mardi 16 juillet 2019

" Les Voyages de Gulliver " par Jonathan Swift ( 1721 )


Ces deux formidables puissances ont, comme j’allais vous dire, été engagées pendant trente-six lunes dans une guerre très-opiniâtre dont voici le sujet. Tout le monde convient que la manière primitive de casser les œufs avant que nous les mangions est de les casser au gros bout : 

mais l’aïeul de sa majesté régnante, pendant qu’il était enfant, sur le point de manger un œuf, eut le malheur de se couper un des doigts, sur quoi l’empereur son père donna un arrêt pour ordonner à tous ses sujets, sous de grièves peines, de casser leurs œufs par le petit bout. 

Le peuple fut si irrité de cette loi, que nos historiens racontent qu’il y eut à cette occasion six révoltes, dans lesquelles un empereur perdit la vie et un autre la couronne. Ces dissensions intestines furent toujours fomentées par les souverains de Blefuscu ; et, quand les soulèvements furent réprimés, les coupables se réfugièrent dans cet empire. On suppute que onze mille hommes ont, à différentes époques, aimé mieux souffrir la mort que de se soumettre à la loi de casser leurs œufs par le petit bout. 

Je ne sais quel fut le sort de mes camarades de la chaloupe, ni de ceux qui se sauvèrent sur le roc, ou qui restèrent dans le vaisseau, mais je crois qu’ils périrent tous : pour moi, je nageai à l’aventure, et fus poussé, vers la terre par le vent et la marée. Je laissai souvent tomber mes jambes, mais sans toucher le fond. Enfin, étant près de m’abandonner, je trouvai pied dans l’eau. Et alors la tempête était bien diminuée. 

Comme la pente était presque insensible, je marchai une demi-lieue dans la mer avant que j’eusse pris terre. Je fis environ un quart de lieue sans découvrir aucune maison ni aucun vestige d’habitans, quoique ce pays fût très-peuplé. La fatigue, la chaleur et une demi-pinte d’eau-de-vie que j’avais bue en abandonnant le vaisseau, tout cela m’excita à dormir. Je me couchai sur l’herbe, qui était très-fine, où je fus bientôt enseveli dans un profond sommeil, qui dura neuf heures. 

Au bout de ce temps-là, m’étant éveillé, j’essayai de me lever ; mais ce fut en vain. Je m’étais couché sur le dos : je trouvai mes bras et mes jambes attachés à la terre de l’un et de l’autre côté, et mes cheveux attachés de la même manière. Je trouvai même plusieurs ligatures très-minces qui entouraient mon corps, depuis mes aisselles jusqu’à mes cuisses. Je ne pouvais que regarder en haut : le soleil commençait à être fort chaud, et sa grande clarté blessait mes yeux. J’entendis un bruit confus autour de moi ; mais, dans la posture où j’étais, je ne pouvais rien voir que le soleil. 

Bientôt je sentis remuer quelque chose sur ma jambe gauche, et cette chose, avançant doucement sur ma poitrine, monter presque jusqu’à mon menton. Quel fut mon étonnement lorsque j’aperçus une petite figure de créature humaine, haute tout au plus de trois pouces, un arc et une flèche à la main, avec un carquois sur le dos ! J’en vis en même temps au moins quarante autres de la même espèce. Je me mis soudain à jeter des cris si horribles, que tous ces petits animaux se retirèrent transis de peur ; et il y en eut même quelques-uns, comme je l’ai appris ensuite, qui furent dangereusement blessés par les chutes précipitées qu’ils firent en sautant de dessus mon corps à terre.

 Néanmoins ils revinrent bientôt ; et l’un d’eux, qui eut la hardiesse de s’avancer si près qu’il fut en état de voir entièrement mon visage, levant les mains et les yeux par une espèce d’admiration, s’écria d’une voix aigre, mais distincte, Hekinah Dégul. Les autres répétèrent plusieurs fois les mêmes mots ; mais alors je n’en compris pas le sens. 

J’étais pendant ce temps-là étonné, inquiet, troublé, et tel que serait le lecteur en pareille situation. Enfin, faisant des efforts pour me mettre en liberté, j’eus le bonheur de rompre les cordons ou fils, et d’arracher les chevilles qui attachaient mon bras droit à la terre ; car, en le haussant un peu, j’avais découvert ce qui me tenait attaché et captif. En même temps, par une secousse violente qui me causa une douleur extrême, je lâchai un peu les cordons qui attachaient mes cheveux du côté droit (cordons plus fins que mes cheveux mêmes) ; en sorte que je me trouvai en état de procurer à ma tête un petit mouvement libre. 

Alors ces insectes humains se mirent en fuite et poussèrent des cris très-aigus. Ce bruit cessant, j’entendis un d’eux s’écrier : Tolgo Phonac ; et aussitôt je me sentis percé à la main de plus de cent flèches, qui me piquaient comme autant d’aiguilles. Ils firent ensuite une autre décharge en l’air, comme nous tirons des bombes en Europe, dont plusieurs, je crois, tombaient paraboliquement sur mon corps, quoique je ne les aperçusse pas, et d’autres sur mon visage, que je tâchai de couvrir avec ma main droite.

 Quand cette grêle de flèches fut passée, je m’efforçai encore de me détacher : mais on fit alors une autre décharge plus grande que la première, et quelques-uns tâchaient de me percer de leurs lances ; mais, par bonheur, je portais une veste impénétrable de peau de buffle. Je crus donc que le meilleur parti était de me tenir en repos, et de rester comme j’étais jusqu’à la nuit ; qu’alors, dégageant mon bras gauche, je pourrais me mettre tout à fait en liberté ; et, à l’égard des habitants, c’était avec raison que je me croyais d’une force égale aux plus puissantes armées qu’ils pourraient mettre sur pied pour m’attaquer, s’ils étaient tous de la même taille que ceux que j’avais vus jusque-là. Mais la fortune me réservait un autre sort.


Quand ces gens eurent remarqué que j’étais tranquille, ils cessèrent de me décocher des flèches ; mais, par le bruit que j’entendis, je connus que leur nombre s’augmentait considérablement ; et, environ à deux toises loin de moi, vis-à-vis de mon oreille gauche, j’entendis un bruit pendant plus d’une heure comme des gens qui travaillaient. Enfin, tournant un peu ma tête de ce côté-là, autant que les chevilles et les cordons me le permettaient, je vis un échafaud élevé de terre d’un pied et demi, où quatre de ces petits hommes pouvaient se placer, et une échelle pour y monter ; d’où un d’entre eux, qui me semblait être une personne de condition, me fit une harangue assez longue, dont je ne compris pas un mot. 

Avant que de commencer, il s’écria trois fois : Langro Déhul san. Ces mots furent répétés ensuite, et expliqués par des signes pour me les faire entendre. Aussitôt cinquante hommes s’avancèrent, et coupèrent les cordons qui attachaient le côté gauche de ma tête ; ce qui me donna la liberté de la tourner à droite et d’observer la mine et l’action de celui qui devait parler. Il me parut être de moyen âge, et d’une taille plus grande que les trois autres qui l’accompagnaient, dont l’un, qui avait l’air d’un page, tenait la queue de sa robe, et les deux autres étaient debout de chaque côté pour le soutenir. Il me sembla bon orateur, et je conjecturai que, selon les règles de l’art, il mêlait dans son discours des périodes pleines de menaces et de promesses. 

Je fis la réponse en peu de mots, c’est-à-dire par un petit nombre de signes, mais d’une manière pleine de soumission, levant ma main gauche et les deux yeux au soleil, comme pour le prendre à témoin que je mourais de faim, n’ayant rien mangé depuis long-temps. Mon appétit était, en effet, si pressant que je ne pus m’empêcher de faire voir mon impatience (peut-être contre les règles de l’honnêteté) en portant mon doigt très souvent à ma bouche, pour faire connaître que j’avais besoin de nourriture.

 L’Hurgo (c’est ainsi que, parmi eux, on appelle un grand seigneur, comme je l’ai ensuite appris) m’entendit fort bien. Il descendit de l’échafaud, et ordonna que plusieurs échelles fussent appliquées à mes côtés, sur lesquelles montèrent bientôt plus de cent hommes, qui se mirent en marche vers ma bouche, chargés de paniers pleins de viandes. J’observai qu’il y avait de la chair de différens animaux, mais je ne les pus distinguer par le goût. Il y avait des épaules et des éclanches en forme de selles de mouton, et fort bien accommodées, mais plus petites que les ailes d’une alouette ; j’en avalais deux ou trois d’une bouchée avec six pains. 

Ils me fournirent tout cela, témoignant de grandes marques d’étonnement et d’admiration à cause de ma taille et de mon prodigieux appétit. Ayant fait un autre signe pour leur faire savoir qu’il me manquait à boire, ils conjecturèrent, par la façon dont je mangeais, qu’une petite quantité de boisson ne me suffirait pas ; et, étant un peuple d’esprit, ils levèrent avec beaucoup  d’adresse un des plus grands tonneaux de vin qu’ils eussent, le roulèrent vers ma main et le défoncèrent. Je le bus d’un seul coup avec un grand plaisir. On m’en apporta un autre muid, que je bus de même, et je fis plusieurs signes pour avertir de me voiturer encore quelques autres muais. (...)

D’ailleurs nos historiens, depuis six mille lunes, ne font mention d’aucunes autres régions que des deux grands empires de Lilliput et de Blefuscu. Ces deux formidables puissances ont, comme j’allais vous dire, été engagées pendant trente-six lunes dans une guerre très-opiniâtre dont voici le sujet. Tout le monde convient que la manière primitive de casser les œufs avant que nous les mangions est de les casser au gros bout : mais l’aïeul de sa majesté régnante, pendant qu’il était enfant, sur le point de manger un œuf, eut le malheur de se couper un des doigts, sur quoi l’empereur son père donna un arrêt pour ordonner à tous ses sujets, sous de grièves peines, de casser leurs œufs par le petit bout.

 Le peuple fut si irrité de cette loi, que nos historiens racontent qu’il y eut à cette occasion six révoltes, dans lesquelles un empereur perdit la vie et un autre la couronne. Ces dissensions intestines furent toujours fomentées par les souverains de Blefuscu ; et, quand les soulèvements furent réprimés, les coupables se réfugièrent dans cet empire. On suppute que onze mille hommes ont, à différentes époques, aimé mieux souffrir la mort que de se soumettre à la loi de casser leurs œufs par le petit bout. 

Plusieurs centaines de gros volumes ont été écrits et publiés sur cette matière ; mais les livres des gros-boutiens ont été défendus depuis long-temps, et tout leur parti a été déclaré, par les lois, incapable de posséder des charges. Pendant la suite continuelle de ces troubles, les empereurs de Blefuscu ont souvent fait des remontrances par leurs ambassadeurs, nous accusant de faire un crime en violant un précepte fondamental de notre grand prophète Lustrogg, dans le cinquante-quatrième chapitre du Blundecral (ce qui est leur Alcoran). 

Cependant cela a été jugé n’être qu’une interprétation du sens du texte, dont voici les mots : que tous les fidèles casseront leurs œufs au bout le plus commode. On doit, à mon avis, laisser décider à la conscience de chacun quel est le bout le plus commode, ou au moins c’est à l’autorité du souverain magistrat d’en décider. Or, les gros-boutiens exilés ont trouvé tant de crédit dans la cour de l’empereur de Blefuscu, et tant de secours et d’appui dans notre pays même, qu’une guerre très-sanglante a régné entre les deux empires pendant trente-six lunes à ce sujet, avec différents succès. 

Dans cette guerre, nous avons perdu quarante vaisseaux de ligne et un bien plus grand nombre de petits vaisseaux, avec trente mille de nos meilleurs matelots et soldats : l’on compte que la perte de l’ennemi, n’est pas moins considérable. Quoi qu’il en soit, on arme à présent une flotte très-redoutable, et on se prépare à faire une descente sur nos côtes. Or, sa majesté impériale, mettant sa confiance en votre valeur, et ayant une haute idée de vos forces, m’a commandé de vous faire ce détail au sujet de ses affaires, afin de savoir quelles sont vos dispositions à son égard. (...)

 Quoique j’aie le dessein de renvoyer la description de cet empire à un traité particulier, je crois cependant devoir en donner ici au lecteur quelque idée générale. Comme la taille ordinaire des gens du pays est un peu moins haute que de six pouces, il y a une proportion exacte dans tous les autres animaux, aussi bien que dans les plantes et dans les arbres. Par exemple, les chevaux et les bœufs les plus hauts sont de quatre à cinq pouces, les moutons d’un pouce et demi, plus ou moins, leurs oies environ de la grosseur d’un moineau ; en sorte que leurs insectes étaient presque invisibles pour moi ; mais la nature a su ajuster les yeux des habitans de Lilliput à tous les objets qui leur sont proportionnés. 

Pour faire connaître combien leur vue est perçante à l’égard des objets qui sont proches, je dirai que je vis une fois avec plaisir un cuisinier habile plumant une alouette qui n’était, pas si grosse qu’une mouche ordinaire, et une jeune fille enfilant une aiguille invisible avec de la soie pareillement invisible.

Ils ont des caractères et des lettres ; mais leur façon d’écrire est remarquable, n’étant ni de la gauche à la droite, comme celle de l’Europe ; ni de la droite à la gauche, comme celle des Arabes ; ni de haut en bas, comme celle des Chinois ; ni de bas en haut, comme celle des Cascaries ; mais obliquement et d’un angle du papier à l’autre, comme celle des dames d’Angleterre.

Ils enterrent les morts la tête directement en bas, parce qu’ils s’imaginent que dans onze mille lunes tous les morts doivent ressusciter ; qu’alors la terre, qu’ils croient plate, se tournera sens dessus dessous, et que, par ce moyen, au moment de leur résurrection, ils se trouveront tous debout sur leurs pieds. Les savans d’entre eux reconnaissent l’absurdité de cette opinion ; mais l’usage subsiste parce qu’il est ancien et fondé sur les idées du peuple.

Ils ont des lois et des coutumes très-singulières, que j’entreprendrais peut-être de justifier si elles n’étaient trop contraires à celles de ma chère patrie. La première dont je ferai mention regarde les délateurs. Tous les crimes contre l’État sont punis en ce pays-là avec une rigueur extrême ; mais si l’accusé fait voir évidemment son innocence, l’accusateur est aussitôt condamné à une mort ignominieuse, et tous ses biens confisqués au profit de l’innocent. Si l’accusateur est un gueux, l’empereur, de ses propres deniers, dédommage l’accusé, supposé qu’il ait été mis en prison ou qu’il ait été maltraité le moins du monde.

On regarde la fraude comme un crime plus énorme que le vol ; c’est pourquoi elle est toujours punie de mort ; car on a pour principe que le soin et la vigilance, avec un esprit ordinaire, peuvent garantir les biens d’un homme contre les attentats des voleurs, mais que la probité n’a point de défense contre la fourberie et la mauvaise foi.

Quoique nous regardions les châtimens et les récompenses comme les grands pivots du gouvernement, je puis dire néanmoins que la maxime de punir et de récompenser n’est pas observée en Europe avec la même sagesse que dans l’empire de Lilliput. Quiconque peut apporter des preuves suffisantes qu’il a observé exactement les lois de son pays pendant soixante et treize lunes a droit de prétendre à certains priviléges, selon sa naissance et son état, avec une certaine somme d’argent tirée d’un fonds destiné à cet usage ; il gagne même le titre de snilpallou de légitime, lequel est ajouté à son nom ; mais ce titre ne passe pas à sa postérité.

 Ces peuples regardent comme un défaut prodigieux de politique parmi nous que toutes nos lois soient menaçantes, et que l’infraction soit suivie de rigoureux châtimens, tandis que l’observation n’est suivie d’aucune récompense : c’est pour cette raison qu’ils représentent la justice avec six yeux, deux devant, autant derrière, et un de chaque côté (pour représenter la circonspection), tenant un sac plein d’or à sa main droite et une épée dans le fourreau à sa main gauche, pour faire voir qu’elle est plus disposée à récompenser qu’à punir.

Dans le choix qu’on fait des sujets pour remplir les emplois, on a plus d’égard à la probité qu’au grand génie. Comme le gouvernement est nécessaire au genre humain, on croit que la Providence n’eut jamais dessein de faire de l’administration des affaires publiques une science difficile et mystérieuse, qui ne pût être possédée que par un petit nombre d’esprits rares et sublimes, tel qu’il en naît au plus deux ou trois dans un siècle ; mais on juge que la vérité, la justice, la tempérance et les autres vertus sont à la portée de tout le monde, et que la pratique de ces vertus, accompagnée d’un peu d’expérience et de bonne intention, rend quelque  personne que ce soit propre au service de son pays, pour peu qu’elle ait de bon sens et de discernement.

 On est persuadé que tant s’en faut que le défaut des vertus morales soit suppléé par les talens supérieurs de l’esprit, que les emplois ne pourraient être confiés à de plus dangereuses mains qu’à celles des grands esprits qui n’ont aucune vertu, et que les erreurs nées de l’ignorance, dans un ministre honnête homme, n’auraient jamais de si funestes suites, à l’égard du bien public, que les pratiques ténébreuses d’un ministre dont les inclinations seraient corrompues, dont les vues seraient criminelles, et qui trouverait dans les ressources de son esprit de quoi faire le mal impunément.

Qui ne croit pas à la Providence divine parmi les Lilliputiens est déclaré incapable de posséder aucun emploi public. Comme les rois se prétendent à juste titre les députés de la Providence, les Lilliputiens jugent qu’il n’y a rien de plus absurde et de plus inconséquent que la conduite d’un prince qui se sert de gens sans religion, qui nient cette autorité suprême dont il se dit le dépositaire, et dont en effet il emprunte la sienne.

En rapportant ces lois et les suivantes, je ne parle que des lois originales et primitives des Lilliputiens. Je sais que, par des lois modernes, ces peuples sont tombés dans un grand excès de corruption : témoin cet usage honteux d’obtenir les grandes charges en dansant sur la corde, et les marques de distinction en sautant par-dessus un bâton. Le lecteur doit observer que cet indigne usage fut introduit par le père de l’empereur régnant.

L’ingratitude est parmi ces peuples un crime énorme, comme nous apprenons dans l’histoire qu’il l’a été autrefois aux yeux de quelques nations vertueuses. Celui, disent les Lilliputiens, qui rend de mauvais offices à son bienfaiteur même doit être nécessairement l’ennemi de tous les autres hommes.

Les Lilliputiens jugent que le père et la mère ne doivent point être chargés de l’éducation de leurs propres enfans ; et il y a dans chaque ville des séminaires publics, où tous les pères et les mères, excepté les paysans et les ouvriers, sont obligés d’envoyer leurs enfans de l’un et l’autre sexe pour être élevés et formés. Quand ils sont parvenus à l’âge de vingt lunes, on les suppose dociles et capables d’apprendre. Les écoles sont de différentes espèces, suivant la différence du rang et du sexe. Des maîtres habiles forment les enfans pour un état de vie conforme à leur naissance, à leurs propres talens et à leurs inclinations. 

Les séminaires pour les mâles d’une naissance illustre sont pourvus de maîtres sérieux et savans. L’habillement et la nourriture des enfans sont simples. On leur inspire des principes d’honneur, de justice, de courage, de modestie, de clémence, de religion et d’amour pour la patrie : ils sont habillés par des hommes jusqu’à l’âge de quatre ans ; et, après cet âge, ils sont obligés de s’habiller eux-mêmes, de quelque grande qualité qu’ils soient. Il ne leur est permis de prendre leurs divertissements qu’en présence d’un maître : par là, ils évitent ces funestes impressions de folie et de vice qui commencent de si bonne heure à corrompre les mœurs et les inclinations de la jeunesse. 

On permet à leurs père et mère de les voir deux fois par an. La visite ne peut durer qu’une heure, avec la liberté de baiser leur fils en entrant et en sortant ; mais un maître qui est toujours présent en ces occasions ne leur permet pas de parler secrètement à leur fils, de le flatter, de le caresser, ni de lui donner des bijoux ou des dragées et des confitures.

Dans les séminaires pour les femelles, les jeunes filles de qualité sont élevées presque comme les garçons. Seulement elles sont habillées par des domestiques de leur sexe, mais toujours en présence d’une maîtresse, jusqu’à ce qu’elles aient atteint l’âge de cinq ans, qu’elles s’habillent elles-mêmes. Lorsque l’on découvre que les nourrices ou les femmes de chambre entretiennent ces petites filles d’histoires extravagantes, de contes insipides ou capables de leur faire peur (ce qui est en Angleterre fort ordinaire aux gouvernantes), elles sont fouettées publiquement trois fois par toute la ville, emprisonnées pendant un an, et exilées le reste de leur vie dans l’endroit le plus désert du pays. 

Ainsi, les jeunes filles, parmi ces peuples, sont aussi honteuses que les hommes d’être lâches et sottes ; elles méprisent tous les ornements extérieurs, et n’ont égard qu’à la bienséance et à la propreté. Leurs exercices ne sont pas tout-à-fait si violens que ceux des garçons, et on les fait un peu moins étudier ; car on leur apprend aussi les sciences et les belles-lettres. C’est une maxime parmi eux qu’une femme devant être pour son mari une compagnie toujours agréable, elle doit s’orner l’esprit, qui ne vieillit point.


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