vendredi 24 août 2018

" Emma Watson et le féminisme : son discours pourrait convaincre le pire des machos "

"C'est une question de liberté.Je veux que les hommes prennent le flambeau. Afin que leurs filles, sœurs et mères puissent être libres de tout préjugé, 


mais qu'aussi leurs fils aient la permission d'être vulnérables et humains – réclamant ces parties d'eux-mêmes qu'ils ont abandonnées, et ce faisant, devenant une version plus complète et vraie d'eux-mêmes."

 





 Sobre, simple et efficace. Seule au micro devant les Nations-Unies, la jeune Emma Watson, connue pour son rôle dans "Harry Potter", a prononcé un discours sur l'indispensable lutte pour l'égalité des sexes, chaleureusement applaudi, unanimement salué. Mais comment l'actrice a-t-elle réussi à nous toucher autant ? 


Ceux qui ne croient pas au pouvoir des discours devraient prélever 10 minutes de leur temps pour écouter celui qu’Emma Watson a prononcé dimanche devant l’Assemblée Générale des Nations-Unies à New York.

Dans cette usine à discours, les vœux pieux se succèdent à la tribune à un rythme soutenu avant d’aller s’évaporer au-dessus de l’East River. Mais pas toujours. Et pas ce 21 septembre ( 2014 ), quand la jeune actrice a parlé.

Ambassadrice de ONU-Femmes, Emma Watson lançait la campagne "He For She" (Lui pour Elle), campagne d’un type nouveau à l’ONU destinée à sensibiliser les hommes à l’inégalité des genres.

Tout naturellement, l’organisation avait demandé à l’actrice britannique, jeune, moderne et mondialement célèbre depuis Harry Potter, de porter la cause. Et elle l’a fait, au-delà de ce que les organisateurs avaient osé espérer, sans doute. Un discours qui donne toute sa crédibilité à la campagne car il en a donné le ton juste : habité, sincère, simple et offert comme une main tendue.

La grande classe

De la mare aux vulgarités où tant de jeunes artistes pataugent en remuant des fesses, elle émerge tel un lotus, sobre, droite, de blanc vêtue (vêtue, donc), sans apprêt, gracieuse comme peut l’être une jeune femme de 24 ans quand elle ne s’adresse pas aux hormones des hommes mais à leurs émotions et à leur raison.

Elle est en parfaite harmonie avec le sujet de son intervention : la dignité au féminin.

Elle capte comme l'Abbé Pierre

Classiquement, les premiers mots d’un discours ont pour mission d’attirer la bienveillance du public, la fameuse captatio benevolentiae rhétorique. Et quoi de mieux, pour le capter ce public que d’en appeler à lui directement ? 

"Je vous tends la main, parce que nous avons besoin de votre aide. Nous voulons mettre fin à l’inégalité des sexes. Et pour cela ce nous avons besoin que tout le monde s’implique."

L’abbé Pierre avait choisi cette même "exorde" pour son appel historique en faveur des sans-abris lors du rude hiver 1954 :

"Mes amis, au secours."

De plus, l’interpellation du public est particulièrement judicieuse ici, puisqu’il s’agit d’impliquer dans le combat des femmes ceux qui ne se considèrent pas concernés a priori :

"Nous essayons de galvaniser le plus grand nombre possible d’hommes et de garçons pour qu’ils deviennent les avocats du changement. Et nous ne voulons pas juste en parler, nous voulons le rendre tangible."

Elle rassure comme Nelson Mandela

Les esprits à conquérir sont ceux des hommes. Il ne sert à rien de les culpabiliser, cela ne servirait qu’à leur faire peur. Et à activer leurs défenses.

Emma Watson adopte une stratégie beaucoup plus fine : les rassurer. Je suis avec vous :

"Je suis ambassadrice depuis 6 mois. Plus j’ai parlé de féminisme, plus j’ai réalisé que la lutte pour les droits des femmes est trop souvent devenu synonyme de haine des hommes. Et s’il y a une chose dont je suis certaine, c’est que cela doit cesser."

Pour dire la conviction, la diction vient à l’appui des mots, lente, scandée : "ce-la-doit-ces-ser".

Elle rappelle la définition du féminisme :

"La croyance que les hommes et les femmes doivent jouir des mêmes droits et des mêmes opportunités."

Elle adopte la même stratégie – la seule payante à vrai dire – que les grands avocats de la cause des noirs, confrontés au même type de peur, celle des blancs, qu’il fallait rassurer avant de poser l’exigence d’égalité.

Nelson Mandela, 1964 :

"Je me suis battu contre la domination blanche. Je me suis battu contre la domination noire."

Un récit de soi sobre et émouvant

Pas de discours puissant sans un ethos affirmé, un récit de soi, un engagement personnel.

Emma Watson est féministe. Elle le dit.  Elle est économe de ses mots mais ne tourne pas autour. Une simple gradation (quatre âges, quatre exemples) dit tout de sa vision du destin des filles :

"À 8 ans, on disait que j’étais 'autoritaire' parce que je voulais mettre en scène la pièce qu’on présentait à nos parents. On ne disait pas ça des garçons ;

À 14 ans, j’ai commencé à être sexualisée par certains médias ;

à 15 ans, mes amies ont arrêté leur sport préféré par peur de prendre des muscles ;

à 18 ans, mes amis de sexe masculin étaient incapables d’exprimer leurs sentiments."

Et de sa prise de conscience :

"J’ai décidé que j’étais féministe"

L’extrême sobriété de l’expression, en contraste avec la charge émotionnelle des mots dans leur simplicité, fait de ce passage un des plus émouvants du discours.

Elle énonce son féminisme en s’appuyant sur les désormais célèbres anaphores :

"Je pense qu'il est juste, en tant que femme, d'être payée comme mes homologues masculins ;
 Je pense qu'il est juste de pouvoir prendre des décisions au sujet de mon propre corps ;
 Je pense qu'il est juste que les femmes participent en mon nom à la politique et aux prises de décision de mon pays ;
 Je pense qu'il est juste que socialement je bénéficie du même respect que les hommes."

Elle tend la main

Elle sait et dit que le mot est "impopulaire". Alors elle, elle continue de tendre la main même à ceux que son plaidoyer pour le féminisme n’aurait pas convaincus :

"Et si vous détestez toujours le mot, dites-vous que ce n'est pas le mot qui est important, mais l'idée et l'ambition derrière lui."

Mais si, les mots comptent et agissent sur le réel. Emma Watson le sait si bien qu’en réalité, elle vient d’attribuer au mot "féminisme" la place d’honneur d’une grande campagne consensuelle de l’ONU.

Par ce mot, prononcé par une jeune actrice universellement admirée, répété à une tribune universelle, elle a fait franchir un nouveau pas à la cause des femmes.

Françoise Héritier l'a convaincue

L’anthropologue Françoise Héritier nota un jour : "Ça doit être fatigant d’être viril tous les jours." Emma Watson en est convaincue la libération des femmes est aussi la libération des hommes :

"Nous ne parlons pas souvent du fait que les hommes sont emprisonnés dans des stéréotypes de genre, mais je peux voir que c'est le cas, et s'ils en sont libérés, les choses changeront naturellement pour les femmes."

L’oratrice avait commencé par une interpellation, elle termine par une interpellation :

"Je veux que les hommes prennent leurs responsabilités. Afin que leurs filles, sœurs et mères puissent être libres de tout préjugé, mais aussi pour que leurs fils aient le droit d'être vulnérables et humains aussi."

Star mondiale, Emma Watson est restée droite tout au long du discours, sobre. Mais le petit tremblement dans la voix disait combien le sujet la portait. Et il faut être un sacré macho pour ne pas être devenu, ce jour-là, un peu féministe.







http://leplus.nouvelobs.com/contribution/1243373-discours-d-emma-watson-sur-le-feminisme-une-rhetorique-entre-l-abbe-pierre-et-mandela.html






" Comment peut-on changer le monde si seulement la moitié de celui-ci est invitée ou se sent légitime à participer à la conversation ?

Messieurs – J'aimerais saisir cette occasion pour vous donner votre invitation officielle. L'égalité des sexes est votre problème aussi.

Car à ce jour, j'ai vu le rôle de parent de mon père moins valorisé par la société, alors que j'avais autant besoin de sa présence que de celle de ma mère lorsque j'étais enfant.J'ai vu des jeunes garçons souffrant de maladies mentales incapables de demander de l'aide, ayant peur que cela les fasse apparaître moins « macho » - d'ailleurs au Royaume-Uni, le suicide est la plus grande cause de mortalité des hommes entre 20 et 49 ans ; éclipsant les accidents de la route, le cancer et l'insuffisance coronarienne. 

J'ai vu des hommes rendus fragiles et anxieux par une perception déformée de ce qui constitue le succès masculin. Les hommes non plus n'ont pas les avantages de l'égalité.On ne parle pas souvent des hommes emprisonnés dans les stéréotypes de genre, mais je peux voir qu'ils le sont, et que quand ils seront libres, la conséquence naturelle est que les choses changeront aussi pour les femmes.

Si les hommes n'ont pas besoin d'être agressifs afin d'être acceptés, les femmes ne se sentiront plus contraintes d'être soumises. Si les hommes n'ont pas à contrôler, les femmes n'auront plus à être contrôlées.Les hommes comme les femmes devraient se sentir libres d'être sensibles. Les hommes comme les femmes devraient se sentir libre d'être forts... 

Il est temps que nous percevions le genre sur tout un spectre et non pas comme deux ensembles d'idéaux opposés.Si nous arrêtons de nous définir les uns les autres par ce que nous ne sommes pas, et que nous commençons à nous définir par ce que nous sommes – nous pourrons tous être plus libres, et c'est à ça que sert HeForShe. 

C'est une question de liberté.Je veux que les hommes prennent le flambeau. Afin que leurs filles, sœurs et mères puissent être libres de tout préjugé, mais qu'aussi leurs fils aient la permission d'être vulnérables et humains – réclamant ces parties d'eux-mêmes qu'ils ont abandonnées, et ce faisant, devenant une version plus complète et vraie d'eux-mêmes.

Vous pensez peut-être, qui est cette fille d'« Harry Potter » ? Et que fait-elle sur scène à l'ONU ? C'est une bonne question et croyez-moi, je me la suis moi-même posée. Je ne sais pas si je suis qualifiée pour être ici. Tout ce que je sais c'est que je me soucie de ce problème. Et que je veux améliorer ça.Et après avoir vu ce que j'ai vu – et ayant cette opportunité – je sens qu'il est de ma responsabilité de dire quelque chose. 

Comme l'a dit l'homme d'État anglais Edmund Burke : « Tout ce dont les forces du mal ont besoin pour triompher est que suffisamment d'hommes et de femmes bons ne fassent rien. »

En ayant le trac pour ce discours, et dans mes moments de doute, je me suis fermement demandé – si ce n'est pas moi, qui ? Si ce n'est pas maintenant, quand ? Si vous avez des doutes similaires quand des occasions se présenteront à vous, j'espère que ces mots pourront être utiles. (...) "



















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24 preuves qu'Emma Watson est la star la plus badass de sa génération

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vendredi 10 août 2018

"Le jeune président de la Start-up Nation était en fait un vieux con comme les autres."

Pour que l'humiliation soit totale, pour qu'elle achève de bâillonner les rêves et de cisailler la colère à la racine, il fallait lui montrer, à cette jeunesse, à quel point la vie était injuste et précaire et qu'elle l'accepte comme une norme raisonnable. 
Que l'envie même de la colère lui soit ôtée. Et pour cela rien de mieux que la stochastique, l'aléatoire, l'irrégularité, le brouillage des repères, des quelques repères restants, et la mise en concurrence.

Et puis il y eut #Parcoursup. Alors là j'avoue qu'au delà de l'algorithme tout moisi, en plus de faire bien pire que le déjà sinistre APB, ma sidération fut totale. Tout le monde savait que la fin de la hiérarchisation des voeux allait causer un bordel innommable. Tout le monde l'avait expliqué et démontré. En tout cas tous les gens sérieux. Mais je ne comprenais pas. Je ne comprenais pas qu'un gouvernement et un ministère puissent en toute connaissance de cause assumer le fait que sur les 750 000 lycéens de terminale, plus de 400 000 d'entre eux soient "en attente" ou "sans affectation" alors que le démarrage des épreuves du bac était fixé au 8 juin. 

Je ne comprenais pas davantage, sauf à vouloir littéralement mettre le feu aux lycées et à la jeunesse, que ce même gouvernement assume et revendique l'éventuel déblocage de places en université "au fil de l'eau" : c'est à dire qu'il puisse choisir de distiller le stress au jour le jour pour que cette jeunesse là n'ait jamais de répit. Et puis d'un coup j'ai compris. La logique du truc m'est apparue.

J'ai compris que le projet politique de notre jeune président était de semer une graine : celle de l'humiliation quotidienne, celle de l'intranquillité permanente qui fait grandir la résignation qui, à son tour, façonnera le corps et l'âme de la chair à Managers dont a besoin le patronat. Et puis bien sûr, la graine de la concurrence. Toujours mettre les gens en concurrence.

Le lendemain des résultats de Parcoursup il y eut des classes entières de terminale où aucun, je dis bien aucun lycéen n'avait autre chose que "refusé" ou "en attente". Je vous laisse juste imaginer l'ambiance et la tête du prof y débarquant le matin. Et si l'imagination vous fait défaut alors allez voir sur Twitter, sur Facebook, ou dans les journaux. 

Donnez-moi les explications que vous voudrez mais les faits sont têtus : plus de la moitié d'une classe d'âge s'est trouvée, à 15 jours de l'examen du baccalauréat, avec un avenir qui indiquait "refusé" ou "en attente". On n'est pas sérieux quand on a 17 ans. Mais l'on n'a pas davantage envie d'être "refusé" ou "en attente" comme seule alternative sérieuse.  

Mais cela n'était pas suffisant. Pour que l'humiliation soit totale, pour qu'elle achève de bâillonner les rêves et de cisailler la colère à la racine, il fallait lui montrer, à cette jeunesse, à quel point la vie était injuste et précaire et qu'elle l'accepte comme une norme raisonnable. Que l'envie même de la colère lui soit ôtée. Et pour cela rien de mieux que la stochastique, l'aléatoire, l'irrégularité, le brouillage des repères, des quelques repères restants, et la mise en concurrence.(...)

 Ce pari de l'humiliation de la jeunesse, s'il était mené à son terme, serait une victoire éclatante : la victoire des managers. Car toute cette histoire n'est rien d'autre qu'un conditionnement, une préparation aux formes routinières de management par le stress qui attend cette jeunesse et que réclame le Medef.

Comme dans tout pari osé bien sûr il y avait un risque. Le risque d'une rébellion. Et que cette rébellion prenne. Toute étincelle si faible qu'elle soit devait immédiatement être douchée. 

Ils sont une vingtaine de lycéens et de lycéennes, tous et toutes mineur(e)s, à avoir passé 48 heures en garde à vue et à être aujourd'hui mis en examen. A 17 ans. Motif ? Refus de résignation. Refus d'humiliation. Refus du bâillon. Ils ont, avec des adultes dont certains sont enseignants, osé tenté d'occuper un lycée parisien. Je dis bien "tenté d'occuper". Pacifiquement qui plus est. Le jeune président et son ministre de l'intérieur cacochyme, mais le jeune président avant tout, a collé en garde à vue et mis en examen plus d'une vingtaine de lycéens mineurs parce qu'ils ont voulu manifester leur sentiment d'humiliation devant une machinerie sociale qui craque de toute part et où chaque repère est patiemment foutu en l'air par une agitation qui se veut "réformatrice" et qui n'est que destructrice. 

On n'est pas sérieux quand on a 17 ans. On n'est pas sérieux, on n'est pas en garde à vue, on n'est pas mis en examen. La honte et la colère que je ressens ce soir n'est pas prête de s'éteindre. Mais ma colère ne compte pas.

Le jeune président est avant tout un vieux con, certain de son pouvoir, mais qui a peur. Réprimer la jeunesse pour l'exemple n'a jamais été une marque de fermeté mais le signe d'un vieux con apeuré. Qui a peur de la jeunesse, de toutes les jeunesses, qu'elles soient dans les idées ou dans les corps. Alors il noie quelques Zadistes sous des tombereaux de grenades. Alors il met en garde à vue et en examen des lycéen(ne)s. Alors il dit les yeux dans les yeux à 400 000 lycéens : apprenez à avoir peur de l'avenir, apprenez à attendre, apprenez à vous soumettre aux désirs et aux choix des premiers de cordée qui demain seront vos managers, apprenez à vous résigner, apprenez à renoncer. Pour y parvenir mieux il traîne avec lui un Gérard Collomb dont la jouissance cacochyme ne tient qu'à l'illusion qu'il a d'être autre chose qu'une place manquante en EHPAD et dont le nom est moins un patronyme qu'une métonymie digestive mal orthographiée.

Le jeune président, c'est à porter à son crédit, n'a jamais prétendu être le président des jeunes. Il est désormais, pour une immense partie de la jeunesse, devenu ce qu'il n'avait jamais finalement cessé d'être : juste un vieux con de plus.

Et comme tous les vieux cons qui l'ont précédé dans ces fonctions, son avenir à lui n'est ni "en attente" ni "refusé". On raconte qu'il était plutôt sérieux quand il avait 17 ans. Et qu'il a eu ses tilleuls verts, et sa promenade. S'il s'imagine Rimbaud rappelons-lui qu'il n'est qu'un Créon. Et qu'il prend le risque de fabriquer une génération d'Antigone.
Et que nous ne le laisserons pas faire.