«Heureusement, je peux intervenir par téléphone, à distance. Il me suffit de connaître le nom de la personne, le lieu et la nature de sa douleur. »
Et après ? Jean montre sa tête : « Après, j’y pense. »
Ces dames et ces messieurs, on dit qu’ils coupent, lèvent, barrent, pansent, soufflent les maux. Le terme varie en fonction des régions. En Haute-Savoie, on utilise surtout « couper », alors qu’en Suisse romande, de l’autre côté de la frontière, ces dames et ces messieurs pratiquent « le secret ». Ils ne touchent jamais la blessure ni la personne souffrante ; ils ne sont pas magnétiseurs, ni rebouteux. On dit qu’ils ont le don, et que voilà. (...)
« Alors, quoi ? Que voulez-vous savoir ? » Installé en bleu de travail près de la cheminée, dans sa maison de bois, Jean explique qu’il y a vingt ans, un ami de son beau-père lui a transmis le don. « Pourquoi moi ? Je ne sais pas. Il a dit qu’il avait senti que je pouvais le faire. » Le charpentier « coupe » la douleur des brûlures, mais ne fait pas disparaître les blessures. « Je ne fais pas de miracles. » Pourtant, précise son épouse, « on dit que le processus de cicatrisation est plus rapide après l’intervention d’un coupeur ». Au fil du temps et de la pratique, Jean a découvert qu’il était capable de soulager, outre les blessures par le feu, « tout ce qui se rapporte à la sensation de brûlure ». Zona, herpès, coups de soleil, douleur consécutive à une radiothérapie… Plusieurs fois par jour, les demandes affluent. « Heureusement, je peux intervenir par téléphone, à distance. Il me suffit de connaître le nom de la personne, le lieu et la nature de sa douleur. » Et après ? Jean montre sa tête : « Après, j’y pense. » (...)
« Dans cette vallée, nous sommes très nombreux à couper. C’est pareil dans la vallée de l’Arve… et dans le Chablais, je ne vous raconte pas ! Pourtant, nous n’en parlons jamais entre nous. Cette pratique n’existe que lorsqu’elle est mise en œuvre. » Catherine, institutrice à la retraite, a reçu le don de son oncle dans les années 1970, lequel « a peut-être su déceler chez moi une aptitude à l’empathie ». Depuis lors, elle coupe le feu, les hémorragies et l’eczéma, en précisant que « les formules sont différentes en fonction de ce que l’on soigne ». Comme Jean, du village voisin, elle n’a jamais volontairement ébruité son « histoire de don ». C’est en coupant que l’on devient coupeur, puis le bruit se répand. Catherine insiste : elle ne tient pas un commerce, et n’a pas besoin de publicité. « Je ne veux pas que l’on m’appelle guérisseuse. Ce que je fais est beaucoup plus modeste. C’est un service, toujours donné dans l’urgence, et gratuitement. On ne fait pas payer ce qui nous a été donné. » (...)
Face à la présence de listes de coupeurs de feu, actualisées par les soignants, dans les services des urgences de plusieurs hôpitaux des cantons suisses de Genève, de Vaux ou du Valais, les étudiants s’interrogent donc. « Comment se fait-il que l’hôpital, où règne en maître l’evidence-bases medecine , ait laissé une place, quelle qu’elle soit, à des praticiens dont le mode d’action peut faire penser à un rituel magique, ancestral, et certainement difficile à admettre pour tout esprit cartésien ? », écrivent Sophie Martinelli, Victoria Pozo et Juliet Zingg en introduction de leur mémoire de licence. Ces trois infirmières ont réalisé des entretiens avec le personnel des urgences de l’hôpital universitaire de Genève en 2011, où une liste est accrochée « à l’intérieur d’une armoire », et où l’on est bien incapable d’expliquer « comment la liste est arrivée là ». Comme ailleurs, en Haute-Savoie ou en Suisse, cette feuille de papier ne mentionne que des coupeurs de feu appelés pour réduire les douleurs des brûlures. À l’issue de leur enquête, les trois jeunes femmes estiment que l’existence de ces pratiques soulève bien plus de questions sur le « sens de la biomédecine et le rôle des soignants » que sur leur « simple efficacité thérapeutique ». (...)
De chaque côté de la frontière, la pratique reste soumise à son acceptation, souvent tacite, par le chef de service. Jamais véritablement officielle, et pas tout à fait officieuse, l’intervention des coupeurs de feu constitue la seule technique de soins dite parallèle tolérée au sein des hôpitaux du territoire alpin, sur proposition du personnel soignant ou à la demande du patient. « Serait-ce parce qu’il s’agit d’une technique rapide, gratuite, souvent opérée à distance [par téléphone] ? (…) Une technique où l’on n’aurait rien à perdre d’essayer ? », questionnent les trois infirmières dans leur mémoire. Quelle que soit la réponse, cette collaboration renforce, pour ces dernières, la qualité des soins, notamment parce la « croyance », la « culture » et l’« accord du patient [prennent] une place plus importante en comparaison avec les soins usuels dans l’hôpital ». Elles soulignent, enfin, un intérêt, une curiosité et une ouverture pour cette pratique plus forts de la part du personnel infirmier que de celle des médecins.
À l’occasion de sa thèse de médecine, Nicolas Perret a poussé l’enquête un peu plus loin, à partir des services des urgences des hôpitaux d’Annecy, d’Annemasse et de Thonon-les-Bains. Après avoir interrogé 134 soignants et 173 patients brûlés, ce dernier a obtenu des taux de satisfaction très élevés : 70% des soignants constatent que l’efficacité des coupeurs sur la douleur est forte ou totale, 81% d’entre eux estiment la collaboration entre services de soins et coupeurs de feu souhaitable ou indispensable, et 80% des patients ont vu leur douleur réduite d’au moins 30%. « On peut au moins dire que l’effet placebo assure des résultats. Mais, que dire à propos de l’intervention sur une personne qui n’y croit pas, ou bien qui n’est pas au courant, ou encore sur des animaux ? Là, je n’ai plus aucune réponse », confie ce jeune médecin, qui se demande si l’action des coupeurs de feu ne constituerait pas « une leçon populaire pour notre technocratie » ? D’un haussement d’épaules, Aurèle, l’ancien taxidermiste, pense que « parler d’effet placebo, c’est une manière de se rassurer ».
L'effet placebo existerait chez l'animal domestique par le biais du conditionnement et d'une modification de la relation maître-animal mais aucune étude scientifique ne l'a réellement prouvé. Il existerait également chez l'enfant et même le nourrisson. Il semble avoir un rôle plus important chez l'enfant que chez l'adulte.
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