“C’était à la fin de l’été 1937 et la reprise post-crise était en train de caler. Le gouvernement américain avait de l’argent à dépenser pour la relance, mais, l’arrivée de l’hiver étant imminente, peu de projets de construction pouvaient être lancés. Il fut donc décidé de créer des bureaux de poste. L’un d’eux était situé à un étage d’un vieil et poussiéreux immeuble industriel new-yorkais, pas loin de Time square. Il était censé accueillir 300 ordinateurs – mais des êtres humains, pas des machines.
Ces ordinateurs produisaient les calculs nécessaires à la création de tableaux mathématiques, un outil de référence alors indispensable à beaucoup de scientifiques. Les calculs étaient complexes et ces ordinateurs, en grande partie recrutés dans les rangs du prolétariat new-yorkais, ne possédaient que les bases des mathématiques. Les mathématiciens en charge du projet travaillèrent donc à la division des calculs en suite d’opérations simples, dont l’accumulation finissait par donner les résultats recherchés. ( ... )
Jusqu’à récemment. Car depuis quelques années, l’informatique humaine est réapparue. La nouvelle génération des ordinateurs humains est en charge de nouvelles tâches, mais ils ressemblent à leurs prédécesseurs par bien des aspects. Ils sont répartis pour remplir des tâches que les ordinateurs ne peuvent pas remplir. Ils sont employés en grand nombre et sont organisés en chaines de travail rationalisées. Et, comme c’était le cas avant l’ère des ordinateurs électroniques, les fruits de leur travail sont combinés pour générer des résultats qui pourraient difficilement être produits autrement. ( ... )
Mais le meilleur reste à venir. Dans les bureaux de calcul d’antan, les chaînes étaient coordonnées par des cadres, souvent des mathématiciens, qui avaient travaillé à la manière de déconstruire les calculs complexes auxquels les ordinateurs humains allaient s’attaquer. Aujourd’hui ce sont des contremaîtres de silicium qui supervisent les ordinateurs humains. Ces algorithmes, qui coordonnent les travailleurs branchés sur ces plateformes de travail à la pièce en ligne, sont assez nouveaux et susceptibles de devenir de plus en plus sophistiqués. Les chercheurs sont par exemple en train de créer un logiciel qui permette plus facilement d’assigner les tâches aux travailleurs – ou, pour le dire autrement, de programmer les humains. ( ... )
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