La « fin du pétrole » renvoie dans notre imaginaire à la catastrophe d’un tarissement brutal de cette ressource qui nous est aujourd’hui vitale. Le pétrole fournit en effet aujourd’hui plus de 30 % de l’énergie primaire consommée dans le monde, et plus de 90 % de l’énergie des transports motorisés qui sont au cœur de notre mode de vie.
Cette image est à la fois juste et fausse. Juste parce que le pétrole, comme toutes les ressources que nous extrayons du sous-sol, n’existe qu’en quantité finie. Si nous continuons indéfiniment à en consommer, il finira par s’épuiser. Fausse parce qu’il y a en réalité très peu de chances pour que l’on continue à le consommer ainsi, comme si de rien n’était, jusqu’à en manquer brutalement. Les tensions liées à la rareté progressive du pétrole génèrera une adaptation. La question est de savoir si nous saurons anticiper cette situation ou si nous subirons de plein fouet la crise qu’elle engendrera. Et surtout, même si ce n’est pas une fin brutale, de savoir quand cette pénurie devrait avoir lieu.
Réserves et ressources
Pour mieux comprendre, il faut savoir comment évolue notre stock de pétrole. Ce problème apparemment simple est en fait complexe, car cette évolution est le produit de nombreux facteurs.
Loin de l’image des pionniers, un puits de pétrole n’est pas un réservoir que l’on met en évidence d’un coup de pioche et dont on extrait l’or noir jusqu’à la dernière goutte, au rythme de nos besoins.
En réalité, l’analyse géologique et sismique du terrain laisse supposer que celui-ci contient une certaine quantité de pétrole appelée ressource. Lors du forage d’un premier puits, puis d’autres puits voisins, cette quantité est affinée et permet d’estimer la réserve, c’est-à-dire la quantité de liquide effectivement extractible. Cette réserve dépend des techniques mises en œuvre : drains horizontaux, injection d’eau pressurisée, voire de CO2, combustion in situ, etc. sans oublier les moyens particuliers utilisés pour les forages off-shore et les pétroles situés dans des formations géologiques particulières (pétroles de schistes, sables bitumineux…).
La mise en œuvre de ces techniques dépend de leur rentabilité économique appliquée au gisement considéré, elle-même liée au prix du pétrole.
En réalité, l’analyse géologique et sismique du terrain laisse supposer que celui-ci contient une certaine quantité de pétrole appelée ressource. Lors du forage d’un premier puits, puis d’autres puits voisins, cette quantité est affinée et permet d’estimer la réserve, c’est-à-dire la quantité de liquide effectivement extractible. Cette réserve dépend des techniques mises en œuvre : drains horizontaux, injection d’eau pressurisée, voire de CO2, combustion in situ, etc. sans oublier les moyens particuliers utilisés pour les forages off-shore et les pétroles situés dans des formations géologiques particulières (pétroles de schistes, sables bitumineux…).
La mise en œuvre de ces techniques dépend de leur rentabilité économique appliquée au gisement considéré, elle-même liée au prix du pétrole.
Ainsi la classification des ressources, telles qu’elle est proposée par le très officiel Petroleum resources management system (PRMS)1 ou dans une version simplifiée par l’Agence internationale de l’énergie (AIE)2, repose essentiellement sur trois critères : leur degré de connaissance ou de caractérisation, qui dépend des progrès de la prospection, leur niveau de récupérabilité, fonction de l’évolution des techniques d’exploitation, et la rentabilité de leur extraction, définie par le rapport entre les coûts de ces techniques et les prix du pétrole sur le marché.
À l’échelle de la planète, le stock de pétrole fonctionne comme un immense réservoir, dont le contenu initial correspond à la totalité du pétrole formé au cours du temps géologique. Nous avons bien sûr déjà largement puisé dans ce réservoir et chaque jour, le pétrole extrait vient en déduction de la ressource restante. Cette quantité est divisée en grandes catégories dont la répartition varie également constamment.
Il y a d’abord les ressources connues, également dites prospectées, et les ressources dites prospectives. Ces dernières représentent l’estimation des ressources qui resteraient à découvrir. Les ressources connues sont elles mêmes divisées entre prouvées, probables et possibles selon la qualité de leur caractérisation. Bien sûr, à mesure que la prospection progresse, la quantité de ressources connues augmente.
On compte par ailleurs au sein de la ressource connue trois cas. Une partie est considérée comme techniquement non récupérable, et une autre considérée comme récupérable ; au sein de cette dernière, on distingue la fraction considérée comme non rentable, qui constitue la ressource contingente, et celle qui est rentable et constitue la réserve. L’évolution technique réduit progressivement la part non récupérable. La séparation entre rentable et non rentable évolue en revanche dans un sens ou dans l’autre en fonction du prix.
Ainsi, même si la quantité de ressource qui reste dans le sol ne fait que se réduire à mesure que nous l’exploitons, les réajustements permanents de la réserve, sous l’effet de la prospection mais surtout de la réévaluation technique et économique de son potentiel, expliquent pourquoi la réserve peut se maintenir, voire augmenter au fil du temps.
L’un des paramètres les plus importants dans ce mouvement est l’évolution au fil du temps de l’estimation de la part récupérable d’un champ de pétrole. On estime que les premiers gisements lourdement exploités l’ont été avec un taux de récupération moyen de 20 %. Ce taux atteint classiquement environ 35 % aujourd’hui, et les prévisions les plus optimistes tablent à terme sur un taux de récupération moyen de 50 %. Ainsi, l’évaluation de la « ressource ultime récupérable » (ultimate recoverable resources, URR), qui conditionne évidemment notre représentation de l’abondance ou non de pétrole, peut considérablement varier.
État des lieux
Le paysage de la ressource pétrolière a par ailleurs fortement évolué ces dernières années, avec l’apparition de nouvelles réserves potentielles dans des formations jusque là non explorées ou jugées impropres à l’exploitation. On distingue ainsi :
- le pétrole dit « conventionnel » contenu dans des réservoirs où l’on pompe de manière classique le liquide en augmentant la pression grâce à de l’eau injectée ou d’autres technologies avancées ;
- et le pétrole non conventionnel, qui comprend en fait de nombreuses sous-catégories, notamment :
- les sables bitumineux visqueux comme du bitume dont l’extraction génère beaucoup de déchets huileux et altère le paysage par ses exploitations à ciel ouvert ;
- le kérogène, qui est un pétrole immature extrait à plus de 1000 m de profondeur et qu’il faut traiter ensuite chimiquement ;
- les huiles de schiste, pétrole piégé dans une roche très peu perméable qu’il faut fractionner à l’aide de grandes quantités d’eau, de sable et de solvants, ce qui peut générer d’importants dégâts environnementaux (voir article gaz de schistes) ;
- le pétrole accessible uniquement pas des forages profonds (supérieurs à 500 m), sous les océans.
L’arrivée de ces catégories non conventionnelles, qui représentent parfois des volumes très importants mais dont les conditions techniques et économiques d’exploitation restent plus incertaines que celles des ressources conventionnelles, vient encore compliquer l’estimation des réserves et des ressources. Il est intéressant à ce titre de comparer l’état des ressources et réserves tels qu’ils étaient envisagés il y a une dizaine d’années et tels qu’ils sont comptabilisés aujourd’hui par des organismes tels que l’AIE2, l’institut allemand des géosciences et des ressources naturelles (BGR)3 et la BP Statistical Review4.
Chacun des organismes a estimé une augmentation des réserves conventionnelles, et même si leurs évaluations divergent, elles restent du même ordre de grandeur. On constate en revanche des écarts plus importants sur les autres catégories. L’optimisme particulièrement marqué de l’AIE sur les réserves non conventionnelles a visiblement été revu à la baisse entre 2005 et 2014. Mais le plus frappant est sans doute que la partie restante des ressources, tant conventionnelles que non conventionnelles, a vu son estimation augmenter. Ainsi pour l’AIE, les ressources restantes ont augmenté en 10 ans de plus de 60 Gtep, sans que rien n’indique toutefois si elles seront exploitables un jour.
Si elles permettent d’avoir une estimation à un instant donné, les évaluations des réserves et des ressources restent donc des ordres de grandeur à manier avec précaution, tant ils sont sujets à fluctuation d’une décennie à l’autre.
Échéance avant la dernière goutte : une notion trompeuse
En 2014, la consommation mondiale de pétrole a été de 4,2 Gtep et les réserves prouvées sont évaluées par BP à 232 Gtep, ce qui signifierait qu’il reste suffisamment de pétrole pour plus de 50 années à venir. Bien sûr, l’application brute de ce ratio entre réserves et production ne tient pas compte de la variation de la consommation au cours du temps. Par exemple, si on prolonge le rythme moyen d’accroissement de la consommation de pétrole des dix dernières années, l’échéance se réduit alors à 45 ans.
Surtout, un tel mode de calcul ignore une réalité fondamentale de la production pétrolière, résumée par la notion de pic. Industriellement, la production d’un gisement pétrolifère n’est pas linéaire : après sa mise en exploitation elle croît, jusqu’à atteindre un maximum pour ensuite décroître. À l’échelle d’une région donnée ou même au niveau mondial, la somme des productions de tous les champs aboutit à une courbe passant par un maximum appelé « pic pétrolier ».
Le concept, introduit pour la première fois par une publication de King Hubbert en 1956 qui a prédit avec justesse la date du pic de production de pétrole aux États-Unis (autour de 1970), donne lieu à des interprétations très diverses sur sa date et sa forme. En particulier, un nombre croissant d’experts évoquent désormais davantage la forme d’un plateau de production, plus ou moins ondulé, plutôt que celle d’un véritable pic. Certains considèrent que nous sommes entrés dans cette phase de production maximale, quand d’autres continuent à penser que ce pic n’est pas encore arrivé.
Dans tous les cas, au pic ou au plateau succède inéluctablement la phase dite de déplétion de la ressource, où la difficulté croissante – et le coût croissant qui va avec – d’extraction du pétrole s’accompagne d’une diminution progressive de la production. Celle-ci va nécessairement de pair avec une baisse de la consommation. Dès lors, on voit bien que la fin physique des ressources pétrolières n’est pas un point d’arrêt brutal, mais une échéance relativement lointaine.
Épuisement des réserves : est-ce vraiment un problème ?
La vraie perspective qui s’offre à nous n’est donc pas la fin, mais la baisse inéluctable de la production de pétrole. Faute de politiques cohérentes de réduction correspondante de la consommation pour s’adapter à la production, cette baisse ne peut être que facteur de tensions de plus en plus fortes : tensions économiques autour du prix du pétrole, tensions géopolitiques autour du contrôle de la ressource, marquée par la grande disparité géographique des gisements.
Cette perspective de baisse entre jusqu’ici en contradiction avec le signal d’une augmentation des ressources accessibles : comme on l’a vu, non seulement la réserve conventionnelle tend à se maintenir voire à s’accroître, mais les ressources recensées tendent à augmenter grâce à l’inclusion croissante des pétroles non conventionnels. Cet écart crée une illusion de plus en plus dangereuse.
En premier lieu, les ressources non conventionnelles créent notamment l’illusion de pouvoir repousser le pic pétrolier. La réalité est différente. La mise en exploitation de nouvelles ressources, telle qu’on peut la projeter, peut reporter le pic, ou au moins l’étaler, sans pour autant retarder durablement la phase de déplétion.
En second lieu, l’évolution des réserves et des ressources entretient l’idée que la production et la consommation de pétrole, qui constituent non seulement le fondement de notre économie mais aussi l’un des principaux moteurs de développement des économies en croissance (pays émergents…), peuvent continuer à augmenter. Cette vision est pourtant de moins en moins compatible avec la projection de nos ressources.
Ainsi, si l’on prolonge la courbe historique de la production mondiale de pétrole sous forme de pic en plateau, avec différentes hypothèses sur le volume de ressource récupérable ultime (de 2500 à 3500 milliards de barils dans la figure suivante), la poursuite de la hausse n’apparaît pas possible5. Plus précisément, il s’agirait dans ce cas de forcer artificiellement le retard de la phase de déplétion : c’est bien là qu’une rupture brutale pourrait intervenir. Or les politiques actuelles, illustrées par les scénarios à 2030 de l’AIE sur l’évolution tendancielle (current policies) ou même sur l’introduction de nouvelles politiques (new policies), restent bien orientées à la hausse. En d’autres termes, elles n’anticipent pas le besoin de réduction de la consommation, et ne nous préparent pas à cette perspective, tout en augmentant le risque que cette réduction s’impose à nous plus rapidement et plus fortement.
Au final, parmi les trois scénarios, seul celui centré sur la lutte contre le changement climatique de l’AIE, qui vise à stabiliser les concentrations de CO2 dans l’atmosphère à 450 ppm (scénario 450) intègre une évolution de la production de pétrole compatible avec ces projections du pic. Ce point illustre le troisième danger créé par l’illusion d’une ressource pétrolière restant durablement abondante : celui d’en pousser l’exploitation au-delà d’un niveau compatible avec des objectifs de maîtrise du dérèglement climatique.
Différentes études convergent en effet aujourd’hui pour conclure, à quelques nuances près, que le quota d’émissions d’équivalent CO2 que nous ne devons pas dépasser pour rester, avec une probabilité de 50 %, en dessous des +2°C d’augmentation à l’horizon 2100 correspond environ à 1000 Gt de CO26. Ce constat conduit aujourd’hui à recommander qu’un tiers des réserves de pétrole, la moitié de celles de gaz et plus de 80 % de celles de charbon devraient rester inexploitées7. En effet, les seules réserves prouvées de pétrole ont le potentiel de libérer 750 Gt ! En d’autres termes, l’enjeu climatique devrait donc aujourd’hui nous conduire, sans attendre d’y être forcés par la déplétion mécanique de cette ressource, à réduire dès maintenant et de façon drastique la consommation de pétrole. Il ne s’agit donc en réalité pas de savoir quand nous manquerons de pétrole, mais quand nous saurons renoncer progressivement à exploiter ce qui reste disponible.
http://decrypterlenergie.org/la-fin-du-petrole-est-elle-reellement-une-menace |
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire