mercredi 21 novembre 2018

Philippe Vuillemin : l'androgyne au trait baveur


Une «bonne dépression» ne lui fait pas peur. Il préfère ça à la vie de ces gens qui prennent des pilules pour être heureux. «Je comprends pas le bonheur, c'est un truc qui m'échappe. Quelquefois je suis euphorique, j'ai des états de grâce: ça veut juste dire que j'ai la patate pour marner.» A la rigueur, il aura une complicité avec quelqu'un qui pleure, il peut toujours lui taper sur l'épaule. Mais quelqu'un qui geint? «Au bout de cinq minutes, il me fait chier. Au bout de dix, j'ai envie de l'égorger.»

Il a les traits fins mais dessine des histoires dégueulasses. Le bonheur est un «truc» qui échappe à ce provocateur à tous crins, qui réfute le qualificatif de vulgaire, mais accepte avec fierté le grand prix du dernier Festival d'Angoulême.
Curieusement, recevoir le grand prix du dernier Festival de la bande dessinée d'Angoulême lui a fait plaisir, l'a surpris et l'a rendu fier. «C'est comme si Arlette Laguiller était élue présidente de la République au premier tour.» Il se compare aussi à Françoise Sagan quand il évoque sa propre élocution (rapide, très rapide). Philippe Vuillemin ressemble tellement peu à ses dessins que c'est sûrement qu'on les regarde mal. 
Adepte, selon certains, de la «ligne crade» (lui-même trouve cette dénomination «bêta»), il a le visage d'une telle délicatesse qu'il a joué le rôle d'un androgyne dans le film de René Féret le Mystère Alexina. Ambidextre, il a l'ongle de l'annulaire droit qui dépasse du doigt de plus de 3 centimètres. Au début, c'était pour faire joli, maintenant il s'en sert comme d'un outil pour se gratter l'oreille. Il se vante d'être paresseux, mais il n'y arrive pas vraiment. «A 13 ans, je me suis dit que je ne travaillerais jamais de ma vie. J'y ai réussi. Je me fais chier.» Ça ne semble pas entièrement vrai.

Son père était inspecteur de la Sacem, récoltant d'une région à l'autre l'argent pour les musiciens, de sorte que le futur dessinateur a vu du pays. Né à Marseille, il s'est retrouvé en Corse de 11 à 15 ans. Il connaît aussi bien Orléans. Il a «bandé pour la première fois à 13 ans sur une planche de Crumb», le père de Fritz The Cat. Et quand à 18 ans il arrive à Paris, il a encore «de la paille dans les sabots, des idéaux dans la tête et des boutons sur la gueule». Il aime déjà le rock (il joue actuellement dans un groupe formé avec des amis). C'est l'époque punk: il se rase le crâne. Il ne le refera pas souvent: rapidement, ses cheveux lui descendent au-dessous des épaules, même aujourd'hui où l'ancien «éphèbe» est père lui-même. Les premières années parisiennes sont difficiles. Il boit en douce des bouteilles de lait à Monoprix qu'il replace ensuite dans les rayons. Il a l'occasion de faire un travail de force: décharger des camions six heures par jour. Souvenir exquis: «Ça m'a fait des vacances.» C'était autant de temps où son esprit ne vagabondait pas. (...)

Ses histoires dites de beaufs et de pipi-caca font qu'on l'accuse de vulgarité. Il n'est pas d'accord. «La merde, il faut savoir la manier pour la balancer où ça fait plaisir. Des hommes qui transpirent, qui meurent, qui se marchent sur la gueule, c'est la vie de tous les jours. La vulgarité, c'est quand le Doc de Fun Radio dit bite.» (...)


Il a dû faire trois mois de service militaire, parce que ça lui semblait «ringard» d'être réformé aux trois jours, «tout le monde le faisait». Aucun antimilitarisme, au demeurant, dans son désir de ne pas moisir à la caserne: ce qu'il ne supportait pas était de devoir tout ranger au carré. Il a travaillé à Libération, mais «ça toussait derrière». Il est passionné d'astrophysique. Il aime regarder vers le haut, l'espèce humaine lui compris lui semblant assez portée sur la bassesse. Une «bonne dépression» ne lui fait pas peur. Il préfère ça à la vie de ces gens qui prennent des pilules pour être heureux. «Je comprends pas le bonheur, c'est un truc qui m'échappe. Quelquefois je suis euphorique, j'ai des états de grâce: ça veut juste dire que j'ai la patate pour marner.» A la rigueur, il aura une complicité avec quelqu'un qui pleure, il peut toujours lui taper sur l'épaule. Mais quelqu'un qui geint? «Au bout de cinq minutes, il me fait chier. Au bout de dix, j'ai envie de l'égorger.»


Il adore le football (il y joue avec des copains tous les samedis au parc de Sceaux) et déteste les supporters. «Ce qu'a fait Cantona, je trouve ça très joli.» Quant au massacre de Furiani, s'il s'écoutait, peut-être bien qu'il injurierait les Corses. Il se rappelle que quand Hara-Kiri avait titré Les Corses sont des cons, Choron avait fait poser des barreaux aux fenêtres du journal. Alors il préfère feindre la lâcheté et rester silencieux. S'il s'agit d'avoir des ennuis, inutile de passer par l'intermédiaire d'un journaliste: Vuillemin a déjà prouvé qu'il est tout à fait capable de s'en charger lui-même.
«Tout petit déjà, j'étais blasé.» Il est comme exclu de ce monde où chacun s'enferme sur soi. Cette vie pleine de sécurité lui fait peur (même s'il dit être très content que la Gestapo ne vienne pas frapper à sa porte tous les matins à 8 heures, il n'est pas un lève-tôt). Il se sent certes un peu ridicule d'avoir le «stress du citadin». «Ceci dit, à la campagne, c'est de sacrés cons aussi.» 


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