir. C’est la raison du succès à travers les âges des religions, des mythes, des horoscopes, des rebouteux, des prophètes, des voyants extralucides, de la magie et de la science aujourd’hui. Grâce à ce bric-à-brac ésotérique, l’Homme peut agir. (...)

Même en écarquillant les yeux, l’Homme ne voit rien. Il tâtonne en trébuchant sur la route obscure de la vie, dont il ne sait ni d’où elle vient, ni où elle va. Il est aussi angoissé qu’un enfant enfermé dans le noir. C’est la raison du succès à travers les âges des religions, des mythes, des horoscopes, des rebouteux, des prophètes, des voyants extralucides, de la magie et de la science aujourd’hui. Grâce à ce bric-à-brac ésotérique, l’Homme peut agir.(...)

Pour bien des raisons, les sociétés de l’ennui ont besoin de l’art et de la culture, qu’elles séparent de façon péremptoire du travail et de la production. (...)

Il n’y a que dans les pays où le pouvoir hiérarchique n’est plus lié à la propriété des choses, mais au conformisme idéologique, que les mots reprennent de l’importance et que la culture, qui ne se vend pas, ne peut plus se permettre d’être déviante. En pays capitalistes au contraire, le système, cimenté par la puissance adhésive de la marchandise, accepte, pourvu qu’elle se vende, toute idée, même révolutionnaire. Sa vente ne peut que favoriser la cohésion du système et montrer le libéralisme idéologique de la société qui l’autorise. (...)

Cette culture enfin est un amoncellement de jugements de valeur. Comment pourrait-il en être autrement puisque les mécanismes qui permettent à l’homme de voir, d’entendre, de penser, la clef de ses comportements d’attirance ou de retrait, de ses choix comme on dit, a été cachée, dès son enfance, sous son oreiller et qu’il n’a jamais l’occasion de faire son berceau. Sa mère s’en charge. (…)

Cette division elle-même est un phénomène culturel, comme la croyance à l’esprit et à la matière, au bien et au mal, au beau et au laid, etc. Et cependant, les choses se contentent d’être. C’est l’homme qui les analyse, les sépare, les cloisonne, et jamais de façon désintéressée. Au début, devant l’apparent chaos du monde, il a classé, construit ses tiroirs, ses chapitres, ses étagères. Il a introduit son ordre dans la nature pour agir. Et puis, il a cru que cet ordre était celui de la nature elle-même ; sans s’apercevoir que c’était le sien, qu’il était établi avec ses propres critères, et que ces critères, c’étaient ceux qui résultaient de l’activité fonctionnelle du système lui permettant de prendre contact avec le monde : son système nerveux.

L’homme primitif avait la culture du silex taillé qui le reliait obscurément, mais complètement, à l’ensemble du cosmos. L’ouvrier d’aujourd’hui n’a même pas la culture du roulement à billes que son geste automatique façonne par l’intermédiaire d’une machine. Et pour retrouver l’ensemble du cosmos, pour se situer dans la nature, il doit s’approcher des fenêtres étroites que, dans sa prison sociale, l’idéologie dominante, ici ou là, veut bien entrouvrir pour lui faire prendre le frais. Cet air est lui-même empoisonné par les gaz d’échappement de la société industrielle. C’est lui pourtant que l’on appelle la Culture.



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