mardi 14 décembre 2010

" Modeste proposition " par Jonathan Swift ( 1759 )




Modeste proposition
pour empêcher les enfants des pauvres en Irlande
d’être à charge à leurs parents et à leur pays
et pour les rendre utiles au public








C’est une triste chose pour ceux qui se promènent dans cette grande ville ou voyagent dans la campagne, que de voir les rues, les routes et les portes des cabanes encombrées de mendiantes que suivent trois, quatre ou six enfants tous en haillons et importunant chaque passant pour avoir l’aumône. ( ... )

Restent par an cent vingt mille enfants qui naissent de parents pauvres. La question est donc : Comment élever cette multitude d’enfants et pourvoir à leur sort ? Ce qui, comme je l’ai déjà dit, dans l’état présent des affaires, est complètement impossible par les méthodes proposées jusqu’ici. Car nous ne pouvons les employer ni comme artisans ni comme agriculteurs. Nous ne bâtissons pas de maisons (à la campagne, j’entends), et nous ne cultivons pas la terre ; il est fort rare qu’ils puissent vivre de vol avant l’âge de six ans, à moins de dispositions toutes particulières, ( ... )

Je proposerai donc humblement mes propres idées qui, je l’espère, ne soulèveront pas la moindre objection.

Un jeune américain de ma connaissance, homme très-entendu, m’a certifié à Londres qu’un jeune enfant bien sain, bien nourri, est, à l’âge d’un an, un aliment délicieux, très-nourrissant et très-sain, bouilli, rôti, à l’étuvée ou au four, et je ne mets pas en doute qu’il ne puisse également servir en fricassée ou en ragoût. ( ... )

que les cent mille restant peuvent, à l’âge d’un an, être offerts en vente aux personnes de qualité et de fortune dans tout le royaume, en avertissant toujours la mère de les allaiter copieusement dans le dernier mois, de façon à les rendre dodus et gras pour une bonne table. Un enfant fera deux plats dans un repas d’amis ; et quand la famille dîne seule, le train de devant ou de derrière fera un plat raisonnable, et assaisonné avec un peu de poivre et de sel, sera très-bon bouilli le quatrième jour, spécialement en hiver.

J’ai fait le calcul qu’en moyenne un enfant qui vient de naître pèse vingt livres, et que dans l’année solaire, s’il est passablement nourri, il ira à vingt-huit.

J’accorde que cet aliment sera un peu cher, et par conséquent il conviendra très-bien aux propriétaires, qui, puisqu’ils ont déjà dévoré la plupart des pères, paraissent avoir le plus de droits sur les enfants. ( ... )

Qu’on ne me parle donc pas d’autres expédients : de taxer nos absentees à cinq shillings par livre ; de n’acheter ni vêtements, ni meubles qui ne soient de notre crû et de nos fabriques ; de rejeter complètement les matières et instruments qui encouragent le luxe étranger ; de guérir nos femmes des dépenses qu’elles font par orgueil, par vanité, par oisiveté et au jeu ; d’introduire une veine d’économie, de prudence et de tempérance ; ( ... )

Je déclare, dans la sincérité de mon cœur, que je n’ai pas le moindre intérêt personnel à poursuivre le succès de cette œuvre nécessaire, n’ayant d’autre motif que le bien public de mon pays, que de faire aller le commerce, assurer le sort des enfants, soulager les pauvres, et procurer des jouissances aux riches. Je n’ai plus d’enfant dont je puisse me proposer de tirer un sou, le plus jeune ayant neuf ans, et ma femme n’étant plus d’âge à en avoir.

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Les Voyages de Gulliver

mercredi 1 décembre 2010

"Éloge de la Folie" par Érasme (1509)


Vous voyez que sans moi, jusqu’à présent, aucune société n’a d’agrément, aucune liaison n’a de durée. Le peuple ne supporterait pas longtemps son prince, le valet son maître, la suivante sa maîtresse, l’écolier son précepteur, l’ami son ami, la femme son mari, l’employé son patron, le camarade son camarade, l’hôte son hôte, s’ils ne se maintenaient l’un l’autre dans l’illusion, s’il n’y avait entre eux tromperie réciproque, flatterie, prudente connivence, enfin le lénifiant échange du miel de la Folie.


Nos ingénieux contradicteurs viennent nous dire que la connaissance des Sciences est donnée à l’homme pour que son intelligence compense ce que lui refuse la Nature. Comme s’il était vraisemblable que la Nature, si vigilante pour les moucherons et même pour les plantes et les fleurs, sommeillât seulement pour l’homme, en lui imposant de recourir aux Sciences inventées à son dam par Theuth, l’ennemi du genre humain ! Elles sont, en effet, si peu utiles au bonheur qu’elles ne servent même pas à réaliser le bien qu’on attend de chacune d’elles, comme le prouve élégamment dans Platon un roi fort sensé, à propos de l’invention de l’écriture. Les Sciences ont fait irruption dans l’humanité avec le reste de ses fléaux ; elles proviennent des auteurs de toutes les mauvaises actions, c’est- à-dire des démons, dont le nom même, en grec, signifie qu’ils sont savants. ( ... )


Les vivants qui obéissent à la Sagesse sont de beaucoup les moins heureux. Par une double démence, oubliant qu’ils sont nés hommes, ils veulent s’élever à l’état des Dieux souverains et, à l’exemple des Géants, munis des armes de la science, ils déclarent la guerre à la Nature. ( ... )

Après eux s’avancent les Philosophes, respectables par la barbe et par le manteau, et qui se déclarent les seuls sages, voyant dans le reste de l’humanité des ombres flottantes. Quels délicieux transports, lorsqu’ils édifient des mondes innombrables, mesurent du doigt et du fil le soleil, la lune, les étoiles, les sphères, lorsqu’ils expliquent sans hésiter la foudre, les vents, les éclipses et autres choses inexplicables, comme s’ils étaient confidents de la Nature constructrice du monde et délégués du conseil des Dieux ! La Nature cependant se rit magnifiquement d’eux et de leurs conjectures, car ils n’ont rien pris à bonne source, et les discussions sans fin qu’ils soutiennent sur toute chose en font largement la preuve. ( ... )

L’Église chrétienne ayant été fondée par le sang, confirmée par le sang, accrue par le sang, ils continuent à en verser, comme si le Christ ne saurait pas défendre les siens à sa manière. La guerre est chose si féroce qu’elle est faite pour les bêtes et non pour les hommes ; c’est une démence envoyée par les Furies, selon la fiction des poètes, une peste qui détruit les mœurs partout où elle passe, une injustice, puisque les pires bandits sont d’habitude les meilleurs guerriers, une impiété qui n’a rien de commun avec le Christ. Les Papes, cependant, négligent tout pour en faire leur occupation principale. On voit parmi eux des vieillards décrépits y porter l’ardeur de la jeunesse, jeter l’argent, braver la fatigue, ne reculer devant rien pour mettre sens dessus dessous les lois, la religion, la paix, l’humanité tout entière. Ils trouveront ensuite maint docte adulateur pour décorer cette évidente aberration du nom de zèle, de piété, de courage, pour démontrer par raisonnement comment on peut dégainer un fer meurtrier et le plonger dans les entrailles de son frère, sans manquer le moins du monde à cette charité parfaite que le Christ exige du chrétien envers son prochain. ( ... )

Eloge de la Folie

samedi 20 novembre 2010

" Fermons les prisons ! " Par Loïc Wacquant


Là où la gauche dite « plurielle » pratiquait une pénalisation de la misère honteuse et larvée, la droite républicaine assume son choix d’endiguer les désarrois et les désordres sociaux qui s’accumulent dans les quartiers de relégation minés par le chômage de masse et l’emploi flexible en déployant l’appareil répressif avec vigueur et emphase. 

Faire de la lutte contre la délinquance de rue un spectacle moral permanent permet en effet de réaffirmer symboliquement l’autorité de l’Etat au moment même où celui-ci se rend impotent sur le front économique et social.

( … ) Aberration, tout d’abord, parce que l’évolution de la criminalité en France ne justifie en rien l’essor fulgurant de sa population carcérale après la décrue modérée de 1996-2001. Les cambriolages, vols de véhicules et vols à la roulotte (qui constituent les trois quarts des crimes et délits enregistrés par les autorités) diminuent tous régulièrement depuis 1993 au moins ; les homicides et coups mortels refluent depuis 1995, d’après les données de la police, et depuis 1984 selon les relevés de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) ; les vols avec violence, qui obnubilent les grands médias, outre qu’ils se composent principalement de « violences » verbales (insultes, menaces), sont en recul depuis vingt ans (2).

( … ) Le même « effet d’entonnoir » s’observe dans le fonctionnement de la justice pénale en France, où moins de 2 % des contentieux portés devant les parquets donnent lieu à une peine d’enfermement. C’est dire si la prison est inadaptée à lutter contre la petite et moyenne délinquance, et à plus forte raison contre les « incivilités », dont la plupart ne relèvent même pas du code pénal (regards de travers, insultes, bousculades, rassemblements et chahuts dans les lieux publics, petites dégradations, etc.).

( … ) Il ne s’agit pas ici de nier la réalité de la criminalité ni la nécessité de lui donner une réponse, ou plutôt des réponses, y compris pénale quand cette dernière est appropriée. ( … ) Ce débat doit d’abord préciser pourquoi il se focalise sur telle ou telle des manifestations de la délinquance – sur les cages d’escalier des cités plutôt que sur les couloirs des hôtels de ville, les vols de cartables et de portables plutôt que sur les malversations boursières et les infractions au code du travail ou des impôts, etc. (7).

(7) En 1996, la fraude fiscale et douanière pesait 100 milliards de francs, celle aux cotisations sociales plus de 17 milliards, les contrefaçons environ 25 milliards de francs. Par ailleurs, la contre-valeur monétaire des atteintes volontaires à la vie était évaluée à 11 milliards de francs, à 4 milliards de francs pour les vols de véhicules, et à 250 millions de francs pour les vols en magasin. Dans Christophe Paille et Thierry Godefroy, Coûts du crime. Une estimation monétaire des infractions en 1996, Cesdip, Guyancourt, 1999.

( … ) La prison n’est pas un simple bouclier contre la délinquance, mais une arme à double tranchant : un organisme de coercition à la fois criminophage et criminogène qui, lorsqu’il se développe à l’excès, comme aux Etats-Unis durant le dernier quart de siècle ou en Union soviétique à l’ère stalinienne, en vient à se muer en vecteur autonome de paupérisation et de marginalisation.

Loïc Wacquant. Le Monde Diplomatique.

Sur quelques contes sécuritaires venus d’Amérique

( … ) Le dernier mythe sécuritaire planétaire venu d’Amérique est l’idée selon laquelle la politique de tolérance zéro jugée responsable du succès policier de New York s’appuierait sur une théorie criminologique scientifiquement validée, la fameuse « théorie de la vitre brisée ». Celle-ci postule que la répression immédiate et sévère des moindres infractions sur la voie publique enraye le déclenchement des grandes atteintes criminelles en y (r)établissant un sain climat d’ordre - arrêter les voleurs d’œufs permettrait de stopper les tueurs de bœufs potentiels. ( … )

le reflux de la criminalité violente est tout aussi net dans les villes qui n’appliquent pas la politique dite de tolérance zéro, y compris celles qui, optant pour une approche opposée, s’emploient à établir des rapports suivis avec les habitants de manière à prévenir les atteintes plutôt que de les traiter par la répression pénale à outrance. A San Francisco, une politique d’orientation des jeunes délinquants vers des programmes de formation, de conseil et de traitement social et médical a permis de dégonfler le nombre des entrées en maison d’arrêt de plus de moitié tout en réduisant la criminalité violente de 33 % entre 1995 et 1999 (contre 26 % à New York, où le volume des admis en détention a augmenté d’un tiers dans l’intervalle). ( … )

Le maître d’œuvre de la politique policière de M. Giuliani se gausse ouvertement de ceux qui croient en l’existence d’un « lien mystique entre les incidents mineurs relevant du désordre et les atteintes criminelles plus graves ». L’idée que la police pourrait faire baisser la criminalité violente en s’attaquant aux incivilités lui semble « pathétique » et il donne une foule d’exemples contraires tirés de son expérience professionnelle. Puis il compare le maire qui adopterait une telle tactique policière à un médecin qui « ferait un lifting à un cancéreux », ou à un chasseur sous-marin qui attraperait des « dauphins plutôt que des requins ».

Loïc Wacquant. Le Monde Diplomatique.

BAN PUBLIC


lundi 15 novembre 2010

" L'homme le plus seul de la planète "




Cet homme est un Indien dont les autorités brésiliennes ont conclu qu'il était le dernier survivant d'une tribu qui n'a jamais eu le moindre contact avec le monde extérieur. 

Ils ont pris connaissance de l'existence de cet homme il y a une quinzaine d'années, et ont lancé pendant dix ans de nombreuses expéditions à sa recherche, afin d'assurer sa sécurité et établir un contact pacifique. En 2007, l'élevage et l'exploitation forestière se rapprochant dangeureusement de son lieu d'habitation, le gouvernement a déclaré propriété privée la zone de 50km² qui entoure sa hutte. ( ... )

Quelques habitants avaient déjà entendu parler de cet homme solitaire en 1996, lorsque les bûcherons du Rondônia, un Etat situé au nord-ouest du pays, ont commencé à faire circuler une rumeur: un sauvage vivrait dans la forêt, et il serait apparemment seul. Les agents de terrain du gouvernement brésilien spécialistes des tribus isolées ont rapidement trouvé une de ses huttes –un minuscule abri de chaume avec un mystérieux trou creusé au milieu. En poursuivant leurs recherches, ils ont découvert que l'homme était en fuite, et qu'il allait de cabane en cabane, les abandonnant à mesure que les bûcherons –et les agents du gouvernement– se rapprochaient. Aucune tribu connue ne vivait comme lui, creusant des trous rectangulaires de plus d'un mètre cinquante de profondeur au milieu des huttes sans but apparent. Il ne semblait être le survivant d'aucune tribu répertoriée. ( ... )

Slate.fr

mardi 9 novembre 2010

L' Avenir Radieux du Transhumanisme


Or nous sommes en train d’abroger toutes les lois – sauf celle du plus fort – et, si nous continuons dans cette funeste direction, nous entrerons dans une cruauté bien plus vive que celle d’avoir à se soumettre à des lois. Nous entrerons dans une cruauté inconnue consistant à vouloir modifier ce corps humain vieux de cent mille ans. Pour tenter d’en bricoler un autre.



Les transhumanistes prônent le droit moral de ceux qui le désirent, de se servir de la technologie pour accroître leurs capacités physiques, mentales ou reproductives et d’être davantage maîtres de leur propre vie. Nous souhaitons nous épanouir en transcendant nos limites biologiques actuelles. ( … )

Le transhumanisme englobe de nombreux principes de l’humanisme moderne et prône le bien-être de tout ce qui éprouve des sentiments qu’ils proviennent d’un cerveau humain, artificiel, posthumain ou animal. Le transhumanisme n’appuie aucun politicien, parti ou programme politique. ( … )

La Déclaration transhumaniste


( …)Nous sommes différents. Nous sommes les premiers mutants.

Nous aimons vivre. Evoluer encore et toujours, plus vite et plus loin. Nous voulons devenir l’origine du futur. Changer la vie, au sens propre et non plus au sens figuré : créer des espèces nouvelles, adopter les clones humains, sélectionner nos gamètes, sculpter le corps et l’esprit, apprivoiser nos germes, dévorer des festins transgéniques, faire don de nos cellules-souches, voir les infrarouges, écouter les ultrasons, sentir les phéromones, cultiver nos gènes, remplacer nos neurones, faire l’amour dans l’espace, débattre avec des robots, tester des états cérébraux modifiés, faire des projets avec notre cerveau reptilien, pratiquer des clonages diversifiants vers l’infini, ajouter de nouveaux sens, vivre vingt ans ou deux siècles, habiter la Lune, terraformer Mars, tutoyer les galaxies ; nous portons en nous le plus civilisé et le plus sauvage, le plus raffiné et le plus barbare, le plus complexe et le plus simple, le plus rationnel et le plus passionné. Tout s’est réuni un matin clair et la mortelle tiédeur des temps passés n’est plus qu’un mauvais souvenir.

Nous sommes les agents secrets de la vie. Elle-même ne le sait pas encore. ( …)

Manifeste des mutants

( … ) Mais à quoi servirait-il de gagner un corps neuf si c’était pour perdre l’esprit ?

La question vaut d’autant plus d’être posée qu’il existe un programme diffus de fabrication d’une « posthumanité ». Ce programme est dissimulé, on ne lui donne guère de publicité. On ne doit pas effrayer les hommes, il ne faut surtout pas qu’ils comprennent qu’on les fait travailler à l’abolition de l’humanité – c’est-à-dire à leur propre disparition. Le monde du vivant a été tellement investi par le capitalisme afin d’y développer de nouveaux espaces pour la marchandise que certaines de ses conséquences possibles sur l’humanité elle-même ont fini par percer le mur du silence. ( … )

On voit où le programme de fabrication d’une posthumanité pourrait mener : directement à l’entrée dans une ère de production d’individus dits supérieurs ayant échappé à l’engendrement. Et d’individus inférieurs pour les tâches subalternes. L’existence, banalisée, d’organismes génétiquement modifiés devrait mettre la puce à l’oreille : on pourrait à court terme entreprendre de fabriquer, par clonage et modification génétique, de nouvelles variantes humaines. Il est même vraisemblable que des expérimentations sont en cours ou ne sauraient tarder à l’être.

Lorsque ce jour arrivera, nous serons passés de la postmodernité, époque embarrassée dans l’effondrement des idoles, à la posthistoire. Si nul ne peut prévoir ce que cela sera, on peut cependant dire ce que cela ne sera plus. Car cela signifie le dénouement de cinq grands topoï de l’humanité : la fin de la commune humanité, la fin de la fatalité usuelle de la mort, la fin de l’individuation, la fin de l’arrangement (problématique) entre les sexes, et le bouleversement de la succession générationnelle. ( … )

( … ) Or cette route est encombrée d’« hommes premiers » – voilà le problème. Pour notre prophète, le vieil homme primitif est retors, il est constitutivement sourd – je cite – au « potentiel généreux » de la transformation « plurivalente ». Pis, par son « égoïsme ancien », il serait tout juste bon à « exercer le pouvoir sur les matières premières » pour « en disposer » afin de les soustraire aux changements promis – où l’on comprend que ces « matières premières » pourraient bien être le corps humain lui-même. Ce vieil homme ne serait, bien sûr, que « l’homme du ressentiment » prêt à faire « des rassemblements » pour embrigader « des populations désinformées » et les mener vers « de faux débats sur des menaces non comprises, sous la férule d’éditorialistes lascifs »... A bas donc les vieux « humanolâtres » qui prétendent, mus par « une hystérie antitechnologique », s’opposer à ce saut où l’Etre nous appelle car, bien sûr, il n’y a « rien de pervers » à vouloir « se transformer par autotechnique »...

Ces propos de Sloterdijk – par leur outrance même – sont de grande utilité : ils permettent de comprendre que la désinhibition symbolique actuelle n’est pas seulement une affaire de libération des mœurs et de sortie plus ou moins douloureuse du patriarcat. En fait, la levée des interdits révèle que perdure un véritable projet postnazi de sacrification de l’humain. Il est porté par l’anarcho-capitalisme, qui, en brisant toutes les régulations symboliques, rend possible le fait que la technique avance toute seule jusqu’à briser l’humanité. ( … )

( … ) L’anarcho-capitalisme a accrédité l’idée que se donner des lois est cruel et ne confine qu’à une sorte de masochisme insupportable. Et il renvoie cyniquement ceux qui auraient besoin d’un supplément d’âme au puritanisme obscurantiste. Il faut pourtant rappeler que les philosophes des Lumières, comme Jean-Jacques Rousseau et Emmanuel Kant, disaient que la liberté ne consiste en rien d’autre qu’à obéir aux lois que l’on s’est données. En fait, nous avons besoin de véritables lois juridiques et morales, et non de ces succédanés moralisants, pour rendre enfin la justice, pour sauvegarder le monde avant qu’il ne soit trop tard, pour préserver l’espèce humaine, menacée par une logique aveugle. Or nous sommes en train d’abroger toutes les lois – sauf celle du plus fort – et, si nous continuons dans cette funeste direction, nous entrerons dans une cruauté bien plus vive que celle d’avoir à se soumettre à des lois. Nous entrerons dans une cruauté inconnue consistant à vouloir modifier ce corps humain vieux de cent mille ans. Pour tenter d’en bricoler un autre.

De la réduction des têtes au changement des corps. Par Dany-Robert Dufour.

Wikipédia

La secte derrière les nanotechnologies. Pièces et Main d'Oeuvre

Jean-Pierre Dupuy. Le problème théologico-scientifique et la responsabilité de la science. (pdf)

lundi 4 octobre 2010

"De l'esclavage des nègres." ( 1758 ) Montesquieu et la complexité de l'ironie



De l'esclavage des nègres.

Si j'avais à soutenir le droit que nous avons eu de rendre les nègres esclaves, voici ce que je dirais :


Les peuples d'Europe ayant exterminé ceux de l'Amérique, ils ont dû mettre en esclavage ceux de l'Afrique, pour s'en servir à défricher tant de terres.


Le sucre serait trop cher, si l'on ne faisait travailler la plante qui le produit par des esclaves.

Ceux dont il s'agit sont noirs depuis les pieds jusqu'à la tête; et ils ont le nez si écrasé qu'il est presque impossible de les plaindre.
On ne peut se mettre dans l'esprit que Dieu, qui est un être très sage, ait mis une âme, surtout une âme bonne, dans un corps tout noir. ( ... )

Une preuve que les nègres n'ont pas le sens commun, c'est qu'ils font plus de cas d'un collier de verre que de l'or, qui, chez des nations policées, est d'une si grande conséquence.

Il est impossible que nous supposions que ces gens-là soient des hommes; parce que, si nous les supposions des hommes, on commencerait à croire que nous ne sommes pas nous-mêmes chrétiens.

De petits esprits exagèrent trop l'injustice que l'on fait aux Africains. Car, si elle était telle qu'ils le disent, ne serait-il pas venu dans la tête des princes d'Europe, qui font entre eux tant de conventions inutiles, d'en faire une générale en faveur de la miséricorde et de la pitié ?

.Montesquieu, De l'Esprit des Lois, livre XV, chapitre V

L'ironie de Montesquieu se révèle dans le contraste entre l'horreur des réalités évoquées et le détachement du ton qui est celui de la constatation tranquille ( ... )

Mais, si, dans ce dernier paragraphe, l'esclavagiste hausse le ton, si sa voix se fait presque menaçante à l'égard des "petits esprits" qui condamnent l'esclavage, on entend, derrière lui, s'enfler une autre voix qu'on entendait déjà monter dans le paragraphe précédent : celle du philosophe. Nous passons, en effet, avec ces deux derniers paragraphes, d'une ironie froide à une ironie ardente où l'on sent vibrer une colère de plus en plus difficile à contenir. La relative "qui font entre eux tant de conventions inutiles" est très ironique ( ... )

Mais sans doute était-il trop lucide pour nourrir l'illusion qu'il verrait lui-même exaucer un voeu si fervent. Et l'on sait qu'il faudra attendre près de cinquante ans après L'Esprit des Lois pour que, grâce à la Révolution française, cet appel commence à être entendu, et presque un siècle encore pour aboutir à une suppression à peu près générale de l'esclavage ( ... )

Si donc Montesquieu a choisi un procédé plus complexe qu'il ne semble tout d'abord, c'est, bien sûr, parce qu'il a voulu laisser à la subtilité de ses lecteurs le soin de découvrir toute la stupidité de certaines justifications; c'est parce qu'il a voulu ridiculiser les arguments réellement utilisés par les esclavagistes, en les reprenant presque textuellement et en les mettant sur le même plan que d'autres inventés de toutes pièces pour être d'une insigne ineptie; c'est surtout parce qu'il a voulu montrer non seulement l'extrême faiblesse de la position des esclavagistes sur le plan du droit, mais aussi la force des intérêts et des préjugés sur lesquels ils s'appuient. ( ... )

De l'esclavage des nègres est l'exemple même du texte ironique qui, pris à la lettre, dit le contraire de ce que l'auteur veut faire entendre, il arrive régulièrement que Montesquieu soit pris pour un esclavagiste. Assez récemment encore, dans le numéro de février 1988 du mensuel Actuel, on a pu lire, sous la plume du directeur de la publication, M. Jean-François Bizot, un article intitulé « Quand les Français étaient négriers » qui citait ce texte célèbre en le prenant à la lettre. 

Et, qui plus est, croyant sans doute avoir fait une importante découverte, M. Jean-François Bizot n'a rien trouvé de mieux que de faire paraître, dans Le Monde ainsi que dans d'autres journaux, des placards publicitaires où, sur un fond noir, on lisait, en lettres blanches, la citation suivante : "On ne peut se mettre dans l'esprit que Dieu ait mis une âme dans un corps tout noir", et un peu plus bas : "Goebbels ? Peter Botha ? Non, Montesquieu". 

Il est évident que M. Jean-François Bizot n'a pas lancé cette campagne publicitaire sans en parler à ses principaux collaborateurs et l'on peut même penser que toute l'équipe du journal a du être au courant. Il faut donc en conclure qu'il ne s'est trouvé personne, dans cette, équipe, pour relever une erreur aussi monstrueuse. Et apparemment personne non plus ne l'a relevée dans les services publicitaires du Monde et des autres journaux qui ont publié ces placards.( .. )

.Assez décodé ! Site de René Pommier

lundi 27 septembre 2010

"South Park - nous vous soutiendrions si nous n'avions pas si peur"




Les médias occidentaux se sont récemment émus, à l’unisson, du sort du dessin animé South Park et de ses auteurs. Victimes de menaces islamistes, ces derniers auraient vu un de leur épisode honteusement censuré alors qu'il montrait une image du prophète Mahomet.

Problème: l’image de Mahomet n’a pas été «censurée» et, une fois de plus, la série South Park, malgré ses énormes sabots, s’est sans doute révélée trop subtile pour les Lois binaires de l’Info. ( ... )


Dorénavant impliqués dans un jeu de défiance avec leur diffuseur Comedy Central, et ayant enfin touché du doigt ces limites que la série recherchait depuis ses débuts, les créateurs de South Park décidèrent quelques semaines plus tard de revenir sur l’affaire des caricatures de Mahomet. Dans l’épisode en deux parties Cartoon Wars, le pays est en proie à la panique lorsque la chaîne Fox annonce que sa série animée Les Griffin (Family Guy en vo) s’apprête à diffuser un épisode où l’on verra le visage de Mahomet. Craignant des représailles terroristes, les habitants de la ville de South Park décident à l’unanimité de s’enterrer la tête dans du sable, à la façon des autruches, pour montrer aux fondamentalistes musulmans qu’ils n’approuvent en rien cette diffusion. De leur côté, Al-Zawahiri et Ben Laden font paraître des vidéos de menaces, dans lesquelles ils semblent plus préoccupés par les faiblesses narratives de la série Family Guy que par la présence de Mahomet.



A la diffusion du deuxième épisode de Cartoon Wars, au moment fatidique de l’extrait imaginaire de Family Guy où devait apparaître Mahomet, un panneau noir envahissait l’écran avec la mention :

«Comedy Central a refusé de diffuser une image de Mahomet sur ses chaînes».

Pour Trey Parker et Matt Stone, cet évènement de dernière minute, qui donnait un sens beaucoup plus appuyé à leur propos, allait à n’en pas douter créer une violente polémique.
Or, il n’en fut rien !

Dans les jours qui suivirent, la discussion porta essentiellement sur la façon avec laquelle South Park s’était payé la poire de Family Guy, mais pratiquement aucune mention de l’image censurée. Parker et Stone furent chagrinés par cette non-controverse et le firent savoir à quelques journalistes. ( ... )

Tous les éléments étaient donc réunis pour mener au coup d’éclat récent du 200ème épisode, sobrement titré 200, un épisode anniversaire dans lequel les auteurs allaient, une bonne fois pour toutes, obliger leurs compatriotes à sortir la tête du sable et repenser à ce qui fait la liberté d’expression.


Beaucoup d'encre fut versé au sujet du costume d'ours du (prétendu) Mahomet. Mais aucun commentaire sur le fait que, dans le même épisode, Bouddha sniffait de la coke et Jésus insultait son propre nom ( ... )

Tom Cruise leur demande alors en échange de lui livrer le prophète Mahomet. Problème: comment la ville pourrait-elle livrer le prophète puisqu’il est interdit de montrer son visage ? Et tandis que l’on cherche un moyen de ne pas monter le visage de Mahomet (en l’acheminant dans une camionnette de livraison puis en le recouvrant d’un costume d’ours mascotte d’équipe de football), les enfants de la ville, qui le connaissent pour l’avoir déjà rencontré (en référence à l’épisode Les Super Meilleurs potes) aident le prophète à se cacher de ses multiples ravisseurs. Car il s’avèrera, dans la seconde partie de l’épisode, que celui qui se cachait sous le costume de mascotte de football n’est pas Mahomet mais le Père Noël, seul personnage mythique sur lequel les habitants ont réussi à mettre la main. ( ... )

Résumons

- Cet épisode très médiatisé est un épisode anniversaire, récapitulant tout ce qui a fait l’identité (et l’histoire mouvementée) de cette série

- Le costume de l’ours mascotte, qui a fait tardivement le tour des dépêches, n’est pas censé contenir Mahomet mais seulement le Père Noël

- Le panneau « censuré » qui recouvre Mahomet fait partie intégrante du récit et de son propos. Il a été créé par les auteurs eux-mêmes et non pas imposé par la chaîne


Dans un générique d'ouverture des Simpson, Bart écrit au nom de l'équipe :

"South Park - nous vous soutiendrions si nous n'avions pas si peur"

SOUTH PARK ET LES AUTRUCHES @rretsurimages via L'Islam en France

South Park T.V.http://fr.wikipedia.org/wiki/South_Park


Bien que Dieu soit habituellement mis en scène par une voix profonde et de la lumière venant du ciel, sa « véritable forme » apparaît dans la série : c'est en réalité un hybride de singe, de chat et d'hippopotame, avec une langue de reptile qu'il utilise pour manger des mouches. Dieu apparaît au paradis dès que quelqu'un prononce son nom et répond parfois aux mortels comme son fils Jésus. Dieu est lui-même bouddhiste, bien que seuls les mormons soient acceptés au paradis.

South Park

samedi 18 septembre 2010

" De la Brièveté de la vie " par Sénèque ( 49 ap J.-C. )


Aucun homme ne souffre qu'on s'empare de ses propriétés ; et, pour le plus léger différend sur les limites, on a recours aux pierres et aux armes. Et pourtant la plupart permettent qu'on empiète sur leur vie; on les voit même en livrer d'avance à d'autres la possession pleine et entière. On ne trouve personne qui vous fasse part de son argent, et chacun dissipe sa vie à tous venants. ( ... )

La plupart des hommes disent : A cinquante ans, j'irai vivre dans la retraite; à soixante ans, je renoncerai aux emplois. Et qui vous a donné caution d'une vie plus longue ? qui permettra que tout se passe comme vous l'arrangez ? N'avez-vous pas honte de ne vous réserver que les restes de votre vie, et de destiner à la culture de votre esprit le seul temps qui n'est plus bon à rien? N'est-il pas trop tard de commencer à vivre lorsqu'il faut sortir de la vie? ( ... )

Ce n'est donc pas à ses rides et à ses cheveux blancs, qu'il faut croire qu'un homme a longtemps vécu : il n'a pas longtemps vécu, il est longtemps resté sur la terre. Quoi donc! pensez-vous qu'un homme a beaucoup navigué, lorsque, surpris dès le port par une tempête cruelle, il a été çà et là ballotté par les vagues, et qu'en butte à des vents déchaînés en sens contraire, il a toujours tourné autour du même espace? il n'a pas beaucoup navigué, il a été longtemps battu par la mer. ( ... )

Ceux-là, nous pouvons le dire, s'attachent à leurs véritables devoirs, qui tous les jours ont avec les Zénon, les Pythagore, les Démocrite, les Aristote, les Théophraste, et les autres précepteurs de la morale et de la science, des relations intimes et familières. Aucun de ces sages qui n'ait le loisir de les recevoir; aucun qui ne renvoie ceux qui sont venus à lui, plus heureux et plus affectionnés à sa personne; aucun qui souffre que vous sortiez d'auprès de lui les mains vides, Nuit et jour leur accès est ouvert à tous les mortels. ( ... )

On dit souvent qu'il n'a pas été en notre pouvoir de choisir nos parents; que le sort nous les a donnés. Il est pourtant une naissance qui dépend de nous. Il existe plusieurs familles d'illustres génies; choisissez celle où vous désirez être admis, vous y serez adopté, non seulement pour en prendre le nom, mais les biens, et vous ne serez point tenu de les conserver en homme avare et sordide; ils s'augmenteront au fur et à mesure que vous en ferez part à plus de monde.

Ces grands hommes vous ouvriront le chemin de l'éternité, et vous élèveront à une hauteur d'où personne ne pourra vous faire tomber. Tel est le seul moyen d'étendre une vie mortelle, et même de la changer en immortalité. Les honneurs, les monuments, tout ce que l'ambition obtient par des décrets, tous les trophées qu'elle peut élever, s'écroulent promptement: le temps ruine tout, et renverse en un moment ce qu'il a consacré. Mais la sagesse est au-dessus de ses atteintes. Aucun siècle ne pourra ni la détruire, ni l'altérer. L'âge suivant et ceux qui lui succéderont, ne feront qu'ajouter, à la vénération qu'elle inspire; car l'envie s'attache à ce qui est proche, et plus volontiers l'on admire ce qui est éloigné.

La vie du sage est donc très étendue; elle n'est pas renfermée dans les bornes assignées au reste des mortels. Seul il est affranchi des lois du genre humain: tous les siècles lui sont soumis comme à Dieu : le temps passé, il en reste maître par le souvenir; le présent, il en use; l'avenir, il en jouit d'avance. Il se compose une longue vie par la réunion de tous les temps en un seul. ( ... )

Bibliothèque Virtuelle

mercredi 1 septembre 2010

L' E.I.A. et le pic pétrolier.




L'Agence internationale de l'énergie est une organisation destinée à coordonner les politiques énergétiques des pays occidentaux industrialisés. Créée en 1974 à l'initiative des États-Unis à la suite du premier choc pétrolier, elle supervise le dispositif permettant de pallier une pénurie temporaire et coordonne les politiques énergétiques de ses membres. L'AIE faisait partie des acteurs « optimistes » : jusqu'à récemment elle niait l'existence d'un pic pétrolier. ( ... )

Pour finir, l'Agence avance en 2009 qu'une inadéquation entre la demande et l'offre de pétrole à partir de 2010 pourrait introduire une « crise énergétique » qui compromettrait tout espoir de sortie de « crise économique », reconnaissant par là que le problème d'une sur-consommation précéderait (ou s'ajouterait à) celui du Pic pétrolier, qu'elle avoue ne pas savoir situer précisément. ( ... )

Pic Pétrolier

La production de pétrole conventionnel a atteint son « pic historique » en 2006, elle ne le redépassera « jamais » dit l' Agence Internationale de l' Energie

Près de 30 % de la production des puits aujourd’hui en activité aura disparu dans 10 ans, passant de 68 à 48 millions de barils par jour (mb/j) en 2020. Et dans une génération, en 2035, les champs de pétrole actuellement exploités ne fourniront plus que 17 mb/j, soit moins d’un cinquième de la demande future, d’après le graphe reproduit ci-dessous, issu du rapport annuel que vient de rendre public l’Agence internationale de l’énergie (AIE). ( ... )

Oil Man

Washington envisage un déclin de la production de pétrole mondiale à partir de 2011

Le département de l’énergie américain reconnaît qu’“il existe une chance pour que nous fassions l’expérience d’un déclin” de la production mondiale de carburants liquides entre 2011 et 2015 “si les investissements font défaut”, selon un entretien exclusif avec Glen Sweetnam, principal expert officiel du marché pétrolier au sein de l’administration Obama. ( ... )

Le Département de l’énergie américain (DoE) rejette la théorie du “peak oil”, d’après laquelle la production mondiale de brut devrait décroître de façon irréversible dans un avenir proche, faute de réserves suffisantes encore exploitables. L’administration Obama de l’énergie défend l’hypothèse alternative dite du “plateau ondulant”. Lauren Mayne, en charge de la prospective sur les carburants liquides au sein du DoE, explique : “Une fois que la production mondiale maximale de pétrole sera atteinte, celle-ci sera ensuite à peu près maintenue pendant plusieurs années, créant un plateau ondulant. Après cette période de plateau, la production déclinera.” ( ... )

De nouveaux projets “non identifiés” seront-ils capables de compenser le déclin des sources existantes de production, afin de combler en moins de 5 ans, d’ici à 2015, l’écart de 10 Mb/j annoncé par le DoE entre demande et offre identifiée ?
Il faut au moins 7 ans pour lancer un nouveau projet d’extraction pétrolière, reconnaît le DoE.
Glen Sweetnam a déclaré lors de la conférence d’avril 2009 que les récentes découvertes de pétrole ultra-profond au large du Brésil constituaient “en quelque sorte le seul point positif (…) en attendant que nous allions dans l’Arctique”. ( ... )

Glen Sweetnam, qui supervise à Washington la rédaction du prochain rapport annuel de l’administration de l’information sur l’énergie, paraît aujourd’hui juger que son scénario “plus défavorable” est peut-être le bon, lorsqu’au cours de notre entretien, il envisage la possibilité d’un déclin de la production de carburants liquides à partir de 2011.
Une telle incertitude de la part de Washington est sans précédent. Le DoE figure d’habitude parmi les sources les plus optimistes lorsqu’il est question de l’épuisement des réserves mondiales de pétrole. ( ... )

Oil Man

Le gaz naturel? Il n’a pas les qualités susdites du pétrole et atteindra son pic de production mondiale dix ans après celui-ci, vers 2020. La seule voie viable est la sobriété pétrolière immédiate organisée par un accord international tel qu’esquissé ci-dessus, autorisant un prompt sevrage de notre addiction à l’or noir.

Sans attendre ce délicat accord international, nos nouveaux élus régionaux et nos prochains élus européens devraient s’attacher en toute priorité à réaliser localement les objectifs de ce projet en organisant sur leurs territoires la décroissance pétrolière. A défaut, le rationnement viendra du marché par l’escalade prochaine des prix du pétrole, puis, par propagation de l’inflation, le choc atteindra tous les secteurs. A bientôt 100 dollars le baril, ce ne sera pas un simple choc pétrolier, ce sera la fin du monde tel que nous le connaissons.

VERS LA PÉTRO-APOCALYPSE par Yves Cochet




« Nous n’avons pas mis fin à la croissance, la nature va s’en 

charger », par Dennis Meadows

«Le scénario de l’effondrement l’emporte»



Dans les vingt prochaines années, entre aujourd'hui et 2030, vous verrez plus de changements qu'il n'y en a eu depuis un siècle, dans les domaines de la politique, de l'environnement, de l'économie, la technique. Les troubles de la zone euro ne représentent qu'une petite part de ce que nous allons voir. Et ces changements ne se feront pas de manière pacifique.

« Nous n’avons pas mis fin à la croissance, la nature va s’en charger », par Dennis Meadows


mardi 24 août 2010

« Sous l’écologie, le fascisme »




Des guetteurs à l’oeil de lynx se sont avisés que l’écologie n’était qu’un masque dissimulant pétainisme, fascisme et stalinisme. Les principaux thèmes de l’alerte furent lancés par Marcel Gauchet dans un article au titre lapidaire : « Sous l’amour de la nature, la haine des hommes » (...)




Au début, Luc Ferry, professeur de philosophie à l’université de Caen, était heureux : enfin, les idéologies déclinaient. Hélas, s’attrista-t-il : une autre a surgi, et du genre qui n’y va pas avec le dos de la petite cuillère : « L’écologisme radical formule les critiques les plus négatives qui aient jamais été prononcées contre l’univers moderne : le nazisme lui-même, pour ne rien dire du stalinisme, conservait encore une attitude ambigüe face à une technoscience qu’il dénonçait d’un côté, mais ne manquait pas de développer de l’autre, dans le contexte belliciste d’une « mobilisation totale » des forces de la nation »(...)

Ainsi, nous dit-on, la civilisation « trouve son essor véritable avec cet arrachement à l’univers naturel par lequel se constitue progressivement un ‘monde de l’esprit’ »(p. 52). Donc, « s’agissant de la liberté, hommes et animaux paraissent séparés par un abîme. Il porte même un nom : l’histoire, qu’il s’agisse de celle de l’individu (l’éducation), ou de celle de l’espèce (politique) » (p. 104).(...)


« Nous ne pouvons tout à fait nous départir de l’impression que la nature possède une certaine valeur en elle-même, qu’elle est parfois susceptible de nous étonner, voire de nous émerveiller hors de toute considération de maîtrise ou d’utilité » (p. 239). On nous apprend même que la nature témoigne d’une finalité (p. 262).(...)


Ainsi, il ne faut pas lire Ferry comme une critique de l’écologie, mais comme l’expression positive du système dominant : dans le repli des phrases, dans le choix des mots, dans l’ombre des dénonciations « humanistes », il nous donne les repères du monde qu’il défend.(...)


La nature : « On pourrait tenter de définir ce qui dans la nature elle-même doit être respecté et ce qui, en revanche, doit être combattu au nom d’un interventionnisme bien compris (...) Il est évident que tout, en elle, ne mérite pas également d’être protégé » (p. 260). La nature des conservateurs est une suite d’éléments modulaires, dans laquelle on peut choisir ce qui nous arrange.(...)


La science : elle va résoudre les problèmes. « Que ce soit par un surcroît de science et de technique que nous parvenions un jour à résoudre les questions qu’aborde l’éthique de l’environnement est plus que probable », écrit Ferry (237). Cependant - comme elle n’est qu’un outil idéologique -, on n’en tient pas compte si elle dit quelque chose qui ne convient pas. Par exemple : « La science ne nous enseigne-t-elle pas, du reste, qu’il existe une continuité secrète entre les êtres vivants ? C’est dès lors en son nom prestigieux qu’il conviendrait d’accorder un égal respect à toutes les manifestations de la vie universelle. Projet sympathique, au sens propre, mais peut-être incompatible avec les termes dans lesquels s’est défini l’humanisme laïque issu de la Révolution française » (p. 44). Implicitement, on nous dit de maintenir une philosophie quand bien même la connaissance scientifique en contredirait les fondements.(...)


Surtout, pas de conflit, pas de politique : si l’écologie « accepte de se dire réformiste, elle devra reconnaître qu’elle est un groupe de pression exprimant une sensibilité qui, pour être partagée par l’immense majorité, n’a pas à elle seule vocation au pouvoir. Politique, l’écologie ne sera pas démocratique ; démocratique, il lui faudra renoncer aux mirages de la grande politique » (p. 267).(...)


L’euthanasie : l’individu a tout intérêt à éviter de vieillir. En effet, « la faculté d’arrachement à l’ordre de la naturalité est le signe du proprement humain » (p. 65). Or, « la vieillesse, inéluctable, rétablira peu à peu les droits de la nature sur ceux de la liberté » (p. 64). Ramené à la nature en vieillissant, l’être humain perd la liberté, donc l’humanité. « Il n’est pas déraisonnable d’admettre qu’il nous faille respecter l’humanité, même en ceux qui n’en manifestent plus que les signes résiduels » (p. 105). Voilà un enthousiasme rassurant.(...)


L’Occident : « A l’évidence, c’est dans nos sociétés libérales-sociales-démocrates que le souci de l’environnement est le plus marqué » (p. 34). « Le souci de l’environnement » est « infiniment plus développé » en Europe et aux Etats-Unis que dans le Tiers Monde (p. 143). Tout est bien chez les meilleurs du monde. A propos, que faut-il penser des pygmées, des Penans, des Yanomamis ? Hors jeu : ils n’appartiennent pas à la modernité. Ne forment-ils pas des « communautés viscéralement closes sur elles-mêmes », donc « incapables de dépasser leurs singularités ataviques pour entrer en communication avec autrui » (p. 217) ?(...)


Une telle représentation du monde laisse pantois, et rend les commentaires inutiles. On doit remercier Luc Ferry de nous donner un tableau qui semble exact de l’univers mental actuel des conservateurs. Mais l’on espère qu’ils accepteront de poursuivre plus loyalement qu’il ne l’a fait la discussion qui leur est proposée. Parce que les enjeux sont exigeants et difficiles, elle requiert, des deux côtés, rigueur et respect de l’autre.



Hervé Kempf, La Baleine qui cache la forêt, La Découverte,1994.

Reporterre

Décroissance

Nicholas Georgescu-Roegen La décroissance.

vendredi 6 août 2010

" Nous fraternisons avec vous, chers nègres..." par Roger Vailland ( 1928 )


"Il est probable que les peuples des colonies massacreront un jour colons, soldats et missionnaires et viendront à leur tour "opprimer" l'Europe. Et nous nous en réjouissons. Non par cet amour de la symétrie qu'est le sentiment de la justice, et qui est d'une esthétique bien dépassée, mais parce que les nègres sont plus proches de nous que les Européens, et que nous préférons leur pensée primitive à la "pensée rationnelle", leurs magies aux religions dogmatiques; leurs statues, leurs bijoux et leurs bordels aux nôtres! 


Nous sommes avec les noirs, les jaunes et les rouges contre les blancs. Nous sommes avec tous ceux qui sont condamnés à la prison pour avoir eu le courage de protester contre les guerres coloniales.

Nous fraternisons avec vous, chers nègres, et nous vous souhaitons une prochaine arrivée à Paris, et de pouvoir vous y livrer en grand à ce jeu des supplices où vous êtes si forts. Pénétrés de la forte joie d'être traîtres nous vous ouvrirons toutes les portes! Et tant pis si vous ne nous reconnaissez pas!"

Roger Vailland, "Le Grand Jeu" n°1, été 1928

Les contrées magnifiques

Hans Silvester

dimanche 25 juillet 2010

“c’est trop injuste”





“Interdit à Mr Lacambre tout usage de la phrase “c’est trop injuste”, sous quelque forme et support que ce soit.”


Valentin Lacambre n’est pas un prestataire comme les autres. Pionnier du Net, il avait fait fortune en créant le 36 15 Internet.( ... )

Ce pour quoi, n’ayant pas besoin, pour vivre, de tout l’argent que son 36 15 Internet engendrait, il avait décidé de créer l’un des tous premiers services d’hébergement gratuit mais aussi et surtout sans publicité, Altern.org, qui hébergeait à l’époque plus de 45.000 sites web, dont un grand nombre de sites politiques et d’opinion, comme Valentin Lacambre s’en expliquait au moment de l’affaire Estelle Halliday :


“Altern.org est le seul service qui réponde à la fois à ces deux conditions : gratuit, sans la moindre contrepartie (y compris publicitaire), et ouvert à tous sans aucune discrimination, qui sont pour ceux qui l’ont choisi la garantie d’une totale indépendance, idéologique et commerciale, donc d’une totale liberté d’expression.” ( ... )


Plutôt que de porter plainte contre Entrevue, ou contre le webmaster du site qui avait remis les photos en ligne, Estelle Halliday porta plainte contre l’hébergeur du site web, Valentin Lacambre, pour avoir “gravement porté atteinte à son droit à l’image et à l’intimité de sa vie privée“, lui réclamant 700.000 francs de dommages et 100.000 francs d’astreinte par jour. ( ... )


Étrangement, jamais la justice ne tenta d’identifier le responsable du site web en question, préférant s’en prendre à la personnalité de son hébergeur. ( ... )


Soulignant qu’il était “matériellement impossible de vérifier le contenu de tous les (45.000) sites hébergés à tout instant“, Valentin Lacambre fit appel, laissant entendre qu’en cas de condamnation, il n’aurait d’autre choix que de “fermer boutique“, et les 45.000 sites web d’Altern avec. ( ... )


Valentin Lacambre n’eut d’autre choix que de fermer l’ensemble des sites hébergés sur Altern.org, et ce d’autant que d’autres plaignants avaient décidé, dans la foulée, de s’attaquer à celui qui, à l’époque, incarnait la défense de la liberté d’expression. Les ayant-droits (italiens) de Calimero lui réclamaient en effet 2,53 millions de francs de dommages et intérêts pour usurpation de la marque “c’est vraiment trop injuste“ ( … )


De fait, l’affaire Altern ne s’arrêta pas là. Si Valentin Lacambre trouva finalement un accord avec Estelle Halliday (sur la base de 70.000 francs au lieu des 405.000 accordés par Marie-Françoise Marais), le webmaster de Calimero.org (un site sadomasochiste amateur) fut quant à lui condamné, en mars 2000, à 300.000 francs de dommages et intérêts, Valentin Lacambre, en tant qu’hébergeur, écopant quant à lui de 180.000 francs d’amendes et frais de justice, jugement assorti de cette mention qui restera dans les annales de l’histoire de la liberté d’expression :


“Interdit à Mr Lacambre tout usage de la phrase “c’est trop injuste”, sous quelque forme et support que ce soit.”


OWNI

flickr



http://altern.org/alternb/defense/

samedi 17 juillet 2010

" Les Nouveaux Chiens De Garde " par Serge Halimi

Là encore, nous sommes tous américains: de 1990 à 1999, alors que le nombre d'homicides diminua aux États-Unis, le nombre de sujets que les journaux télévisés des networks avaient consacrés à des homicides augmenta de 474 %. Audience garantie, coût de fabrication et temps d'exécution dérisoires, possibilité de traiter ce genre de question dans un format de plus en plus court (un journal de TF1 peut aborder plus de vingt-cinq sujets en trente-huit minutes): gageons que l'insécurité et la pédophilie n'ont pas fini de nous « intéresser ». Avec pour conséquences le durcissement des peines prononcées et la multiplication du nombre des prisons.


Coincé entre son propriétaire, son rédacteur en chef, son audimat, sa précarité, sa concurrence et ses complicités croisées, le journaliste de base n'a plus guère d'autonomie. Mais il trouve encore de quoi exhiber devant ses confrères un petit détail qu'il a « fait passer » dans son journal ou à l'antenne, et qui prouverait son reliquat de pouvoir. Car, dans la profession, ne jamais disposer de ses deux mots ou de ses deux secondes de dissidence fourgués en contrebande relève surtout de l'incompétence. Et, pour un patron de presse, ne pas concéder à ses employés une soupape aussi anodine que ces miettes de dignité constituerait une forme de maladresse.

Provenant de ceux-là mêmes qui ne cessent d'exalter la grande contre-révolution capitaliste de la fin du siècle, qui savent si bien expliquer aux ouvriers belges de Renault que leur remplacement par des opérateurs brésiliens moins payés est « incontournable », que décidément la mondialisation impose à chacun de s'adapter, un tel aveuglement peut surprendre. Mais comment annoncer avec ménagement à un journaliste que, pour lui aussi, « Lip, c'est fini », qu'il dispose dorénavant d'à peine plus de pouvoir sur l'information qu'une caissière de supermarché sur la stratégie commerciale de son employeur (4) ? Tant de stages, tant de précarité, tant de CDD pour en arriver là: on se rêvait l'héritier de Bob Woodward, on est le tâcheron de Martin Bouygues.

4. Rien que depuis 1998, les journalistes de La Tribune, du Figaro, de Télérama, de L'Express, d'Europe 1, de France 3, de l'AFP, etc., ont émis des avis, parfois à une majorité écrasante, dont les directions d'entreprise, désignées par l'actionnaire, n'ont tenu aucun compte. ( ... )

Là encore, nous sommes tous américains: de 1990 à 1999, alors que le nombre d'homicides diminua aux États-Unis, le nombre de sujets que les journaux télévisés des networks avaient consacrés à des homicides augmenta de 474 % (10). Audience garantie, coût de fabrication et temps d'exécution dérisoires, possibilité de traiter ce genre de question dans un format de plus en plus court (un journal de TF1 peut aborder plus de vingt-cinq sujets en trente-huit minutes): gageons que l'insécurité et la pédophilie n'ont pas fini de nous « intéresser ». Avec pour conséquences le durcissement des peines prononcées et la multiplication du nombre des prisons.


10. Harper's, juillet 1999.

( ... )Or peu importe après tout que MM. Sylvestre, Le Boucher, Évrard, Helvig, Izraelewicz ou Beytout soient sarkozistes, chiraquiens, villepinistes ou strauss-kahniens si, à travers leurs commentaires, TF1, Le Monde, Europe 1, Libération, Les Échos et Le Figaro ressemblent tous un peu à des « porteurs d'eau chargés d'assurer le confort des champions qui font la course en tête ». Pourtant, que d'obstination dans l'erreur. .. Il y a environ vingt-cinq ans, on nous serinait que plus de profit, ce serait plus d'investissements et plus d'emplois; pour impressionner le chaland, on donna même à cette découverte - providentielle pour le patronat - le nom de « théorème de Schmidt ». Aujourd'hui, la Bourse flambe dès qu'une entreprise annonce un plan de licenciements et, tandis que la répartition de la richesse nationale n'a cessé de favoriser les détenteurs du capital, le chômage a plus que doublé*.

* Rien qu'entre 1983 et 1998, la part des salaires dans le produit intérieur brut français est passée de 68,8 % à 59,9 %, En 1997, Dominique Strauss-Kahn, alors ministre de l'Économie et des Finances, estimait qu'une part du chômage français «trouve sa source dons un partage de la valeur ajoutée trop défavorable aux salariés pour que les entreprises puissent bénéficier d'une croissance dynamique» (Conférence de presse du 21 juillet 1997). ( ... )

Toutefois, pour convaincre les plus sceptiques de sa soif de rectitude, Le Monde devra également se défaire de l'habitude qu'il a prise de traiter d'antidémocrates ou d'antisémites ceux qui ont eu le malheur de critiquer un jour la presse. Voire, crime suprême, Le Monde lui-même *.

* [Note de l'éditeur] Il faut préciser ici que Le Monde fut le seul quotidien politique national à n'avoir pas rendu compte de ce livre, publié en 1997. Interrogé par Acrimed sur ce silence en mars 1998, le médiateur du Monde, Thomas Ferenczi, eut cette réponse:
« Le Monde, c'est vrai, n'a pas encore parlé du livre de Serge Halimi. Je le regrette. Comme vous le savez, Le Monde des livres reçoit une centaine de livres par semaine: il est donc obligé de foire des choix, et de se limiter aux livres qu'il juge, pour une raison ou pour une autre, intéressants. Ses responsables ont estimé que l'essai de Serge Halimi n'appartenait pas à cette catégorie. Le succès de ce livre les a conduits à réviser leur position [sic]. Nous avons demandé, selon l'usage, à des spécialistes des médias extérieurs ou journal de rendre compte du livre. Ils ont refusé.» Malgré les « choix » du Monde, cet ouvrage a été réédité à vingt-cinq reprises et traduit dans une dizaine de pays. ( ... )

INTERNET ARCHIVE

vendredi 2 juillet 2010

Miguel Benasayag : " ce que l’on nomme la personne, le moi, n’est qu’une toute petite partie de soi "


Miguel Benasayag, Tarnac et l'anti-terrorisme

C’est un symptôme. Comme un coup de balancier et de deuil : puisqu’il n’y a pas de destin commun et que l’on ne va pas vers la société parfaite, alors chacun pour soi ! Et c’est terrible d’en arriver à ne plus pouvoir penser le commun. C’est la où il me semble intéressant de suivre la phrase de Deleuze, « La vie n’est pas quelque chose de personnel ». 


Il m’est arrivé quelque chose de très drôle : un patient arrive chez moi, il est fou - on dit « psychotique » ou non, peu importe, en tout cas, il est fou, il est très très fou. Il me sort de sa poche une lettre écrite par son médecin à mon intention : « Cher collègue, je suis le médecin du SAMU et j’ai vu le jeune X qui a fait une crise d’angoisse et un malaise, il s’est évanoui, il allait très mal. » Comment ça ? Il était à table, ce jeune X, avec ses parents et son frère ; tout d’un coup, il regarde la télé où on parle de la vache folle. Jusque-là, il n’en avait pas entendu parler ; il en entend parler et se met à poser des questions. « Mais comment la vache folle ? » 

Il était à table et tout à coup, lui, il comprend qu’on est peut-être en train de nous empoisonner, il réalise et il fait une crise d’angoisse terrible ; il tombe dans les pommes, il a des gestes qui font peur à tout le monde parce qu’il est fou et assez costaud. Tous les autres, normaux, écoutaient le désastre dans lequel on vit et continuaient à manger. Le problème, c’est celui-là : les gens savent bien que le capitalisme est un désastre, mais comme ils ne sont pas assez fous, comme ils sont trop sains, ils ne peuvent pas réagir.

Périphéries

On passe d’un monde dans lequel il y a un grand dessein, un grand récit, à un autre dans lequel il n’y a que des petits récits minables. Il y a peu de temps, je discutais avec un couple de profs de philo entre trente et quarante ans. Ils avaient du mal à comprendre que l’on puisse faire des choses pour d’autres raisons que le plaisir qu’elles procurent. Pour moi, des gens qui n’agissent que pour le plaisir c’est synonyme de barbarie. 

Il est évident que si l’on accepte que le plaisir soit le moteur principal de notre agir, ça ne peut conduire qu’à la barbarie. Et ce couple de philosophes ne comprenait absolument pas, ils me parlaient de l’hédonisme chez Aristote, chez Onfray… C’est un symptôme. Comme un coup de balancier et de deuil : puisqu’il n’y a pas de destin commun et que l’on ne va pas vers la société parfaite, alors chacun pour soi ! Et c’est terrible d’en arriver à ne plus pouvoir penser le commun. C’est la où il me semble intéressant de suivre la phrase de Deleuze, « La vie n’est pas quelque chose de personnel ». 

Ça peut sembler drôle un psychanalyste qui croit que la vie n’est pas quelque chose de personnel, mais ce que l’on nomme la personne, le moi, n’est qu’une toute petite partie de soi. Et la question aujourd’hui c’est : nous sommes liés, mais comment ?

Article11


L'importance des limites: Miguel Benasayag at TEDxParis 2012





Il existe certains invariants biologiques, par exemple le fait que le vivant fonctionne en perte permanente de son matériel. Si cette perte ne peut plus avoir lieu le vivant disparaît. L’identité du vivant existe au prix de la perte matérielle. L’idée irrationnelle du « toujours plus » est dangereuse et idéologique.

Actuellement nous vivons peut-être l’équivalent d’une transition de phase, pendant laquelle une partie des processus ne sont pas codifiables et modélisables, ne peuvent pas être compris par les outils conceptuels de la technologie dominante. Le danger vient d’une information et d’une modélisation trop virtualisées, qui font que ce « toujours plus » est en pure perte de substance et de sens, et qu’on peut louper et piétiner sans s’en rendre compte des choses essentielles.


Il est important d’éviter cette contamination idéologique du « toujours plus », de l’absolu qui du religieux est aujourd’hui passé dans le scientisme. La culture doit recoloniser la technique et l’économie.
L’absence de limites, au niveau individuel ça correspond à la psychose, au niveau biologique c’est le cancer, et au niveau social c’est la barbarie ou le néolibéralisme.



Textes de Miguel Benasayag et du Collectif Malgré Tout 

 libertaire.free.fr 

jeudi 24 juin 2010

" Pourquoi l'avenir n'a pas besoin de nous ". Par Bill Joy



Nos techniques les plus puissantes du 21ème siècle - la robotique, le génie génétique et les nanotechnologies - menacent de faire de l'homme une espèce en dange


Par Bill Joy, co-fondateur et Directeur Scientifique de Sun Microsystems, et coauteur de La Spécification du Langage Java.

" Admettons d'abord que les informaticiens réussissent à développer des machines intelligentes qui peuvent tout faire mieux que les humains. Dans ce cas tout le travail sera vraisemblablement fait par d'énormes systèmes fortement organisés de machines et aucun effort humain ne sera nécessaire. Deux cas seulement pourraient se produire. On pourrait permettre aux machines de prendre toutes leurs décisions sans intervention humaine, ou bien le contrôle humain des machines pourrait être conservé. ( ... )

Bien sûr, la vie sera à ce point sans but que les gens devront être biologiquement ou psychologiquement modifiés soit pour supprimer leur pulsion de dominance ou pour leur faire "sublimer" leur pulsion de dominance dans un passe-temps inoffensif. Ces êtres humains modifiés peuvent être heureux dans une telle société, mais ils ne seront très certainement pas libres. Ils auront été réduits au statut d'animaux domestiques. "

Dans le livre, on ne découvre qu'en tournant la page que l'auteur de ce passage est Théodore Kaczynski - Unabomber. Je ne suis aucunement un apologiste de Kaczynski. Ses bombes ont tué trois personnes pendant une campagne de terreur de 17 ans et ont blessé plusieurs autres. Une de ses bombes a gravement blessé mon ami David Gelernter, un des informaticiens les plus brillants et les plus visionnaires de notre temps. Comme beaucoup de mes collègues, j'ai senti que j'aurais facilement pu être la cible suivante d' Unabomber.

Les actions de Kaczynski étaient meurtrières et, à mon avis, d'un fou criminel. Il est clairement un Luddite, mais se limiter à cette affirmation n'écarte pas son argument; aussi difficile qu'il soit pour moi de le reconnaître, il y a un certain mérite dans le raisonnement de ce passage. Je me suis senti contraint d'y faire face. ( ... )

Habitués à vivre avec des percées scientifiques presque de routine, il nous reste à nous habituer au fait que les techniques les plus captivantes du 21ème siècle - la robotique, le génie génétique et les nanotechnologies - posent une menace différente de celle des techniques qui sont apparues auparavant. Spécifiquement, les robots, les organismes génétiquement modifiés et les nanorobots partagent un facteur d'amplification dangereux : Ils peuvent s'auto-reproduire. Une bombe explose seulement une fois - mais un robot peut en devenir plusieurs et on peut en perdre rapidement le contrôle. ( ... )

Les techniques du 21ème siècle - génétique, nanotechnologie et robotique (GNR) - sont si puissantes qu'elles peuvent couvrir des nouvelles classes entières d'accidents et d'abus. D'une façon particulièrement dangereuse, pour la première fois, ces accidents et abus sont largement à la portée d'individus ou de petits groupes. Ils n'exigeront pas de grands équipements ou des matières premières rares. Le savoir seul suffira à leur utilisation. ( ... )

Étant donné le pouvoir incroyable de ces nouvelles techniques, ne devrions nous pas demander comment nous pouvons au mieux coexister avec elles ? Et si notre propre extinction est un résultat probable, ou même possible, de notre développement technique, ne devrions nous pas procéder avec beaucoup de précautions ? ( ... )

Pourquoi l'avenir n'a pas besoin de nous.

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