mardi 24 août 2010

« Sous l’écologie, le fascisme »




Des guetteurs à l’oeil de lynx se sont avisés que l’écologie n’était qu’un masque dissimulant pétainisme, fascisme et stalinisme. Les principaux thèmes de l’alerte furent lancés par Marcel Gauchet dans un article au titre lapidaire : « Sous l’amour de la nature, la haine des hommes » (...)




Au début, Luc Ferry, professeur de philosophie à l’université de Caen, était heureux : enfin, les idéologies déclinaient. Hélas, s’attrista-t-il : une autre a surgi, et du genre qui n’y va pas avec le dos de la petite cuillère : « L’écologisme radical formule les critiques les plus négatives qui aient jamais été prononcées contre l’univers moderne : le nazisme lui-même, pour ne rien dire du stalinisme, conservait encore une attitude ambigüe face à une technoscience qu’il dénonçait d’un côté, mais ne manquait pas de développer de l’autre, dans le contexte belliciste d’une « mobilisation totale » des forces de la nation »(...)

Ainsi, nous dit-on, la civilisation « trouve son essor véritable avec cet arrachement à l’univers naturel par lequel se constitue progressivement un ‘monde de l’esprit’ »(p. 52). Donc, « s’agissant de la liberté, hommes et animaux paraissent séparés par un abîme. Il porte même un nom : l’histoire, qu’il s’agisse de celle de l’individu (l’éducation), ou de celle de l’espèce (politique) » (p. 104).(...)


« Nous ne pouvons tout à fait nous départir de l’impression que la nature possède une certaine valeur en elle-même, qu’elle est parfois susceptible de nous étonner, voire de nous émerveiller hors de toute considération de maîtrise ou d’utilité » (p. 239). On nous apprend même que la nature témoigne d’une finalité (p. 262).(...)


Ainsi, il ne faut pas lire Ferry comme une critique de l’écologie, mais comme l’expression positive du système dominant : dans le repli des phrases, dans le choix des mots, dans l’ombre des dénonciations « humanistes », il nous donne les repères du monde qu’il défend.(...)


La nature : « On pourrait tenter de définir ce qui dans la nature elle-même doit être respecté et ce qui, en revanche, doit être combattu au nom d’un interventionnisme bien compris (...) Il est évident que tout, en elle, ne mérite pas également d’être protégé » (p. 260). La nature des conservateurs est une suite d’éléments modulaires, dans laquelle on peut choisir ce qui nous arrange.(...)


La science : elle va résoudre les problèmes. « Que ce soit par un surcroît de science et de technique que nous parvenions un jour à résoudre les questions qu’aborde l’éthique de l’environnement est plus que probable », écrit Ferry (237). Cependant - comme elle n’est qu’un outil idéologique -, on n’en tient pas compte si elle dit quelque chose qui ne convient pas. Par exemple : « La science ne nous enseigne-t-elle pas, du reste, qu’il existe une continuité secrète entre les êtres vivants ? C’est dès lors en son nom prestigieux qu’il conviendrait d’accorder un égal respect à toutes les manifestations de la vie universelle. Projet sympathique, au sens propre, mais peut-être incompatible avec les termes dans lesquels s’est défini l’humanisme laïque issu de la Révolution française » (p. 44). Implicitement, on nous dit de maintenir une philosophie quand bien même la connaissance scientifique en contredirait les fondements.(...)


Surtout, pas de conflit, pas de politique : si l’écologie « accepte de se dire réformiste, elle devra reconnaître qu’elle est un groupe de pression exprimant une sensibilité qui, pour être partagée par l’immense majorité, n’a pas à elle seule vocation au pouvoir. Politique, l’écologie ne sera pas démocratique ; démocratique, il lui faudra renoncer aux mirages de la grande politique » (p. 267).(...)


L’euthanasie : l’individu a tout intérêt à éviter de vieillir. En effet, « la faculté d’arrachement à l’ordre de la naturalité est le signe du proprement humain » (p. 65). Or, « la vieillesse, inéluctable, rétablira peu à peu les droits de la nature sur ceux de la liberté » (p. 64). Ramené à la nature en vieillissant, l’être humain perd la liberté, donc l’humanité. « Il n’est pas déraisonnable d’admettre qu’il nous faille respecter l’humanité, même en ceux qui n’en manifestent plus que les signes résiduels » (p. 105). Voilà un enthousiasme rassurant.(...)


L’Occident : « A l’évidence, c’est dans nos sociétés libérales-sociales-démocrates que le souci de l’environnement est le plus marqué » (p. 34). « Le souci de l’environnement » est « infiniment plus développé » en Europe et aux Etats-Unis que dans le Tiers Monde (p. 143). Tout est bien chez les meilleurs du monde. A propos, que faut-il penser des pygmées, des Penans, des Yanomamis ? Hors jeu : ils n’appartiennent pas à la modernité. Ne forment-ils pas des « communautés viscéralement closes sur elles-mêmes », donc « incapables de dépasser leurs singularités ataviques pour entrer en communication avec autrui » (p. 217) ?(...)


Une telle représentation du monde laisse pantois, et rend les commentaires inutiles. On doit remercier Luc Ferry de nous donner un tableau qui semble exact de l’univers mental actuel des conservateurs. Mais l’on espère qu’ils accepteront de poursuivre plus loyalement qu’il ne l’a fait la discussion qui leur est proposée. Parce que les enjeux sont exigeants et difficiles, elle requiert, des deux côtés, rigueur et respect de l’autre.



Hervé Kempf, La Baleine qui cache la forêt, La Découverte,1994.

Reporterre

Décroissance

Nicholas Georgescu-Roegen La décroissance.

vendredi 6 août 2010

" Nous fraternisons avec vous, chers nègres..." par Roger Vailland ( 1928 )


"Il est probable que les peuples des colonies massacreront un jour colons, soldats et missionnaires et viendront à leur tour "opprimer" l'Europe. Et nous nous en réjouissons. Non par cet amour de la symétrie qu'est le sentiment de la justice, et qui est d'une esthétique bien dépassée, mais parce que les nègres sont plus proches de nous que les Européens, et que nous préférons leur pensée primitive à la "pensée rationnelle", leurs magies aux religions dogmatiques; leurs statues, leurs bijoux et leurs bordels aux nôtres! 


Nous sommes avec les noirs, les jaunes et les rouges contre les blancs. Nous sommes avec tous ceux qui sont condamnés à la prison pour avoir eu le courage de protester contre les guerres coloniales.

Nous fraternisons avec vous, chers nègres, et nous vous souhaitons une prochaine arrivée à Paris, et de pouvoir vous y livrer en grand à ce jeu des supplices où vous êtes si forts. Pénétrés de la forte joie d'être traîtres nous vous ouvrirons toutes les portes! Et tant pis si vous ne nous reconnaissez pas!"

Roger Vailland, "Le Grand Jeu" n°1, été 1928

Les contrées magnifiques

Hans Silvester

dimanche 25 juillet 2010

“c’est trop injuste”





“Interdit à Mr Lacambre tout usage de la phrase “c’est trop injuste”, sous quelque forme et support que ce soit.”


Valentin Lacambre n’est pas un prestataire comme les autres. Pionnier du Net, il avait fait fortune en créant le 36 15 Internet.( ... )

Ce pour quoi, n’ayant pas besoin, pour vivre, de tout l’argent que son 36 15 Internet engendrait, il avait décidé de créer l’un des tous premiers services d’hébergement gratuit mais aussi et surtout sans publicité, Altern.org, qui hébergeait à l’époque plus de 45.000 sites web, dont un grand nombre de sites politiques et d’opinion, comme Valentin Lacambre s’en expliquait au moment de l’affaire Estelle Halliday :


“Altern.org est le seul service qui réponde à la fois à ces deux conditions : gratuit, sans la moindre contrepartie (y compris publicitaire), et ouvert à tous sans aucune discrimination, qui sont pour ceux qui l’ont choisi la garantie d’une totale indépendance, idéologique et commerciale, donc d’une totale liberté d’expression.” ( ... )


Plutôt que de porter plainte contre Entrevue, ou contre le webmaster du site qui avait remis les photos en ligne, Estelle Halliday porta plainte contre l’hébergeur du site web, Valentin Lacambre, pour avoir “gravement porté atteinte à son droit à l’image et à l’intimité de sa vie privée“, lui réclamant 700.000 francs de dommages et 100.000 francs d’astreinte par jour. ( ... )


Étrangement, jamais la justice ne tenta d’identifier le responsable du site web en question, préférant s’en prendre à la personnalité de son hébergeur. ( ... )


Soulignant qu’il était “matériellement impossible de vérifier le contenu de tous les (45.000) sites hébergés à tout instant“, Valentin Lacambre fit appel, laissant entendre qu’en cas de condamnation, il n’aurait d’autre choix que de “fermer boutique“, et les 45.000 sites web d’Altern avec. ( ... )


Valentin Lacambre n’eut d’autre choix que de fermer l’ensemble des sites hébergés sur Altern.org, et ce d’autant que d’autres plaignants avaient décidé, dans la foulée, de s’attaquer à celui qui, à l’époque, incarnait la défense de la liberté d’expression. Les ayant-droits (italiens) de Calimero lui réclamaient en effet 2,53 millions de francs de dommages et intérêts pour usurpation de la marque “c’est vraiment trop injuste“ ( … )


De fait, l’affaire Altern ne s’arrêta pas là. Si Valentin Lacambre trouva finalement un accord avec Estelle Halliday (sur la base de 70.000 francs au lieu des 405.000 accordés par Marie-Françoise Marais), le webmaster de Calimero.org (un site sadomasochiste amateur) fut quant à lui condamné, en mars 2000, à 300.000 francs de dommages et intérêts, Valentin Lacambre, en tant qu’hébergeur, écopant quant à lui de 180.000 francs d’amendes et frais de justice, jugement assorti de cette mention qui restera dans les annales de l’histoire de la liberté d’expression :


“Interdit à Mr Lacambre tout usage de la phrase “c’est trop injuste”, sous quelque forme et support que ce soit.”


OWNI

flickr



http://altern.org/alternb/defense/

samedi 17 juillet 2010

" Les Nouveaux Chiens De Garde " par Serge Halimi

Là encore, nous sommes tous américains: de 1990 à 1999, alors que le nombre d'homicides diminua aux États-Unis, le nombre de sujets que les journaux télévisés des networks avaient consacrés à des homicides augmenta de 474 %. Audience garantie, coût de fabrication et temps d'exécution dérisoires, possibilité de traiter ce genre de question dans un format de plus en plus court (un journal de TF1 peut aborder plus de vingt-cinq sujets en trente-huit minutes): gageons que l'insécurité et la pédophilie n'ont pas fini de nous « intéresser ». Avec pour conséquences le durcissement des peines prononcées et la multiplication du nombre des prisons.


Coincé entre son propriétaire, son rédacteur en chef, son audimat, sa précarité, sa concurrence et ses complicités croisées, le journaliste de base n'a plus guère d'autonomie. Mais il trouve encore de quoi exhiber devant ses confrères un petit détail qu'il a « fait passer » dans son journal ou à l'antenne, et qui prouverait son reliquat de pouvoir. Car, dans la profession, ne jamais disposer de ses deux mots ou de ses deux secondes de dissidence fourgués en contrebande relève surtout de l'incompétence. Et, pour un patron de presse, ne pas concéder à ses employés une soupape aussi anodine que ces miettes de dignité constituerait une forme de maladresse.

Provenant de ceux-là mêmes qui ne cessent d'exalter la grande contre-révolution capitaliste de la fin du siècle, qui savent si bien expliquer aux ouvriers belges de Renault que leur remplacement par des opérateurs brésiliens moins payés est « incontournable », que décidément la mondialisation impose à chacun de s'adapter, un tel aveuglement peut surprendre. Mais comment annoncer avec ménagement à un journaliste que, pour lui aussi, « Lip, c'est fini », qu'il dispose dorénavant d'à peine plus de pouvoir sur l'information qu'une caissière de supermarché sur la stratégie commerciale de son employeur (4) ? Tant de stages, tant de précarité, tant de CDD pour en arriver là: on se rêvait l'héritier de Bob Woodward, on est le tâcheron de Martin Bouygues.

4. Rien que depuis 1998, les journalistes de La Tribune, du Figaro, de Télérama, de L'Express, d'Europe 1, de France 3, de l'AFP, etc., ont émis des avis, parfois à une majorité écrasante, dont les directions d'entreprise, désignées par l'actionnaire, n'ont tenu aucun compte. ( ... )

Là encore, nous sommes tous américains: de 1990 à 1999, alors que le nombre d'homicides diminua aux États-Unis, le nombre de sujets que les journaux télévisés des networks avaient consacrés à des homicides augmenta de 474 % (10). Audience garantie, coût de fabrication et temps d'exécution dérisoires, possibilité de traiter ce genre de question dans un format de plus en plus court (un journal de TF1 peut aborder plus de vingt-cinq sujets en trente-huit minutes): gageons que l'insécurité et la pédophilie n'ont pas fini de nous « intéresser ». Avec pour conséquences le durcissement des peines prononcées et la multiplication du nombre des prisons.


10. Harper's, juillet 1999.

( ... )Or peu importe après tout que MM. Sylvestre, Le Boucher, Évrard, Helvig, Izraelewicz ou Beytout soient sarkozistes, chiraquiens, villepinistes ou strauss-kahniens si, à travers leurs commentaires, TF1, Le Monde, Europe 1, Libération, Les Échos et Le Figaro ressemblent tous un peu à des « porteurs d'eau chargés d'assurer le confort des champions qui font la course en tête ». Pourtant, que d'obstination dans l'erreur. .. Il y a environ vingt-cinq ans, on nous serinait que plus de profit, ce serait plus d'investissements et plus d'emplois; pour impressionner le chaland, on donna même à cette découverte - providentielle pour le patronat - le nom de « théorème de Schmidt ». Aujourd'hui, la Bourse flambe dès qu'une entreprise annonce un plan de licenciements et, tandis que la répartition de la richesse nationale n'a cessé de favoriser les détenteurs du capital, le chômage a plus que doublé*.

* Rien qu'entre 1983 et 1998, la part des salaires dans le produit intérieur brut français est passée de 68,8 % à 59,9 %, En 1997, Dominique Strauss-Kahn, alors ministre de l'Économie et des Finances, estimait qu'une part du chômage français «trouve sa source dons un partage de la valeur ajoutée trop défavorable aux salariés pour que les entreprises puissent bénéficier d'une croissance dynamique» (Conférence de presse du 21 juillet 1997). ( ... )

Toutefois, pour convaincre les plus sceptiques de sa soif de rectitude, Le Monde devra également se défaire de l'habitude qu'il a prise de traiter d'antidémocrates ou d'antisémites ceux qui ont eu le malheur de critiquer un jour la presse. Voire, crime suprême, Le Monde lui-même *.

* [Note de l'éditeur] Il faut préciser ici que Le Monde fut le seul quotidien politique national à n'avoir pas rendu compte de ce livre, publié en 1997. Interrogé par Acrimed sur ce silence en mars 1998, le médiateur du Monde, Thomas Ferenczi, eut cette réponse:
« Le Monde, c'est vrai, n'a pas encore parlé du livre de Serge Halimi. Je le regrette. Comme vous le savez, Le Monde des livres reçoit une centaine de livres par semaine: il est donc obligé de foire des choix, et de se limiter aux livres qu'il juge, pour une raison ou pour une autre, intéressants. Ses responsables ont estimé que l'essai de Serge Halimi n'appartenait pas à cette catégorie. Le succès de ce livre les a conduits à réviser leur position [sic]. Nous avons demandé, selon l'usage, à des spécialistes des médias extérieurs ou journal de rendre compte du livre. Ils ont refusé.» Malgré les « choix » du Monde, cet ouvrage a été réédité à vingt-cinq reprises et traduit dans une dizaine de pays. ( ... )

INTERNET ARCHIVE

vendredi 2 juillet 2010

Miguel Benasayag : " ce que l’on nomme la personne, le moi, n’est qu’une toute petite partie de soi "


Miguel Benasayag, Tarnac et l'anti-terrorisme

C’est un symptôme. Comme un coup de balancier et de deuil : puisqu’il n’y a pas de destin commun et que l’on ne va pas vers la société parfaite, alors chacun pour soi ! Et c’est terrible d’en arriver à ne plus pouvoir penser le commun. C’est la où il me semble intéressant de suivre la phrase de Deleuze, « La vie n’est pas quelque chose de personnel ». 


Il m’est arrivé quelque chose de très drôle : un patient arrive chez moi, il est fou - on dit « psychotique » ou non, peu importe, en tout cas, il est fou, il est très très fou. Il me sort de sa poche une lettre écrite par son médecin à mon intention : « Cher collègue, je suis le médecin du SAMU et j’ai vu le jeune X qui a fait une crise d’angoisse et un malaise, il s’est évanoui, il allait très mal. » Comment ça ? Il était à table, ce jeune X, avec ses parents et son frère ; tout d’un coup, il regarde la télé où on parle de la vache folle. Jusque-là, il n’en avait pas entendu parler ; il en entend parler et se met à poser des questions. « Mais comment la vache folle ? » 

Il était à table et tout à coup, lui, il comprend qu’on est peut-être en train de nous empoisonner, il réalise et il fait une crise d’angoisse terrible ; il tombe dans les pommes, il a des gestes qui font peur à tout le monde parce qu’il est fou et assez costaud. Tous les autres, normaux, écoutaient le désastre dans lequel on vit et continuaient à manger. Le problème, c’est celui-là : les gens savent bien que le capitalisme est un désastre, mais comme ils ne sont pas assez fous, comme ils sont trop sains, ils ne peuvent pas réagir.

Périphéries

On passe d’un monde dans lequel il y a un grand dessein, un grand récit, à un autre dans lequel il n’y a que des petits récits minables. Il y a peu de temps, je discutais avec un couple de profs de philo entre trente et quarante ans. Ils avaient du mal à comprendre que l’on puisse faire des choses pour d’autres raisons que le plaisir qu’elles procurent. Pour moi, des gens qui n’agissent que pour le plaisir c’est synonyme de barbarie. 

Il est évident que si l’on accepte que le plaisir soit le moteur principal de notre agir, ça ne peut conduire qu’à la barbarie. Et ce couple de philosophes ne comprenait absolument pas, ils me parlaient de l’hédonisme chez Aristote, chez Onfray… C’est un symptôme. Comme un coup de balancier et de deuil : puisqu’il n’y a pas de destin commun et que l’on ne va pas vers la société parfaite, alors chacun pour soi ! Et c’est terrible d’en arriver à ne plus pouvoir penser le commun. C’est la où il me semble intéressant de suivre la phrase de Deleuze, « La vie n’est pas quelque chose de personnel ». 

Ça peut sembler drôle un psychanalyste qui croit que la vie n’est pas quelque chose de personnel, mais ce que l’on nomme la personne, le moi, n’est qu’une toute petite partie de soi. Et la question aujourd’hui c’est : nous sommes liés, mais comment ?

Article11


L'importance des limites: Miguel Benasayag at TEDxParis 2012





Il existe certains invariants biologiques, par exemple le fait que le vivant fonctionne en perte permanente de son matériel. Si cette perte ne peut plus avoir lieu le vivant disparaît. L’identité du vivant existe au prix de la perte matérielle. L’idée irrationnelle du « toujours plus » est dangereuse et idéologique.

Actuellement nous vivons peut-être l’équivalent d’une transition de phase, pendant laquelle une partie des processus ne sont pas codifiables et modélisables, ne peuvent pas être compris par les outils conceptuels de la technologie dominante. Le danger vient d’une information et d’une modélisation trop virtualisées, qui font que ce « toujours plus » est en pure perte de substance et de sens, et qu’on peut louper et piétiner sans s’en rendre compte des choses essentielles.


Il est important d’éviter cette contamination idéologique du « toujours plus », de l’absolu qui du religieux est aujourd’hui passé dans le scientisme. La culture doit recoloniser la technique et l’économie.
L’absence de limites, au niveau individuel ça correspond à la psychose, au niveau biologique c’est le cancer, et au niveau social c’est la barbarie ou le néolibéralisme.



Textes de Miguel Benasayag et du Collectif Malgré Tout 

 libertaire.free.fr 

jeudi 24 juin 2010

" Pourquoi l'avenir n'a pas besoin de nous ". Par Bill Joy



Nos techniques les plus puissantes du 21ème siècle - la robotique, le génie génétique et les nanotechnologies - menacent de faire de l'homme une espèce en dange


Par Bill Joy, co-fondateur et Directeur Scientifique de Sun Microsystems, et coauteur de La Spécification du Langage Java.

" Admettons d'abord que les informaticiens réussissent à développer des machines intelligentes qui peuvent tout faire mieux que les humains. Dans ce cas tout le travail sera vraisemblablement fait par d'énormes systèmes fortement organisés de machines et aucun effort humain ne sera nécessaire. Deux cas seulement pourraient se produire. On pourrait permettre aux machines de prendre toutes leurs décisions sans intervention humaine, ou bien le contrôle humain des machines pourrait être conservé. ( ... )

Bien sûr, la vie sera à ce point sans but que les gens devront être biologiquement ou psychologiquement modifiés soit pour supprimer leur pulsion de dominance ou pour leur faire "sublimer" leur pulsion de dominance dans un passe-temps inoffensif. Ces êtres humains modifiés peuvent être heureux dans une telle société, mais ils ne seront très certainement pas libres. Ils auront été réduits au statut d'animaux domestiques. "

Dans le livre, on ne découvre qu'en tournant la page que l'auteur de ce passage est Théodore Kaczynski - Unabomber. Je ne suis aucunement un apologiste de Kaczynski. Ses bombes ont tué trois personnes pendant une campagne de terreur de 17 ans et ont blessé plusieurs autres. Une de ses bombes a gravement blessé mon ami David Gelernter, un des informaticiens les plus brillants et les plus visionnaires de notre temps. Comme beaucoup de mes collègues, j'ai senti que j'aurais facilement pu être la cible suivante d' Unabomber.

Les actions de Kaczynski étaient meurtrières et, à mon avis, d'un fou criminel. Il est clairement un Luddite, mais se limiter à cette affirmation n'écarte pas son argument; aussi difficile qu'il soit pour moi de le reconnaître, il y a un certain mérite dans le raisonnement de ce passage. Je me suis senti contraint d'y faire face. ( ... )

Habitués à vivre avec des percées scientifiques presque de routine, il nous reste à nous habituer au fait que les techniques les plus captivantes du 21ème siècle - la robotique, le génie génétique et les nanotechnologies - posent une menace différente de celle des techniques qui sont apparues auparavant. Spécifiquement, les robots, les organismes génétiquement modifiés et les nanorobots partagent un facteur d'amplification dangereux : Ils peuvent s'auto-reproduire. Une bombe explose seulement une fois - mais un robot peut en devenir plusieurs et on peut en perdre rapidement le contrôle. ( ... )

Les techniques du 21ème siècle - génétique, nanotechnologie et robotique (GNR) - sont si puissantes qu'elles peuvent couvrir des nouvelles classes entières d'accidents et d'abus. D'une façon particulièrement dangereuse, pour la première fois, ces accidents et abus sont largement à la portée d'individus ou de petits groupes. Ils n'exigeront pas de grands équipements ou des matières premières rares. Le savoir seul suffira à leur utilisation. ( ... )

Étant donné le pouvoir incroyable de ces nouvelles techniques, ne devrions nous pas demander comment nous pouvons au mieux coexister avec elles ? Et si notre propre extinction est un résultat probable, ou même possible, de notre développement technique, ne devrions nous pas procéder avec beaucoup de précautions ? ( ... )

Pourquoi l'avenir n'a pas besoin de nous.

piecesetmaindoeuvre

dimanche 20 juin 2010

La fabrication du Consentement par Noam Chomsky



Diane Arbus


Le parti des travailleurs socialistes, lui, n’a rien d’illégal, mais il ne représente aucun puissant intérêt. Il n’y eut donc aucun scandale lorsque fut rendu public, au moment même où les passions atteignaient leur zénith au sujet du Watergate, que le FBI en avait pendant plus de dix ans entravé les activités au moyen de descentes illégales et autres mesures du même ordre, une violation des principes démocratiques bien plus étendue et grave que tout ce qui fut évoqué au cours des auditions du Watergate.

Le gigantesque scandale du Watergate, tel qu’il fut décrit dans la presse à grand tirage, tenait dans le fait que l’administration Nixon avait envoyé un ramassis de petites frappes pénétrer par effraction, pour des raisons demeurées obscures, dans le bâtiment du quartier général du parti démocrate. Ce parti représente de puissants intérêts nationaux, solidement ancrés dans le monde des affaires. L’attitude de Nixon était donc vraiment scandaleuse. 

Le parti des travailleurs socialistes, lui, n’a rien d’illégal, mais il ne représente aucun puissant intérêt. Il n’y eut donc aucun scandale lorsque fut rendu public, au moment même où les passions atteignaient leur zénith au sujet du Watergate, que le FBI en avait pendant plus de dix ans entravé les activités au moyen de descentes illégales et autres mesures du même ordre, une violation des principes démocratiques bien plus étendue et grave que tout ce qui fut évoqué au cours des auditions du Watergate.

En outre, ces actions de la police politique nationale n’étaient qu’un aspect parmi d’autres de programmes gouvernementaux impliquant de nombreuses administrations et qui visaient à mettre à bas toute action politique indépendante, à provoquer une montée de la violence dans les ghettos et à saper des mouvements populaires qui étaient en train de politiser des pans généralement marginalisés de la population.

Ces programmes secrets, parfaitement illégaux, furent mis à jour, entre autre devant des tribunaux, pendant la période du Watergate, mais ils ne furent jamais abordés lorsque le Congrès instruisit l’impeachment [de Nixon] et reçurent peu d’attention médiatique. Même la complicité reconnue du FBI dans l’assassinat d’un leader des Black Panthers par la police de Chicago n’était pas un scandale, contrastant avec la « liste noire » de Nixon, sur laquelle figuraient des personnes puissantes qui furent dénigrées en privé mais sans conséquences. ( ... )

Les scandales de l’Irangate et leur traduction médiatique nous enseignent exactement la même chose. Ce fut un scandale épouvantable lorsqu’on s’aperçut que l’administration Reagan avait violé les prérogatives du Sénat lors de l’Irangate ; mais pas un scandale du tout lorsqu’elle traita par le mépris l’arrêt de la Cour internationale de justice condamnant les États-Unis, en raison de l’attaque contre le Nicaragua, pour « usage illégal de la force » et violation de traités – c’est-à-dire pour violation de la Constitution américaine et du droit international.

Le soutien et le financement d’un terrorisme d’État qui fit près de deux cent mille morts en Amérique centrale dans les années 1980 ne firent l’objet d’aucune enquête du Congrès et laissèrent les médias parfaitement indifférents. Ces actions étaient menées en accord avec un consensus des élites et purent bénéficier du soutien inconditionnel des médias, ainsi que nous avons pu le constater en étudiant le sort des victimes dignes ou indignes d’intérêt, ou le traitement médiatique des élections dans les États clients et les autres . ( ... )

http://inventin.lautre.net/livres/Chomsky-Fabrication-du-Consentement.pdf




La fabrication du Consentement par Noam Chomsky



Prenez le sport - c’est un autre exemple crucial, selon moi, du système d’endoctrinement. Cela permet aux gens de prêter une grande attention à des choses de peu d’importance. C’est une manière de les tenir à distance des choses qui sont comptent pour leurs existences, et qu’ils pourraient avoir envie de vouloir changer.

Et il est frappant de voir l’intelligence qui est mobilisée par des gens ordinaires dans les discussions sur le sport, alors qu’ils n’utilisent pas ces mêmes capacités pour ce qui concerne la réflexion politique et sociale. Si vous écoutez les interventions des auditeurs dans les émissions sportives à la radio, ils vont entrer dans les analyses les plus inouïes, disséquer les subtilités les plus ésotériques. Et la presse exploite indéniablement de telles propensions.

Je me rappelle, au collège, je me suis demandé soudain : « Pourquoi ça m’importe que notre équipe gagne ? Je ne connais personne de l’équipe. Ils n’ont rien à voir avec moi. Pourquoi je supporte cette équipe ? Pourquoi j’applaudis ? Cela ne veut rien dire, cela n’a aucun sens. »

Mais en fait cela a un un sens. C’est une façon de créer des attitudes irrationnelles de soumission à l’autorité. De créer un esprit de cohésion de groupe derrière des leaders. Cela entraîne la population à être exploitée par le moyen du chauvinisme. C’est une caractéristique que l’on retrouve dans tous les sports de compétition. En examinant ces choses de près, on réalise qu’elles remplissent des fonctions et c’est pourquoi tant d’énergie est investie pour les promouvoir, leur donner des assises, etc.

http://chomsky.fr

Entre silence et hostilité : les médias « accueillent » Chomsky à Paris

Quelle est la différence entre un optimiste et un pessimiste ?

L'optimiste pense que l'on vit dans le meilleur des mondes possibles.
Le pessimiste pense que malheureusement c'est vrai.