vendredi 29 mars 2019

" PETITE HISTOIRE DE L’ANARCHISME CHINOIS "




Dans le « Manifeste de la Société Anarcho-Communiste » de Shifu (1914), on peut lire que l’objectif est de : « créer une société sans propriétaires fonciers, sans chefs de famille, sans dirigeants, sans police, sans cours de justice, sans loi, sans religion, sans mariage ». Pour cela, explique-t-il, il faut instiller les idées anarchistes dans la société, et organiser le renversement du pouvoir en place. (...)





Dans les années 20, certains anarchistes, et en particulier les anarcho-communistes, deviennent rapidement des « ennemis » du Parti Communiste, et des critiques visionnaires des méfaits du Marxisme Léninisme, en Chine et ailleurs. Lu Jianbo, en 1927, prône, contre le communisme d’Etat et le communisme doctrinaire, un « rejet de tous les partis politiques », « rejet de la centralisation », « refus de la dictature du prolétariat », l’abolition des structures oppressives à toutes échelles et de la coercition comme outil de maintien de l’ordre. (...)


Le mouvement anarchiste chinois naît dans les années 1905-1910. Des années d’effervescence politique et culturelle. Le mouvement anarchiste chinois, comme ailleurs, est divers : anarcho-communisme (Liu Shifu), anarchisme agrarien (Liu Shipei), anarcho-individualisme (Qu Qianzhi), anarcho-féminisme (He Zhen), anarcho-syndicalisme (Wu Kegang)… Ces courants se croisent parfois, s’entrechoquent souvent. Cela explique aussi pourquoi les sources dans lesquelles puisent les anarchistes sont diverses : textes taoïstes ou issus du bouddhisme pour les uns, Kropotkine et Elisée Reclus pour les autres, événements contemporains, littérature… Souvent des influences diverses et croisées, ce qui nous permet ici de rappeler que l’anarchisme chinois n’est en rien une « importation » d’une « pensée politique occidentale », comme on peut l’entendre parfois… L’anarchisme chinois est un mouvement avec ses spécificités, ses événements, ses personnages, ses périodiques.
Si le courant anarchiste se revendique aussi sans doctrine et sans canon, les anarchistes chinois semblent concentrer leur intérêt autour de l’expression d’une éthique individuelle et collective. Ils formulent un rejet commun et construit de l’autorité, du gouvernement et de la famille, dans la lignée du mouvement du 4 mai. (...)
Les anarchistes chinois fondent les premiers syndicats ouvriers, particulièrement autour de Canton, où l’on en compte une quarantaine dans les années 1915. Entre 1905 et 1923, il y aurait eu environ 70 périodiques et journaux anarchistes en langue chinoise, et 92 sociétés anarchistes auraient vu le jour en Chine continentale entre 1919 et 1923. (...)
La seconde génération naît avec le mouvement du 4 mai. La plupart des anarchistes de cette génération, à l’instar de Ba Jin, furent introduits à l’anarchisme par les textes de Kropotkine ou de Liu Shifu. Parmi ces nouveaux venus, Bi Xiushao, Zhu Qianzhi, Qu Taijun, Zheng Peigang, Huang Lingshuang, entre autres.
Cette deuxième génération se distingue par la généralisation de la réflexion sur les structures oppressives et répressives dela société. Elle s’attaque à toutes les formes d’autorité : « ce que nous voulons dire par « autorité » n’est pas seulement le militarisme de l’Allemagne ou de l’Autriche, ou le « surhomme » de Nietzsche, mais aussi les politiques, la religion, la loi, et le capitalisme, tout ce qui empêche la réalisation du bonheur et de la liberté dans nos sociétés » écrit Huang Lingshuang. (...)
Malgré la répression et l’interdiction du mouvement anarchiste, ils continuent leurs activités dans les années 30, notamment à Shanghai, Canton et Nanjing ; à Nanjing se créé en 1931 la Ligue Anarchiste Orientale autour d’anarchistes chinois, japonais, coréens et vietnamiens. A la faveur des événements de 1936-1937 en Espagne, les anarchistes chinois se réorganisent sous la bannière du « Coq qui chante dans la nuit », et s’attèlent à propager leurs idées en organisant manifestations de soutien aux travailleurs espagnols et distributions de brochures.

He-Yin Zhen : paroles d’une anarcho-féministe par Agathe Senna.

He-Yin Zhen 何殷震 (1884 - ca. 1920), essayiste et théoricienne féministe, est l’auteure de plusieurs textes majeurs, parus entre 1907 et 1908 dans l’organe anarchiste Tianyi 天義, en français Justice Naturelle, dont elle est l’éditrice. Si on devait la situer dans le contexte intellectuel de l’époque, on retiendrait qu’elle était membre du groupe anarcho-communiste de Tokyo et membre de la première génération anarchiste chinoise , épouse de l’anarchiste Liu Shipei – l’anecdote veut d’ailleurs que ses écrits aient longtemps été attribués à son mari.
Si elle choisit de se faire appeler He-Yin Zhen, c’est en accolant de manière inédite le nom de famille de son père et celui de sa mère, faisant ainsi un pied-de-nez à l’histoire et aux politiques patriarcales qui donnent seule priorité à celui du père et du mari. Cent ans plus tard, ses écrits n’ont rien perdu de leur justesse et de la pertinence de l’appareil critique d’analyse de l’oppression des femmes (nüzi shouzhi女子受制).
He-Yin Zhen dissèque la construction simultanée et conjointe de l’oppression des femmes dans tous les domaines. Culturellement, politiquement, socialement, économiquement, elle part du constat que les femmes sont des esclaves quand les hommes sont maîtres, les femmes chosifiées quand les hommes sont humanisés. C’est ce déséquilibre, cette distinction, qui met son empreinte dans tous les aspects de la vie, qu’elle nomme « nan-nü » 男女, littéralement « homme-femme », ou « masculin-féminin », un dualisme fondamental qui crée artificiellement des catégories et assigne des places.

La lutte pour l’émancipation des femmes n’est en rien, selon elle, une lutte à part entière, distincte d’autres luttes d’émancipation . En effet, cette lutte ne vise pas seulement la fin de leur oppression, mais la fin de toutes les oppressions, c’est-à-dire la justice. Cette lutte n’est donc pas distincte de la lutte révolutionnaire totale, au sens de, dans tous les domaines, sans quoi elle ne viserait qu’à une justice partielle. Notamment, comme elle l’explique dans La révolution économique et la révolution des femmes(décembre 1907), la révolution des femmes doit aller de pair avec une révolution économique, un renversement complet du mode d’organisation du travail, et du système social hiérarchisé et autoritaire.

Dans ses textes, He-Yin Zhen s’adresse directement aux femmes comme lectrices et actrices, en les apostrophant : l’émancipation des femmes, justifie-t-elle, doit se faire par elles-mêmes. Elle appelle les femmes à être actrices de la révolution, car les hommes ne sauraient faire la révolution à leur place. La révolution totale, poursuit-elle, doit être menée par les femmes.

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