lundi 16 mai 2011

" Comment prenons-nous des décisions morales ou éthiques ? "


Nos sentiments viennent en premier et les raisons sont inventées à la volée pour les justifier ou les renier. “Quand il s’agit de prendre des décisions éthiques, nous ne nous basons pas sur la rationalité, mais au contraire, sur nos passions”. 

Nous sommes plus avocats que juge, cherchant à justifier notre conviction.



Jonathan Haidt, l’auteur de L’hypothèse du bonheur, psychologue à l’université de Virginie, est connu pour avoir soutenu que nos jugements moraux sont comme des jugements esthétiques. Quand vous êtes face à un tableau, vous savez généralement instantanément et automatiquement si vous l’aimez. Notre jugement moral fonctionne un peu de cette façon, explique Jonah Lehrer. Nos sentiments viennent en premier et les raisons sont inventées à la volée pour les justifier ou les renier. “Quand il s’agit de prendre des décisions éthiques, nous ne nous basons pas sur la rationalité, mais au contraire, sur nos passions”. Nous sommes plus avocats que juge, cherchant à justifier notre conviction. Notre rationalité est une rationalité de façade, comme le disait Benjamin Franklin : “Il est commode d’être un animal raisonnable, qui sait trouver ou forger une raison, pour justifier tout ce qu’il peut avoir envie de faire !” ( ... )

“Nous sommes des machines pour l’affiliation, nous reconfigurons sans cesse le monde pour qu’il se confirme à nos idéologies partisanes.” ( ... )

Nous avons tendance à avoir peu confiance dans les votes de nos concitoyens, mais nous oublions bien souvent d’appliquer le même scepticisme à notre propre comportement. Selon une étude récente de l’Institut des politiques publiques de Californie seulement 22 % des électeurs ont su identifier la catégorie la plus importante des dépenses de l’Etat lorsqu’elles ont été présentées dans une liste de quatre options (à savoir, l’éducation). Un pourcentage qui est proche du hasard. Les électeurs californiens ont été pires quand il s’est agi de deviner la première source de revenus de l’Etat. Pour la majorité d’entre eux, ce sont les frais d’immatriculation qui constituait la principale part des ressources de la Californie (alors qu’ils ne représentent que 2% des recettes de l’Etat). Comme le concluait l’Institut, les Californiens ne comprennent ni d’où vient l’argent ni où il va.

On pourrait penser que cette inconséquence est surtout le fait des électeurs les moins instruits, de ceux qui ont les plus faibles revenus… Mais cela ne semble pas tout à fait exact, explique The Economist.

Kimberly Nalder professeur à l’université de l’Etat de Californie à Sacramento a étudié les sondages du Field Poll sur la proposition 13. La proposition 13, votée en 1978, est une loi qui applique la même taxe à toutes propriétés, qu’elles soient résidentielles ou commerciales. Une réforme récurrente propose depuis que les activités commerciales soient taxées différemment des résidences, visiblement sans succès. Kimberly Nalder a surtout montré que les gens ne connaissent pas la loi : 1/3 des répondants seulement a su expliquer son principe entre plusieurs propositions. Pire, les plus instruits des répondants se sont avérés être ceux qui se sont le plus trompés à expliquer les domaines d’application de la loi. Contrairement à ce qu’on aurait pu penser, les électeurs en âge de voter en 1978, qui auraient dû être à même de mieux connaitre la loi, se sont avérés être ceux qui la connaissaient le moins, contrairement aux plus jeunes votants. Pire, les électeurs les plus riches se sont avérés les plus mal informés. Plus étonnants encore, les propriétaires (qui bénéficient pourtant de la loi) se sont avérés bien moins informés que les locataires qui ont plus significativement répondu correctement…

La perception d’une loi a plus à voir avec l’intérêt personnel et son propre aveuglement qu’à l’expérience du contenu même de la législation. Pire, l’éducation ne suffit pas à affirmer la sagesse des convictions ! Au contraire ! “L’esprit humain est un merveilleux filtre à information rappelle Jonah Lehrer, apte à bloquer les faits qui contredisent ce que nous aimerions croire”. ( ... )

Pire en apportant une réfutation, bien souvent on ne change pas d’opinion, mais on la conforte. Les politologues Brendan Nyhan et Jason Reifler ont montré à deux groupes de volontaires des documents provenant de l’administration Bush et montrant que l’Irak possédait des armes de destruction massive. L’un des groupes à reçu une réfutation, via le rapport Duelfer qui concluait que l’Irak n’avait pas eu d’armes de destruction massive avant l’invasion américaine de 2003. 34 % des conservateurs qui n’ont pas lu la réfutation pensaient que l’Irak avait caché ou détruit ses armes avant l’invasion américaine, mais 64 % des conservateurs qui avaient eu accès à la réfutation pensaient que l’Irak avait vraiment des armes de destruction massive… La réfutation fait parfois pire que la désinformation ! Nyhan et Reifler estiment que les républicains pourraient être plus sujets à l’effet inverse en cas de réfutation, du fait de leurs vues plus “rigides” que les libéraux”. Il est plus difficile pour eux de revenir sur ce qu’ils ont cru. “Il est absolument menaçant d’admettre qu’on a eu tort” reconnaissait déjà le politologue Brendan Nyhan. Les gens changent rarement d’avis, même devant l’évidence des faits. Au contraire, l’information, même contraire à ce qu’ils pensent, les pousse dans les retranchements de leurs convictions.

Assurément, la plus grande menace contre la démocratie est cognitive. Et force est de reconnaître, hélas, que la connaissance n’est pas toujours le meilleur remède contre l’ignorance.

Hubert Guillaud. InternetActu

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