mardi 24 août 2010

« Sous l’écologie, le fascisme »




Des guetteurs à l’oeil de lynx se sont avisés que l’écologie n’était qu’un masque dissimulant pétainisme, fascisme et stalinisme. Les principaux thèmes de l’alerte furent lancés par Marcel Gauchet dans un article au titre lapidaire : « Sous l’amour de la nature, la haine des hommes » (...)




Au début, Luc Ferry, professeur de philosophie à l’université de Caen, était heureux : enfin, les idéologies déclinaient. Hélas, s’attrista-t-il : une autre a surgi, et du genre qui n’y va pas avec le dos de la petite cuillère : « L’écologisme radical formule les critiques les plus négatives qui aient jamais été prononcées contre l’univers moderne : le nazisme lui-même, pour ne rien dire du stalinisme, conservait encore une attitude ambigüe face à une technoscience qu’il dénonçait d’un côté, mais ne manquait pas de développer de l’autre, dans le contexte belliciste d’une « mobilisation totale » des forces de la nation »(...)

Ainsi, nous dit-on, la civilisation « trouve son essor véritable avec cet arrachement à l’univers naturel par lequel se constitue progressivement un ‘monde de l’esprit’ »(p. 52). Donc, « s’agissant de la liberté, hommes et animaux paraissent séparés par un abîme. Il porte même un nom : l’histoire, qu’il s’agisse de celle de l’individu (l’éducation), ou de celle de l’espèce (politique) » (p. 104).(...)


« Nous ne pouvons tout à fait nous départir de l’impression que la nature possède une certaine valeur en elle-même, qu’elle est parfois susceptible de nous étonner, voire de nous émerveiller hors de toute considération de maîtrise ou d’utilité » (p. 239). On nous apprend même que la nature témoigne d’une finalité (p. 262).(...)


Ainsi, il ne faut pas lire Ferry comme une critique de l’écologie, mais comme l’expression positive du système dominant : dans le repli des phrases, dans le choix des mots, dans l’ombre des dénonciations « humanistes », il nous donne les repères du monde qu’il défend.(...)


La nature : « On pourrait tenter de définir ce qui dans la nature elle-même doit être respecté et ce qui, en revanche, doit être combattu au nom d’un interventionnisme bien compris (...) Il est évident que tout, en elle, ne mérite pas également d’être protégé » (p. 260). La nature des conservateurs est une suite d’éléments modulaires, dans laquelle on peut choisir ce qui nous arrange.(...)


La science : elle va résoudre les problèmes. « Que ce soit par un surcroît de science et de technique que nous parvenions un jour à résoudre les questions qu’aborde l’éthique de l’environnement est plus que probable », écrit Ferry (237). Cependant - comme elle n’est qu’un outil idéologique -, on n’en tient pas compte si elle dit quelque chose qui ne convient pas. Par exemple : « La science ne nous enseigne-t-elle pas, du reste, qu’il existe une continuité secrète entre les êtres vivants ? C’est dès lors en son nom prestigieux qu’il conviendrait d’accorder un égal respect à toutes les manifestations de la vie universelle. Projet sympathique, au sens propre, mais peut-être incompatible avec les termes dans lesquels s’est défini l’humanisme laïque issu de la Révolution française » (p. 44). Implicitement, on nous dit de maintenir une philosophie quand bien même la connaissance scientifique en contredirait les fondements.(...)


Surtout, pas de conflit, pas de politique : si l’écologie « accepte de se dire réformiste, elle devra reconnaître qu’elle est un groupe de pression exprimant une sensibilité qui, pour être partagée par l’immense majorité, n’a pas à elle seule vocation au pouvoir. Politique, l’écologie ne sera pas démocratique ; démocratique, il lui faudra renoncer aux mirages de la grande politique » (p. 267).(...)


L’euthanasie : l’individu a tout intérêt à éviter de vieillir. En effet, « la faculté d’arrachement à l’ordre de la naturalité est le signe du proprement humain » (p. 65). Or, « la vieillesse, inéluctable, rétablira peu à peu les droits de la nature sur ceux de la liberté » (p. 64). Ramené à la nature en vieillissant, l’être humain perd la liberté, donc l’humanité. « Il n’est pas déraisonnable d’admettre qu’il nous faille respecter l’humanité, même en ceux qui n’en manifestent plus que les signes résiduels » (p. 105). Voilà un enthousiasme rassurant.(...)


L’Occident : « A l’évidence, c’est dans nos sociétés libérales-sociales-démocrates que le souci de l’environnement est le plus marqué » (p. 34). « Le souci de l’environnement » est « infiniment plus développé » en Europe et aux Etats-Unis que dans le Tiers Monde (p. 143). Tout est bien chez les meilleurs du monde. A propos, que faut-il penser des pygmées, des Penans, des Yanomamis ? Hors jeu : ils n’appartiennent pas à la modernité. Ne forment-ils pas des « communautés viscéralement closes sur elles-mêmes », donc « incapables de dépasser leurs singularités ataviques pour entrer en communication avec autrui » (p. 217) ?(...)


Une telle représentation du monde laisse pantois, et rend les commentaires inutiles. On doit remercier Luc Ferry de nous donner un tableau qui semble exact de l’univers mental actuel des conservateurs. Mais l’on espère qu’ils accepteront de poursuivre plus loyalement qu’il ne l’a fait la discussion qui leur est proposée. Parce que les enjeux sont exigeants et difficiles, elle requiert, des deux côtés, rigueur et respect de l’autre.



Hervé Kempf, La Baleine qui cache la forêt, La Découverte,1994.

Reporterre

Décroissance

Nicholas Georgescu-Roegen La décroissance.

vendredi 6 août 2010

" Nous fraternisons avec vous, chers nègres..." par Roger Vailland ( 1928 )


"Il est probable que les peuples des colonies massacreront un jour colons, soldats et missionnaires et viendront à leur tour "opprimer" l'Europe. Et nous nous en réjouissons. Non par cet amour de la symétrie qu'est le sentiment de la justice, et qui est d'une esthétique bien dépassée, mais parce que les nègres sont plus proches de nous que les Européens, et que nous préférons leur pensée primitive à la "pensée rationnelle", leurs magies aux religions dogmatiques; leurs statues, leurs bijoux et leurs bordels aux nôtres! 


Nous sommes avec les noirs, les jaunes et les rouges contre les blancs. Nous sommes avec tous ceux qui sont condamnés à la prison pour avoir eu le courage de protester contre les guerres coloniales.

Nous fraternisons avec vous, chers nègres, et nous vous souhaitons une prochaine arrivée à Paris, et de pouvoir vous y livrer en grand à ce jeu des supplices où vous êtes si forts. Pénétrés de la forte joie d'être traîtres nous vous ouvrirons toutes les portes! Et tant pis si vous ne nous reconnaissez pas!"

Roger Vailland, "Le Grand Jeu" n°1, été 1928

Les contrées magnifiques

Hans Silvester