lundi 23 décembre 2013

1+2+3+4+5+6+7+… = -1/12 !






      1+2+3+4+5+6+7+… = -1/12 !


Les mathématiciens sont parfois un peu fêlés. En tout cas ils aiment bien essayer de repousser les limites de notre compréhension, quitte à défier le sens commun. Prenez par exemple la somme suivante : 1+2+3+4+5+6+7… et ainsi de suite. Combien vaut cette somme ?
Je pense que n’importe quel écolier censé répondrait "l’infini". Eh bien oui, mais non. Les mathématiciens ont réussi à prouver que cette immense somme vaut en fait … -1/12 ! ( ... )

Venons-en à notre somme monstrueuse, et appelons la S.


S = 1 +2 + 3 + 4 + 5 + 6 + …

Cette fois ci, la somme n’oscille plus : elle file carrément vers l’infini à grande vitesse ! Et pourtant voici ce que l’on peut faire : prenons la somme S et retirons-lui la somme B


S – B = (1 +2 + 3 + 4 + 5 + 6 + …) – (1 – 2 + 3 – 4 + 5 – 6 + …)

Vous voyez que les termes impairs se compensent et que les termes pairs sont doublés, on a donc


S – B = 2 * (2 + 4 + 6 + 8 + …) = 4 * (1 + 2 + 3 + 4 + …)

et ici à droite on reconnait entre parenthèses notre somme S ! On a donc


S = B + 4S

ou encore S = -B/3. Comme on a vu que B = 1/4, on arrive donc au résultat tant attendu


S = – 1/12.     CQFD !

Cela peut vous paraître choquant, vous pouvez chercher la faille, ou vous imaginer que l’on peut démontrer n’importe quoi de ce genre en tripotant des sommes infinies. Eh bien non, si on respecte quelques règles élémentaires, quelle que soit la manière dont on s’y prend, on trouve que si on veut affecter une valeur finie à cette somme monstrueuse, alors -1/12 est l’unique valeur qui colle.





Du point de vue strictement mathématique, on peut donner un sens formel bien défini à ces calculs. Il suffit juste de généraliser un peu la notion de somme infinie. Ce qui est plus drôle, c’est que cette somme infinie bizarre joue aussi un rôle important en physique théorique.

Pour ma part, je l’ai croisée pour la première fois lors d’une étude sur l’effet Casimir. Cet effet (qui n’a rien à voir avec l’île aux Enfants) a été prédit par le physicien hollandais Hendrik Casimir, et prévoit que deux plaques parallèles conductrices placées dans le vide vont s’attirer à cause des fluctuations de l’énergie du vide (énergie dont je parlais dans ce billet).

Et pour calculer la force subie par les plaques, on utilise l’égalité 1 + 2 + 3 + 4 + … = -1/12 ! Et ça marche, car cette force a été mesurée expérimentalement !




Mais il existe une autre branche de la physique où cette égalité joue un rôle essentiel, il s’agit de la fameuse théorie des cordes. Comme vous le savez peut-être, cette théorie affirme nous vivons dans un monde à 26 dimensions (ou 10 ou 11, c’est selon). Les cordistes aiment dire que c’est ce que "prédit" la théorie, mais la réalité est un peu différente : ce nombre de dimensions n’est pas une prédiction de la théorie, mais plutôt un prérequis pour que la théorie ait mathématiquement un sens. ( ... )


Mais au fait, pourquoi D = 26 est-elle la dimension magique dans laquelle la théorie marche sans que les infinis apparaissent ? Si on fait le détail du calcul, on trouve que le terme infini qui fout le bazar est en fait proportionnel à


\left[1 + \frac{D-2}{2}(1+2+3+4+5+6+7+...)\right]

or si vous observez cette équation deux minutes, et que vous admettez que 1 + 2 + 3 + 4 + … = -1/12, vous remarquez que tout ce terme devient nul pour D=26, et les infinis disparaissent de la théorie !

 Voilà d’où vient le nombre magique, appelé "dimension critique". (Pour les esprits pointilleux, j’ai raconté ici le calcul tel qu’il se présente pour la théorie dite des "cordes bosoniques", qui est la plus simple. On sait depuis longtemps que cette théorie ne fonctionne pas pour d’autres raisons, et on favorise plutôt les théories "supersymétriques" pour lesquels le nombre magique de dimensions est 10, mais l’idée est la même.)



samedi 30 novembre 2013

" Mais où est, je vous prie, la garantie du progrès pour le lendemain ? " par Charles Baudelaire ( 1855 )




Il est encore une erreur fort à la mode, de laquelle je veux me garder comme de l’enfer. — Je veux parler de l’idée du progrès. Ce fanal obscur, invention du philosophisme actuel, breveté sans garantie de la Nature ou de la Divinité, cette lanterne moderne jette des ténèbres sur tous les objets de la connaissance ; la liberté s’évanouit, le châtiment disparaît. 





Qui veut y voir clair dans l’histoire doit avant tout éteindre ce fanal perfide. Cette idée grotesque, qui a fleuri sur le terrain pourri de la fatuité moderne, a déchargé chacun de son devoir, délivré toute âme de sa responsabilité, dégagé la volonté de tous les liens que lui imposait l’amour du beau : et les races amoindries, si cette navrante folie dure longtemps, s’endormiront sur l’oreiller de la fatalité dans le sommeil radoteur de la décrépitude. Cette infatuation est le diagnostic d’une décadence déjà trop visible.

Demandez à tout bon Français qui lit tous les jours son journal dans son estaminet ce qu’il entend par progrès, il répondra que c’est la vapeur, l’électricité et l’éclairage au gaz, miracles inconnus aux Romains, et que ces découvertes témoignent pleinement de notre supériorité sur les anciens ; tant il s’est fait de ténèbres dans ce malheureux cerveau et tant les choses de l’ordre matériel et de l’ordre spirituel s’y sont si bizarrement confondues ! Le pauvre homme est tellement américanisé par ses philosophes zoocrates et industriels qu’il a perdu la notion des différences qui caractérisent les phénomènes du monde physique et du monde moral, du naturel et du surnaturel.

Si une nation entend aujourd’hui la question morale dans un sens plus délicat qu’on ne l’entendait dans le siècle précédent, il y a progrès ; cela est clair. Si un artiste produit cette année une œuvre qui témoigne de plus de savoir ou de force imaginative qu’il n’en a montré l’année dernière, il est certain qu’il a progressé. Si les denrées sont aujourd’hui de meilleure qualité et à meilleur marché qu’elles n’étaient hier, c’est dans l’ordre matériel un progrès incontestable. Mais où est, je vous prie, la garantie du progrès pour le lendemain ? Car les disciples des philosophes de la vapeur et des allumettes chimiques l’entendent ainsi : le progrès ne leur apparaît que sous la forme d’une série indéfinie. Où est cette garantie ? Elle n’existe, dis-je, que dans votre crédulité et votre fatuité.

Je laisse de côté la question de savoir si, délicatisant l’humanité en proportion des jouissances nouvelles qu’il lui apporte, le progrès indéfini ne serait pas sa plus ingénieuse et sa plus cruelle torture ; si, procédant par une opiniâtre négation de lui-même, il ne serait pas un mode de suicide incessamment renouvelé, et si, enfermé dans le cercle de feu de la logique divine, il ne ressemblerait pas au scorpion qui se perce lui-même avec sa terrible queue, cet éternel desideratum qui fait son éternel désespoir ?

Transportée dans l’ordre de l’imagination, l’idée du progrès (il y a eu des audacieux et des enragés de logique qui ont tenté de le faire) se dresse avec une absurdité gigantesque, une grotesquerie qui monte jusqu’à l’épouvantable. La thèse n’est plus soutenable. Les faits sont trop palpables, trop connus. Ils se raillent du sophisme et l’affrontent avec imperturbabilité. Dans l’ordre poétique et artistique, tout révélateur a rarement un précurseur. Toute floraison est spontanée, individuelle. Signorelli était-il vraiment le générateur de Michel-Ange ? Est-ce que Pérugin contenait Raphaël ? L’artiste ne relève que de lui-même. Il ne promet aux siècles à venir que ses propres œuvres. Il ne cautionne que lui-même. Il meurt sans enfants. Il a été son roi, son prêtre et son Dieu. C’est dans de tels phénomènes que la célèbre et orageuse formule de Pierre Leroux trouve sa véritable application.

Il en est de même des nations qui cultivent les arts de l’imagination avec joie et succès. La prospérité actuelle n’est garantie que pour un temps, hélas ! bien court. L’aurore fut jadis à l’orient, la lumière a marché vers le sud, et maintenant elle jaillit de l’occident. La France, il est vrai, par sa situation centrale dans le monde civilisé, semble être appelée à recueillir toutes les notions et toutes les poésies environnantes, et à les rendre aux autres peuples merveilleusement ouvrées et façonnées. Mais il ne faut jamais oublier que les nations, vastes êtres collectifs, sont soumises aux mêmes lois que les individus. Comme l’enfance, elles vagissent, balbutient, grossissent, grandissent. Comme la jeunesse et la maturité, elles produisent des œuvres sages et hardies. Comme la vieillesse, elles s’endorment sur une richesse acquise. 

Souvent il arrive que c’est le principe même qui a fait leur force et leur développement qui amène leur décadence, surtout quand ce principe, vivifié jadis par une ardeur conquérante, est devenu pour la majorité une espèce de routine. Alors, comme je le faisais entrevoir tout à l’heure, la vitalité se déplace, elle va visiter d’autres territoires et d’autres races ; et il ne faut pas croire que les nouveaux venus héritent intégralement des anciens, et qu’ils reçoivent d’eux une doctrine toute faite. Il arrive souvent (cela est arrivé au moyen âge) que, tout étant perdu, tout est à refaire.

Charles Baudelaire, Curiosités esthétiques, Exposition universelle, 1855.


vendredi 22 novembre 2013

" un livre doit être la hache pour la mer gelée en nous. " par Franz Kafka ( janvier 1904 )







En revanche, nous avons besoin de livres qui agissent sur nous comme un malheur dont nous souffririons beaucoup, comme la mort de quelqu’un que nous aimerions plus que nous-mêmes, comme si nous étions proscrits, condamnés à vivre dans des forêts loin de tous les hommes, comme un suicide — un livre doit être la hache pour la mer gelée en nous. Voilà ce que je crois.


J’ai quand même commencé de façon suivie, au début en me jouant, pour me sentir finalement comme l’homme des cavernes qui, ayant roulé une grosse pierre devant l’entrée de sa caverne, par jeu et pour rompre l’ennui, est pris d’une sourde frayeur en voyant que la pierre le prive d’air et le plonge dans l’obscurité.

Il tente alors avec une étrange ardeur de la déplacer, mais maintenant elle est dix fois plus lourde et, pour retrouver l’air et la lumière, l’homme angoissé doit tendre toutes ses forces. De même je n’ai pas pu toucher une plume de tout ce temps, car à embrasser du regard une telle vie, qui s’élève continuellement sans faille, si haut qu’on peut à peine la suivre avec sa longue-vue, on ne peut pas garder la conscience en paix. 

Mais il est bon que la conscience porte de larges plaies, elle n’en est que plus sensible aux morsures. Il me semble d’ailleurs qu’on ne devrait lire que les livres qui vous mordent et vous piquent. Si le livre que nous lisons ne nous réveille pas d’un coup de poing sur le crâne, à quoi bon le lire ? Pour qu’il nous rende heureux, comme tu l’écris ? Mon Dieu, nous serions tout aussi heureux si nous n’avions pas de livres, et des livres qui nous rendent heureux, nous pourrions à la rigueur en écrire nous-mêmes.

En revanche, nous avons besoin de livres qui agissent sur nous comme un malheur dont nous souffririons beaucoup, comme la mort de quelqu’un que nous aimerions plus que nous-mêmes, comme si nous étions proscrits, condamnés à vivre dans des forêts loin de tous les hommes, comme un suicide — un livre doit être la hache pour la mer gelée en nous. Voilà ce que je crois. ( ... )

Lettre à Oskar Pollak par Franz Kafka  (  janvier 1904 )




lundi 28 octobre 2013

La fourmi de Langton

Ant in a box 
La fourmi de Langton est un petit programme informatique qui décrit une fourmi se déplaçant sur les cases d’une grille. Les règles qui régissent le mouvement de la fourmi sont d’une grande simplicité, et pourtant son comportement est complexe et tout sauf anodin. 

Et personne ne comprend vraiment pourquoi…



Les règles du jeu


Pour jouer à la fourmi de Langton (du nom de son créateur Chris Langton) il vous faut une feuille quadrillée, un crayon et une gomme. Au départ les cases de la grille peuvent être blanches ou noires, mais supposons pour commencer qu’elles sont toutes blanches. Mettez une petite flèche dans une des cases : ce sera votre fourmi, et l’orientation de la flèche indiquera sa direction.

A chaque tour, la fourmi se déplace selon les règles suivantes :
  1. Si la fourmi est sur une case blanche, elle effectue une rotation vers la gauche; si elle est sur une case noire, elle effectue une rotation vers la droite ;
  2. La fourmi inverse la couleur de la case sur laquelle elle se trouve (blanc devient noir et réciproquement);
  3. La fourmi avance d’une case dans la direction de son orientation.

LangtonsAntAnimated

  Les phases de la vie de la fourmi



A vue de nez, rien de bien enthousiasmant dans cette fourmi. Elle obéit à des règles très simples et on se dit que son évolution ne va pas être bien passionnante. Et pourtant, quand on la simule pendant quelques milliers de tours, il se passe des choses vraiment étonnantes.


En effet, la fourmi va passer par 3 phases vraiment très différentes, la phase « symétrique », la phase « chaotique » et la phase « autoroute ».

Au début de son évolution, la fourmi se balade dans une zone assez limitée de la grille, en dessinant desconfigurations régulières et symétriques. En voici quelques exemples (la fourmi est en rouge) :



Quand on voit ces figures, on peut penser que la fourmi de Langton va passer le restant de son existence à dessiner des jolies choses bien symétriques. Mais à partir de 500 tours, tout change. Elle se met à avoir un comportement chaotique, en élargissant son terrain de jeu et en créant des configurations très irrégulières.

Cette phase chaotique dure jusqu’à environ 10000 tours, et là le miracle se produit : la fourmi entame la construction d’une autoroute très régulière qui la conduit à l’infini.



Le mystère de l’autoroute

L’autoroute est en fait un motif périodique de 104 pas qui se répète, et conduit au tracé que vous observez sur le film précédent. Personne ne comprend pourquoi elle apparaît et comment elle peut émerger du désordre qui caractérise la phase chaotique.

Ce qu’il y a de plus perturbant, c’est que même si on part d’une grille dont les cases sont coloriées aléatoirement en blanc ou en noir, l’autoroute finit toujours par apparaître un jour ou l’autre.

C’est encore un problème ouvert de démontrer que quelle que soit la configuration initiale, une autoroute apparaît (à moins de chercher un contre-exemple, mais aucun n’a été trouvé à ce jour).

Toutefois un pas intéressant a été franchi : on peut démontrer que la trajectoire de la fourmi est toujours non-bornée. C’est à dire que la fourmi finit toujours son parcours à l’infini…mais on ne sait pas montrer que c’est toujours via une construction d’autoroute !


jeudi 29 août 2013

" Sur le phénomène des «boulots à la con» ( bullshit jobs ) " par David Graeber

Un monde sans profs ou dockers serait bien vite en difficulté, et même un monde sans auteur de science fiction ou musicien de ska serait clairement un monde moins intéressant. Ce n’est pas complètement clair comment le monde souffrirait de la disparition des directeurs généraux d’entreprises, lobbyistes, chercheurs en relation presse, télémarketeurs, huissiers de justice ou consultant légaux (Beaucoup soupçonnent même que la vie s’améliorerait grandement).  





Dans les années 30, John Maynard Keynes avait prédit que, à la fin du siècle, les technologies seront suffisamment avancées pour que des pays comme le Royaume Uni ou les Etats Unis envisagent des temps de travail de 15 heures par semaine. Il y a toutes les raisons de penser qu’il avait raison. Et pourtant cela n’est pas arrivé. Au lieu de cela, la technologie a été manipulée pour trouver des moyens de nous faire travailler plus. Pour y arriver, des emplois ont du être créés et qui sont par définition, inutiles. Des troupes entières de gens, en Europe et en Amérique du Nord particulièrement, passent leur vie professionnelle à effectuer des tâches qu’ils savent sans réelle utilité. Les nuisances morales et spirituelles qui accompagnent cette situation est profonde. C’est une cicatrice qui balafre notre âme collective. Et pourtant personne n’en parle. ( ... )


Quels sont donc ces nouveaux emplois précisément? Un rapport récent comparant l’emploi aux Etats Unis entre 1910 et 2000 nous en donne une bonne image (et je notes au passage, il en est de même pour le Royaume Uni). Au cours du siècle dernier, le nombre de travailleurs, employés dans l’industrie ou l’agriculture a dramatiquement diminué. Au même moment, les emplois en tant que “professionnels, clercs, managers, vendeurs et employés de l’industrie de service” ont triplés, passant “de un quart à trois quart des employés totaux”. En d’autres mots, les métiers productifs, comme prédit, a pu être largement automatisé (même si vous comptez les employés de l’industrie en Inde et Chine, ce type de travailleurs ne représente pas un pourcentage aussi large qu’avant) ( ... )

C’est comme si quelqu’un inventait des emplois sans intérêt, juste pour nous tenir tous occupés. Et c’est ici que réside tout le mystère. Dans un système capitaliste, c’est précisément ce qui n’est pas censé arriver. Dans les inefficaces anciens états socialistes, comme l’URSS, où l’emploi était considéré comme un droit et un devoir sacré, le système fabriquait autant d’emploi qu’il était nécessaire (une des raisons pour lesquelles il fallait trois personnes pour vous servir dans les supermarchés un morceau de viande). Mais, bien sûr, c’est le genre de problème que le marché compétitif est censé régler. Selon les théories économiques, en tout cas, la dernière chose qu’une entreprise qui recherche le profit va faire est de balancer de l’argent à des employés qu’ils ne devraient pas payer. Pourtant, cela arrive en quelque sorte.
Alors que les entreprises s’engagent dans des campagnes de licenciement, celles ci touchent principalement la classe des gens qui font, bougent, réparent ou maintiennent les choses, alors que à travers une alchimie bizarre que personne ne peut expliquer, le nombre de salariés “pousse-papier” semble gonfler, et de plus en plus d’employés se retrouvent, au contraire des travailleurs de l’ex URSS, travaillant 40 ou 50 heures par semaine, mais travaillant de façon réellement efficace 15 heures, comme Keynes l’avait prédit, passant le reste de leur temps à organiser ou aller à des séminaires de motivation, mettre à jour leur profile facebook ou télécharger des séries télévisées.
La réponse n’est clairement pas économique: elle est morale et politique. La classe dirigeante a découvert qu’une population heureuse et productive avec du temps libre est un danger mortel (pensez à ce qui c’est passé lorsque cette prophétie à commencé à se réaliser dans les années 60). Et, d’un autre côté, le sentiment que le travail est une valeur morale en elle même, et que quiconque qui ne se soumet pas à une forme intense de travail pendant leur temps de veille ne mérite rien, est particulièrement pratique pour eux. ( ... )

Je ne voudrais pas dire à quelqu’un, qui est convaincu qu’il effectue une réelle contribution à l’humanité et au monde, que en fait, non. Mais qu’en est-il des gens qui sont convaincus que leur travail n’a pas de sens? Il y a peu j’ai repris contact avec un ami d’enfance que je n’avais pas vu depuis l’âge de 12 ans. J’ai été étonné d’apprendre, que dans l’intervalle, il était d’abord devenu un poète, puis le chanteur d’un groupe de rock indépendant. J’avais entendu certaines de ses chansons à la radio, sans savoir que c’était quelqu’un que je connaissais. Il était clairement brillant, innovant, et son travail avait sans aucun doute illuminé et amélioré la vie de gens au travers du monde. Pourtant, après quelques albums sans succès, il perdit son contrat, et plombé de dettes et devant s’occuper d’un jeune enfant, finit comme il le dit lui même “à prendre le choix par défaut de beaucoup de gens sans direction: la fac de droit”. Il est aujourd’hui un avocat d’affaires travaillant pour une firme proéminente newyorkaise. Il était le premier à admettre que son travail n’avait aucun sens, ne contribuait en rien au monde, et de sa propre estimation, ne devrait pas réellement exister. ( ... )
Il existe une classe entière de professionnels qui, si vous deviez les rencontrer dans une soirée et admettent que vous faites quelque chose d’intéressant (un anthropologiste, par exemple), feront tout pour éviter de discuter leur travail. Après quelques verres, ils risquent même de se lancer dans des tirades sur combien leur travail est stupide et sans intérêt.
Cela est profondément psychologiquement violent. Comment peut on commencer à discuter de dignité au travail, quand on estime que son travail ne devrait même pas exister? Comment cette situation ne peut-elle pas créer un sentiment profond de rage et de ressentiment? Pourtant et c’est tout le génie de cette société, dont les dirigeants ont trouvé un moyen, comme dans le cas des cuiseurs de poisson, de s’assurer que la rage est directement dirigée précisément vers ceux qui font un travail qui a du sens. Par exemple, dans notre société, il semble y avoir une règle, qui dicte que plus le travail bénéficie aux autres, moins il sera payé pour ce travail. Encore une fois, une mesure objective est difficile à trouver, mais un moyen simple de se faire une idée est de se demander: qu’arriverait-il si cette classe entière de travailleurs disparaissait? Dites ce que vous voulez à propose des infirmières, éboueurs ou mécaniciens, mais si ils venaient à disparaître dans un nuage de fumée, les conséquences seraient immédiates et catastrophiques. Un monde sans profs ou dockers serait bien vite en difficulté, et même un monde sans auteur de science fiction ou musicien de ska serait clairement un monde moins intéressant. Ce n’est pas complètement clair comment le monde souffrirait de la disparition des directeurs généraux d’entreprises, lobbyistes, chercheurs en relation presse, télémarketeurs, huissiers de justice ou consultant légaux (Beaucoup soupçonnent même que la vie s’améliorerait grandement). Pourtant à part une poignées d’exceptions (les médecins), la règle semble valide.
De façon encore plus pervers, il semble exister un consensus sur le fait que c’est la façon dont les choses devraient se passer. C’est un des points forts secrets du populisme de droite. Vous pouvez le voir quand les tabloids s’en prennent aux cheminots, qui paralysent le métro londonien durant des négociations: le fait que ces travailleurs peuvent paralyser le métro, montre que leur travail est nécessaire, mais cela semble être précisément ce qui embête les gens. C’est encore plus clair aux Etats Unis, où les Républicains ont réussi à mobiliser les gens contre les professeurs d’école ou les travailleurs de l’industrie automobile (et non contre les administrateur des écoles ou les responsables de l’industrie automobile qui étaient la source du problème) pour leurs payes et avantages mirifiques. C’est un peu comme si ils disaient “mais vous pouvez apprendre aux enfants! ou fabriquer des voitures! c’est vous qui avez les vrais emplois! et en plus de ça vous avez le toupet de demander une retraite et la sécu?”
Si quelqu’un avait conçu un plan pour maintenir la puissance du capital financier aux manettes, il est difficile de voir comment ils auraient mieux fait. Les emplois réels, productifs sont sans arrêt écrasés et exploités. Le reste est divisé en deux groupes, entre la strate des sans emplois, universellement vilipendé et une strate plus large de gens qui sont payés à ne rien faire, dans une position qui leur permet de s’identifier aux perspectives et sensibilités de la classe dirigeante (managers, administrateurs, etc.) et particulièrement ses avatars financiers, mais en même temps produit un ressentiment envers quiconque à un travail avec un valeur sociale claire et indéniable. Clairement, le système n’a pas été consciemment conçu, mais a émergé d’un siècle de tentatives et d’échecs. Mais c’est la seule explication pourquoi, malgré nos capacités technologiques, nous ne travaillons pas 3 à 4 heures par jour.




dimanche 25 août 2013

" Despotisme et lois de l'humanité " par Alexis de Tocqueville ( 1835 )


 QUELLE ESPÈCE DE DESPOTISME LES NATIONS   DEMOCRATIQUES ONT À CRAINDRE



je vois une foule innombrable d'hommes semblables et égaux qui tournent sans repos sur eux-mêmes pour se procurer de petits et vulgaires plaisirs, dont ils remplissent leur âme. Chacun d'eux, retiré à l'écart, est comme étranger à la destinée de tous les autres : ses enfants et ses amis particuliers forment pour lui toute l'espèce humaine




Je pense donc que l'espèce d'oppression, dont les peuples démocratiques sont menacés ne ressemblera à rien de ce qui l'a précédée dans le monde ; nos contemporains ne sauraient en trouver l'image dans leurs souvenirs. Je cherche en vain moi-même une expression qui reproduise exactement l'idée que je m'en forme et la renferme ; les anciens mots de despotisme et de tyrannie ne conviennent point. La chose est nouvelle, il faut donc tâcher de la définir, puisque je ne peux la nommer.
Je veux imaginer sous quels traits nouveaux le despotisme pourrait se produire dans le monde : je vois une foule innombrable d'hommes semblables et égaux qui tournent sans repos sur eux-mêmes pour se procurer de petits et vulgaires plaisirs, dont ils remplissent leur âme. Chacun d'eux, retiré à l'écart, est comme étranger à la destinée de tous les autres : ses enfants et ses amis particuliers forment pour lui toute l'espèce humaine ; quant au demeurant de ses concitoyens, il est à côté d'eux, mais il ne les voit pas ; il les touche et ne les sent point ; il n'existe qu'en lui-même et pour lui seul, et,   s'il lui reste encore une famille, on peut dire du moins qu'il n'a pas de patrie.
Au-dessus de ceux-là s'élève un pouvoir immense et tutélaire, qui se charge seul d'assurer leur jouissance et de veiller sur leur sort. Il est absolu, détaillé, régulier, prévoyant et doux. Il ressemblerait à la puissance paternelle si, comme elle, il avait pour objet de préparer les hommes à l'âge viril ; mais il ne cherche, au contraire, qu'à les fixer irrévocablement dans l'enfance ; il aime que les citoyens se réjouissent, pourvu qu'ils ne songent qu'à se réjouir. Il travaille volontiers à leur bonheur ; mais il veut en être l'unique agent et le seul arbitre ; il pourvoit à leur sécurité, prévoit et assure leurs besoins, facilite leurs plaisirs, conduit leurs principales affaires, dirige leur industrie, règle leurs successions, divise leurs héritages (..)
Après avoir pris tour à tour dans ses puissantes mains chaque individu, et l'avoir pétri à sa guise, le souverain étend ses bras sur la société tout entière ; il en couvre la surface d'un réseau de petites règles compliquées, minutieuses et uniformes (..) il ne brise pas les volontés, mais il les amollit, les plie et les dirige ; il force rarement d'agir, mais il s'oppose sans cesse à ce qu'on agisse ; il ne détruit point, il empêche de naître ; il ne tyrannise point, il gêne, il comprime, il énerve, il éteint, il hébète, et il réduit enfin chaque nation à n'être plus qu'un troupeau d'animaux timides et industrieux, dont le gouvernement est le berger.

...EN RESPECTANT MIEUX LES LOIS DE L'HUMANITÉ
Les Espagnols lâchent leurs chiens sur les Indiens comme sur des bêtes farouches ; ils pillent le Nouveau Monde ainsi qu'une ville prise d'assaut, sans discernement et sans pitié ; mais on ne peut tout détruire, la fureur a un terme : le reste des populations indiennes échappées aux massacres finit par se mêler à ses vainqueurs et par adopter leur religion et leurs mœurs.
La conduite des Américains des Etats-Unis envers les indigènes respire au contraire le plus pur amour des formes et de la légalité. Pourvu que les Indiens demeurent dans l'état sauvage, les Américains ne se mêlent nullement de leurs affaires et les traitent en peuples indépendants ; ils ne se permettent point d'occuper leurs terres sans les avoir dûment acquises au moyen d'un contrat ; et si par hasard une nation indienne ne peut plus vivre sur son territoire, ils la prennent fraternellement par la main et la conduisent eux-mêmes mourir loin du pays de ses pères.
Les Espagnols, à l'aide de monstruosités sans exemples, en se couvrant d'une honte ineffaçable, n'ont pu parvenir à exterminer la race indienne, ni même à l'empêcher de partager leurs droits ; les Américains des Etats-Unis ont atteint ce double résultat avec une merveilleuse facilité, tranquillement, légalement, philanthropiquement (..) On ne saurait détruire les hommes en respectant mieux les lois de l'humanité.


Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique ( t. I, 1835 ; t. II, 1840)
Œuvres, Gallimard, La Pléiade, II, 1992, pages 836-837 et 392-393

dimanche 28 juillet 2013

" De la nature des choses " par Lucrèce ( premier siècle avant notre ère )



Au seuil de la science est assis ce principe :

Rien n’est sorti de rien. Rien n’est l’œuvre des dieux.



Longtemps dans la poussière, écrasée, asservie,
Sous la religion l’on vit ramper la vie ;
Horrible, secouant sa tête dans les cieux,
Planait sur les mortels l’épouvantail des dieux.

Un Grec, un homme vint, le premier dont l’audace
Ait regardé cette ombre et l’ait bravée en face ;
Le prestige des dieux, les foudres, le fracas
Des menaces d’en haut ne l’ébranlèrent pas.

L’obstacle exaspéra l’ardeur de son génie.
Fier de forcer l’accès de la sphère infinie,
Des portes du mystère il perça l’épaisseur,
Et, dépassant de loin par un élan vainqueur

Les murailles de flamme et les voûtes d’étoiles,
Sa pensée embrassa l’immensité sans voiles.
De son hardi voyage il nous a rapporté
La mesure et la loi de la fécondité,

Et quel cercle émané de leur intime essence
Des êtres à jamais circonscrit la puissance.
Il pose sur l’erreur son pied victorieux ;
La religion croule et nous égale aux dieux !

Peut-être on te dira que tu cours à l’abîme,
Que la science impie est le chemin du crime.
Eh ! qui plus enfanta d’atroces actions,
Plus de hideux forfaits, que les religions ? ( ... )


Au seuil de la science est assis ce principe :
Rien n’est sorti de rien. Rien n’est l’œuvre des dieux.

C’est à force de voir sur terre et dans les cieux
Des faits dont la raison cherche en vain l’origine,
Que nous plaçons en tout la volonté divine.

De là cette terreur qui nous accable. Eh bien !
Quand nous saurons que rien ne peut sortir de rien,
Nous verrons s’éclairer notre route, et les choses,
Sans miracle et sans dieux, nous révéler leurs causes. ( ... )



 Il est doux, quand les vents troublent au loin les ondes,
De contempler du bord sur les vagues profondes
Un naufrage imminent. Non que le cœur jaloux
Jouisse du malheur d’autrui ; mais il est doux


De voir ce que le sort nous épargne de peines.
Il est doux, en lieu sûr, de suivre dans les plaines
Les bataillons livrés aux chances des combats
Et les périls lointains qu’on ne partage pas.


Mais rien n’est aussi doux que d’établir sa vie
Sur les calmes hauteurs de la philosophie,
Dans l’impassible fort de la sérénité,
De voir par cent chemins l’errante humanité


Chercher, courir, lutter de force et de génie,
Consumer en labeurs la veille et l’insomnie,
Monter de brigue en brigue aux échelons derniers,
Et s’asseoir au sommet des choses, sous nos pieds ! ( ... )


À d’autres ces palais où l’opulence mêle
Aux nocturnes festins, au bruit des chœurs, au chant
Des cithares, l’éclat des vaisselles d’argent,
La splendeur des parois de bronze et d’or vêtues
Et les lampes en feu dans la main des statues !

Nous, sur le frais tapis d’une herbe épaisse, aux bords
D’un ruisseau, mollement nous étendons nos corps.
Qu’importe à nos loisirs la richesse des marbres,
Quand le printemps nous rit à travers les grands arbres
Et sur l’herbe répand la parure des fleurs ! ( ... )

Donc, à l’heure où l’amour accouple hommes et bêtes,
Lorsque Vénus conçoit, des âmes toutes prêtes,
Guettant l’endroit précis, lutteraient à l’entour
À qui doit la première entrer et voir le jour,

À moins que, pour mettre ordre à ce conflit stérile.
Un pacte n’ait d’avance admis la plus agile
À l’honneur d’essayer les moules corporels !
Non, faire voltiger sur le lit des mortels

Cet innombrable essaim d’immortelles émules,
C’est bien le plus bouffon des contes ridicules ! ( ... )

Ami, la mort n’est rien, dès que l’âme est mortelle.
De même qu’en ces jours où la grande querelle
Fit régner la terreur sous la voûte des cieux,
Quand des Carthaginois le choc tumultueux

Ébranla tout au loin sur la terre et sur l’onde,
Quand Rome put douter de l’empire du monde,
Nous n’avons pas souffert, nous qui n’existions point :
De même, après la mort, lorsque sera disjoint

Ce nœud d’âme et de chair où tout l’homme réside,
Rien n’atteindra nos sens, ou notre être, mot vide,
Car nous ne serons plus ! Rien : dût avec la mer
La terre se confondre et l’onde avec l’éther ! ( ... )

J’entre en des régions que nul pied n’a foulées,
Fier de boire vos eaux, sources inviolées,
Heureux de vous cueillir, fleurs vierges, qu’à mon front,
Je le sens, je le veux, les Muses suspendront,

Fleurs dont nul avant moi n’a couronné sa tête,
Digne prix des labeurs du sage et du poète
Qui, des religions brisant les derniers nœuds,
Sur tant de nuit épanche un jour si lumineux !

Et qui nous blâmera, si par la poésie,
Tout ce que nous touchons est frotté d’ambroisie ?
Je suis le médecin qui présente à l’enfant
Quelque breuvage amer, qu’il faut boire pourtant.

Les bords du vase enduits d’un miel qui les parfume
À cet âge léger dérobent l’amertume :
L’enfant est dupe et non victime : il boit sans peur,
Et dans le corps descend le suc réparateur,

Emportant avec lui les douleurs et les fièvres.
Le mensonge sauveur n’a trompé que les lèvres.
Ainsi je fais passer l’austère vérité,
Baume suspect à ceux qui ne l’ont pas goûté.

La foule, enfant qu’apaise une innocente ruse,
Cédant sans défiance au charme de la muse,
Sous le couvert du miel boira les sucs amers.
Ainsi puissé-je, ami, grâce à l’attrait des vers,
En toi de la Nature infuser la science
Et t’en faire sentir la salubre influence ! ( ... )


Si la terre et son ciel n’ont pas eu de naissance,
S’ils ont toujours été, d’où vient que les anciens,
Avant la Thébaïde et les malheurs troyens,
D’aucun fait dans leurs chants n’ont gardé la mémoire ?

Où s’en seraient allés tant d’exploits, dont l’histoire
Devait greffer la fleur sur son arbre éternel ?
Oui, notre monde est neuf ; le jour originel
Luit de bien prés encor sur son adolescence.
Que d’arts encore enfants sont en pleine croissance !

Que de progrès nouveaux aux choses de la mer !
La science des sons date à peine d’hier.
Cette Doctrine, enfin, est récemment éclose,
Et je suis le premier, le seul même, qui l’ose
Transplanter dans la langue et sur le sol romains. ( ... )


Lorsque l’homme apparut sur le sein de la terre,
Il était rude encor, rude comme sa mère ;
De plus solides os soutenaient son grand corps,
Et des muscles puissants en tendaient les ressorts.
Peu de chocs entamaient sa vigoureuse écorce ;

Le chaud, le froid, la faim, rien n’abattait sa force.
Des milliers de soleils l’ont vu, nu sous le ciel,
Errer à la façon des bêtes. Nul mortel
Ne connaissait le fer ; nul, de ses bras robustes,

Ne traçait de sillons et ne plantait d’arbustes.
Point de socs recourbés, alors ; point de ces faux
Qui des grands arbres vont trancher les vieux rameaux.
Les bienfaits de la terre et des cieux, les largesses
Du soleil, c’étaient là nos uniques richesses. ( ... )


Les rois sur les cités dressant des citadelles,
Refuges et remparts, taillèrent à chacun
Sa part dans le troupeau, son lot du champ commun,
D’après l’aspect du corps, la force et le courage ;

Car la force était tout, et beaucoup le visage.

L’or vint ensuite, l’or, qui de leur primauté
Sans peine dépouilla la force et la beauté :
Car les beaux et les forts, entraînés dans le nombre,
Font cortège au plus riche et marchent dans son ombre. ( ... )


Ce ne fut plus que lie et chaos, et délire
Des foules où chacun voulait sa part d’empire,
Dans le nombre il fallut choisir des magistrats,
Constituer des lois gardiennes des contrats ;
Las de languir sans fin dans le conflit des haines,
D’autant plus volontiers l’homme accepta ces chaînes ! ( ... )


La nuit, l’enfant ne voit que présages funèbres ;
Encor ne tremble-t-il qu’au milieu des ténèbres :
Nous, nous tremblons le jour. L’effroi qui nous poursuit
A-t-il donc plus de corps que ces terreurs de nuit ?
Sur ces ombres le jour épuise en vain ses flammes ;
La science peut seule éveiller dans les âmes,
À défaut du soleil, l’astre de la raison. ( ... )


wikisource.org 

On ne dispose sur la vie de Lucrèce d'aucune information fiable.
Ses contemporains l'ignorent ou se taisent sur son compte. ( ... )
Ovide écrit dans Les Amours : « Les poèmes du sublime Lucrèce ne périront que le jour où le monde entier sera détruit. ( ... )
Le poème est un exposé de la doctrine d'Épicure. C'est d'ailleurs essentiellement grâce à lui que nous connaissons sa pensée. Il ne reste en effet pratiquement rien de l'œuvre considérable d'Épicure. ( ... )
L'œuvre de Lucrèce a été préservée de justesse (deux manuscrits seulement datant du ixe siècle conservés aujourd'hui à Leyde et recopiés d'après les spécialistes à partir d'un même manuscrit remontant au ive ou ve siècle aujourd'hui perdu ), peut-être parce qu'il était poète. Le paradoxe est que Lucrèce a écrit un long poème tout entier consacré à l'exposition de la doctrine épicurienne alors que le maître, qui se méfiait de la poésie, en déconseillait la pratique à ses disciples.

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