mardi 19 janvier 2016

" Comment tout peut s’effondrer " – La fin des énergies industrielles (et le mythe des renouvelables)

Une société qui a pris la voie de l’exponentielle a besoin que la production et la consommation d’énergie suivent cette même voie. Autrement dit, pour maintenir notre civilisation en état de marche, il faut sans cesse augmenter notre consommation et notre production d’énergie. Or, nous arrivons à un pic.


« Nous n’avons pas mis fin à la croissance, la nature va s’en charger », par Dennis Meadows



Un pic désigne le moment où le débit d’extraction d’une ressource atteint un plafond avant de décliner inexorablement. C’est bien plus qu’une théorie, c’est une sorte de principe géologique : au début, les ressources extractibles sont faciles d’accès, la production explose, puis stagne et enfin décline lorsqu’il ne reste plus que les matières difficiles d’accès, décrivant ainsi une courbe en cloche . Le haut de la courbe, le moment du pic, ne signifie pas un épuisement de la ressource, mais plutôt le début du déclin.




Or, nous sommes arrivés en haut de la courbe de production de pétrole conventionnel. De l’aveu même de l’Agence internationale de l’énergie, réputée pour son optimisme en matière de réserves pétrolières, le pic mondial de pétrole conventionnel, soit 80 % de la production pétrolière, a été franchi en 2006. Nous nous trouvons depuis lors sur un « plateau ondulant ». Passé ce plateau, la production mondiale de pétrole commencera à décliner.
Selon les statistiques les plus récentes, la moitié des vingt premiers pays producteurs, représentant plus des trois quarts de la production pétrolière mondiale, ont déjà franchi leur pic, parmi lesquels les États-Unis, la Russie, l’Iran, l’Iraq, le Venezuela, le Mexique, la Norvège, l’Algérie et la Libye. Dans les années 1960, pour chaque baril consommé, l’industrie en découvrait six. Aujourd’hui, une technologie de plus en plus performante, le monde consomme sept barils pour chaque baril découvert.
Dans une synthèse scientifique publiée en 2012, des chercheurs britanniques concluent que « plus des deux tiers de la capacité actuelle de production de pétrole brut devra être remplacée d’ici à 2030, simplement pour maintenir la production constante. Compte tenu de la baisse à long terme des nouvelles découvertes, ce sera un défi majeur, même si les conditions [politiques et socio-économiques] s’avèrent favorables ». Ainsi, d’ici une quinzaine d’années, pour se maintenir, l’industrie devra donc trouver un flux de 60 millions de barils/jour, soit l’équivalent de la capacité journalière de six Arabie Saoudite !

 Les connaissances sur l’état des réserves se précisent, et un nombre croissant de multinationales, de gouvernements, d’experts et d’organisations internationales deviennent pessimistes quant à l’avenir de la production. Les auteurs de la précédente étude concluent : «une baisse soutenue de la production mondiale de pétrole conventionnel semble probable avant 2030 et il existe un risque important que cela débute avant 2020 », un constat que partagent des rapports financés par le gouvernement anglais, et les armées américaine et allemande. En bref, un consensus est en train de naître sur le fait que l’ère du pétrole facilement accessible est révolue et que nous entrons dans une nouvelle époque.

La situation pétrolière est si tendue que de nombreux dirigeants d’entreprise tirent la sonnette d’alarme. En Grande- Bretagne, un consortium de grandes entreprises, l’ITPOES (The UK Industry Task Force on Peak Oil and Energy Security), écrivait dans son rapport de février 2010 : « Comme nous atteignons des taux maximaux d’extraction nous devons être capables de planifier nos activités dans un monde où les prix du pétrole sont susceptibles d’être à la fois élevés et plus instables et où les chocs des prix du pétrole ont le potentiel de déstabiliser l’activité économique, politique et sociale. »
Pour certains observateurs plus optimistes, au contraire, les estimations concluant à un « pic » seraient basées sur des quantités maximales extractibles bien trop alarmistes. Un groupe de chercheurs s’est donc penché sur cette controverse en comparant un éventail de scénarios allant des plus optimistes aux plus pessimistes. Résultat, seuls les scénarios considérés comme pessimistes collent aux données réelles observées sur les onze dernières années. L’étude confirmait ainsi l’entrée en déclin irréversible de la production mondiale de pétrole conventionnel.(...)


L' E.I.A. et le pic pétrolier.


http://enuncombatdouteux.blogspot.fr/2010/09/la-fin-des-haricots-l-eia-et-le-pic.html

 Si on récolte moins que ce qu’on investit, cela ne vaut pas la peine de creuser. Ce rapport entre l’énergie produite et l’énergie investie s’appelle le taux de retour énergétique (TRE ou ERoEI en anglais pour Energy Return on Energy Invested).
C’est un point absolument crucial. Après un effort d’extraction, c’est le surplus d’énergie qui permet le développement d’une civilisation. Au début du XXe siècle, le pétrole étasunien avait un fantastique TRE de 100:1 (pour une unité d’énergie investie, on en récupérait 100). On creusait à peine, le pétrole giclait. En 1990, il n’était plus que de 35:1, et aujourd’hui, il est d’environ 11:1. À titre de comparaison, le TRE moyen de la production mondiale de pétrole conventionnel se situe entre 10:1 et 20:1. Aux États-Unis, le TRE des sables bitumineux est compris entre 2:1 et 4:1, des agrocarburants entre 1:1 et 1,6:1 (10:1 dans le cas de l’éthanol fabriqué à base de sucre de canne), et du nucléaire entre 5:1 et 15:1. Celui du charbon est d’environ 50:1 (en Chine, 27:1), du pétrole de schiste d’environ 5:1 et du gaz naturel d’environ 10:1. Tous ces TRE sont non seulement en déclin, mais en déclin qui s’accélère, car il faut toujours creuser de plus en plus profond, aller de plus en plus loin en mer et utiliser des techniques et infrastructures de plus en plus coûteuses pour maintenir le niveau de production. Songez par exemple à l’énergie qu’il faudrait dépenser pour injecter des milliers de tonnes de C02 ou d’eau douce dans les gisements vieillissants, aux routes qu’il faudrait construire et aux kilomètres qu’il faudrait parcourir pour atteindre les zones reculées de Sibérie…
Le concept de TRE ne s’applique pas qu’aux énergies fossiles. Pour obtenir de l’énergie d’une éolienne par exemple, il faut d’abord dépenser de l’énergie pour rassembler tous les matériaux qui servent à leur fabrication, puis les fabriquer, les installer et les entretenir. Aux États-Unis, le solaire à concentration (les grands miroirs dans le désert) offrirait un rendement autour de 1,6:1. Le photovoltaïque en Espagne, autour de 2,5:1. Quant à l’éolien, il afficherait un bilan à première vue plus encourageant d’environ 18:1. Malheureusement, ces chiffres ne tiennent pas compte du caractère intermittent de ce type d’énergie et de la nécessité d’y adosser un système de stockage ou une centrale électrique thermique. Si on tient compte de cela, le TRE des éoliennes redescendrait à 3,8 :1. Seule l’hydroélectricité offrirait un rendement confortable situé entre 35:1 et 49:1. Mais outre le fait que ce type de production perturbe sérieusement les habitats naturels, une étude récente a montré que les 3 700 projets en cours ou planifiés dans le monde n’augmenteraient la production électrique mondiale que de 2 % (de 16 à 18 %).
En résumé, les énergies renouvelables n’ont pas assez de puissance pour compenser le déclin des énergies fossiles, et il n’y a pas assez d’énergies fossiles (et de minerais) pour développer massivement les énergies renouvelables de façon à compenser le déclin annoncé des énergies fossiles. Comme le résume Gail Tverberg, actuaire et spécialiste de l’économie de l’énergie, « on nous dit que les renouvelables vont nous sauver, mais c’est un mensonge. L’éolien et le solaire photovoltaïque font autant partie de notre système basé sur les énergies fossiles que n’importe quelle autre source d’électricité ».(...)

En fait, il est inimaginable de remplacer le pétrole par les autres combustibles que nous connaissons bien. D’une part parce que ni le gaz naturel, ni le charbon, ni le bois, ni l’uranium ne possèdent les qualités exceptionnelles du pétrole, facilement transportable et très dense en énergie. D’autre part parce que ces énergies s’épuiseraient en un rien de temps, à la fois parce que la date de leur pic approche, et surtout parce que la plupart des machines et des infrastructures nécessaires à leur exploitation fonctionnent au pétrole. Le déclin du pétrole entraînera donc le déclin de toutes les autres énergies. Il est donc dangereux de sous- estimer l’ampleur de la tâche à accomplir pour compenser le déclin du pétrole conventionnel.
Mais ce n’est pas tout. Les principaux minerais et métaux empruntent la même voie que l’énergie, celle du pic. Une étude récente a évalué la rareté de 88 ressources non-renouvelables et la probabilité qu’elles se trouvent en situation de pénurie permanente avant 2030. Parmi les probabilités élevées, on retrouve l’argent, indispensable à la fabrication des éoliennes, l’indium composant incontournable pour certaines cellules photovoltaïques, ou le lithium que l’on retrouve dans les batteries. Et l’étude de conclure : « ces pénuries auront un impact dévastateur sur notre mode de vie ». Dans la même veine, on voit apparaître ces derniers mois des estimations du pic du phosphpre58 (indispensable engrais de l’agriculture industrielle), des pêcheries59 ou même de l’eau potable60. Et la liste pourrait aisément s’allonger. Comme l’explique le spécialiste des ressources minérales Philippe Bihouix dans L’Age des low tech, « nous pourrions nous permettre des tensions sur l’une ou l’autre des ressources, énergie ou métaux. Mais le défi est que nous devons maintenant y faire face à peu près en même temps : [il n’y a] plus d’énergie nécessaire pour les métaux les moins concentrés, [il n’y a] plus de métaux nécessaires pour une énergie moins accessible ». Nous approchons donc rapidement de ce que Richard Heinberg appelle le « pic de tout » (peak everything). Souvenez-vous de la surprenante exponentielle : une fois les conséquences visibles, tout n’est qu’une question d’années, voire de mois.(...)

Sans une économie qui fonctionne, il n’y a plus d’énergie facilement accessible. Et sans énergie accessible, c’est la fin de l’économie telle que nous la connaissons : les transports rapides, les chaînes d’approvisionnement longues et fluides, l’agriculture industrielle, le chauffage, le traitement des eaux usées, Internet, etc. Or l’histoire nous montre que les sociétés sont vite déstabilisées quand les estomacs grondent Lors de la crise économique de 2008, l’augmentation spectaculaire des prix alimentaires avait provoqué des émeutes de la faim dans pas moins de 35 pays…
Dans son dernier livre, l’ancien géologue pétrolier et conseiller énergétique du gouvernement britannique, Jeremy Leggett, a identifié cinq risques systémiques mondiaux liés directement à l’énergie et qui menacent la stabilité de l’économie mondiale : l’épuisement du pétrole, les émissions de carbone, la valeur financière des réserves d’énergies fossiles, les gaz de schiste, et le secteur financier. « Un choc impliquant un seul de ces secteurs serait capable de déclencher un tsunami de problèmes économiques et sociaux, et, bien sûr, il n’existe aucune loi de l’économie qui stipule que les chocs ne se manifestent que dans un secteur à la fois. » Nous vivons donc probablement les derniers toussotements du moteur de notre civilisation industrielle avant son extinction.



http://partage-le.com/2015/04/comment-tout-peut-seffondrer-la-fin-des-energies-industrielles-et-le-mythe-des-renouvelables/