“Interdit à Mr Lacambre tout usage de la phrase “c’est trop injuste”, sous quelque forme et support que ce soit.”
Valentin Lacambre n’est pas un prestataire comme les autres. Pionnier du Net, il avait fait fortune en créant le 36 15 Internet.( ... )
Ce pour quoi, n’ayant pas besoin, pour vivre, de tout l’argent que son 36 15 Internet engendrait, il avait décidé de créer l’un des tous premiers services d’hébergement gratuit mais aussi et surtout sans publicité, Altern.org, qui hébergeait à l’époque plus de 45.000 sites web, dont un grand nombre de sites politiques et d’opinion, comme Valentin Lacambre s’en expliquait au moment de l’affaire Estelle Halliday :
“Altern.org est le seul service qui réponde à la fois à ces deux conditions : gratuit, sans la moindre contrepartie (y compris publicitaire), et ouvert à tous sans aucune discrimination, qui sont pour ceux qui l’ont choisi la garantie d’une totale indépendance, idéologique et commerciale, donc d’une totale liberté d’expression.” ( ... )
Plutôt que de porter plainte contre Entrevue, ou contre le webmaster du site qui avait remis les photos en ligne, Estelle Halliday porta plainte contre l’hébergeur du site web, Valentin Lacambre, pour avoir “gravement porté atteinte à son droit à l’image et à l’intimité de sa vie privée“, lui réclamant 700.000 francs de dommages et 100.000 francs d’astreinte par jour. ( ... )
Étrangement, jamais la justice ne tenta d’identifier le responsable du site web en question, préférant s’en prendre à la personnalité de son hébergeur. ( ... )
Soulignant qu’il était “matériellement impossible de vérifier le contenu de tous les (45.000) sites hébergés à tout instant“, Valentin Lacambre fit appel, laissant entendre qu’en cas de condamnation, il n’aurait d’autre choix que de “fermer boutique“, et les 45.000 sites web d’Altern avec. ( ... )
Valentin Lacambre n’eut d’autre choix que de fermer l’ensemble des sites hébergés sur Altern.org, et ce d’autant que d’autres plaignants avaient décidé, dans la foulée, de s’attaquer à celui qui, à l’époque, incarnait la défense de la liberté d’expression. Les ayant-droits (italiens) de Calimero lui réclamaient en effet 2,53 millions de francs de dommages et intérêts pour usurpation de la marque “c’est vraiment trop injuste“ ( … )
De fait, l’affaire Altern ne s’arrêta pas là. Si Valentin Lacambre trouva finalement un accord avec Estelle Halliday (sur la base de 70.000 francs au lieu des 405.000 accordés par Marie-Françoise Marais), le webmaster de Calimero.org (un site sadomasochiste amateur) fut quant à lui condamné, en mars 2000, à 300.000 francs de dommages et intérêts, Valentin Lacambre, en tant qu’hébergeur, écopant quant à lui de 180.000 francs d’amendes et frais de justice, jugement assorti de cette mention qui restera dans les annales de l’histoire de la liberté d’expression :
“Interdit à Mr Lacambre tout usage de la phrase “c’est trop injuste”, sous quelque forme et support que ce soit.”
OWNI
flickr
http://altern.org/alternb/defense/
Là encore, nous sommes tous américains: de 1990 à 1999, alors que le nombre d'homicides diminua aux États-Unis, le nombre de sujets que les journaux télévisés des networks avaient consacrés à des homicides augmenta de 474 %. Audience garantie, coût de fabrication et temps d'exécution dérisoires, possibilité de traiter ce genre de question dans un format de plus en plus court (un journal de TF1 peut aborder plus de vingt-cinq sujets en trente-huit minutes): gageons que l'insécurité et la pédophilie n'ont pas fini de nous « intéresser ». Avec pour conséquences le durcissement des peines prononcées et la multiplication du nombre des prisons.
Coincé entre son propriétaire, son rédacteur en chef, son audimat, sa précarité, sa concurrence et ses complicités croisées, le journaliste de base n'a plus guère d'autonomie. Mais il trouve encore de quoi exhiber devant ses confrères un petit détail qu'il a « fait passer » dans son journal ou à l'antenne, et qui prouverait son reliquat de pouvoir. Car, dans la profession, ne jamais disposer de ses deux mots ou de ses deux secondes de dissidence fourgués en contrebande relève surtout de l'incompétence. Et, pour un patron de presse, ne pas concéder à ses employés une soupape aussi anodine que ces miettes de dignité constituerait une forme de maladresse.
Provenant de ceux-là mêmes qui ne cessent d'exalter la grande contre-révolution capitaliste de la fin du siècle, qui savent si bien expliquer aux ouvriers belges de Renault que leur remplacement par des opérateurs brésiliens moins payés est « incontournable », que décidément la mondialisation impose à chacun de s'adapter, un tel aveuglement peut surprendre. Mais comment annoncer avec ménagement à un journaliste que, pour lui aussi, « Lip, c'est fini », qu'il dispose dorénavant d'à peine plus de pouvoir sur l'information qu'une caissière de supermarché sur la stratégie commerciale de son employeur (4) ? Tant de stages, tant de précarité, tant de CDD pour en arriver là: on se rêvait l'héritier de Bob Woodward, on est le tâcheron de Martin Bouygues.
4. Rien que depuis 1998, les journalistes de La Tribune, du Figaro, de Télérama, de L'Express, d'Europe 1, de France 3, de l'AFP, etc., ont émis des avis, parfois à une majorité écrasante, dont les directions d'entreprise, désignées par l'actionnaire, n'ont tenu aucun compte. ( ... )
Là encore, nous sommes tous américains: de 1990 à 1999, alors que le nombre d'homicides diminua aux États-Unis, le nombre de sujets que les journaux télévisés des networks avaient consacrés à des homicides augmenta de 474 % (10). Audience garantie, coût de fabrication et temps d'exécution dérisoires, possibilité de traiter ce genre de question dans un format de plus en plus court (un journal de TF1 peut aborder plus de vingt-cinq sujets en trente-huit minutes): gageons que l'insécurité et la pédophilie n'ont pas fini de nous « intéresser ». Avec pour conséquences le durcissement des peines prononcées et la multiplication du nombre des prisons.
10. Harper's, juillet 1999.
( ... )Or peu importe après tout que MM. Sylvestre, Le Boucher, Évrard, Helvig, Izraelewicz ou Beytout soient sarkozistes, chiraquiens, villepinistes ou strauss-kahniens si, à travers leurs commentaires, TF1, Le Monde, Europe 1, Libération, Les Échos et Le Figaro ressemblent tous un peu à des « porteurs d'eau chargés d'assurer le confort des champions qui font la course en tête ». Pourtant, que d'obstination dans l'erreur. .. Il y a environ vingt-cinq ans, on nous serinait que plus de profit, ce serait plus d'investissements et plus d'emplois; pour impressionner le chaland, on donna même à cette découverte - providentielle pour le patronat - le nom de « théorème de Schmidt ». Aujourd'hui, la Bourse flambe dès qu'une entreprise annonce un plan de licenciements et, tandis que la répartition de la richesse nationale n'a cessé de favoriser les détenteurs du capital, le chômage a plus que doublé*.
* Rien qu'entre 1983 et 1998, la part des salaires dans le produit intérieur brut français est passée de 68,8 % à 59,9 %, En 1997, Dominique Strauss-Kahn, alors ministre de l'Économie et des Finances, estimait qu'une part du chômage français «trouve sa source dons un partage de la valeur ajoutée trop défavorable aux salariés pour que les entreprises puissent bénéficier d'une croissance dynamique» (Conférence de presse du 21 juillet 1997). ( ... )
Toutefois, pour convaincre les plus sceptiques de sa soif de rectitude, Le Monde devra également se défaire de l'habitude qu'il a prise de traiter d'antidémocrates ou d'antisémites ceux qui ont eu le malheur de critiquer un jour la presse. Voire, crime suprême, Le Monde lui-même *.
* [Note de l'éditeur] Il faut préciser ici que Le Monde fut le seul quotidien politique national à n'avoir pas rendu compte de ce livre, publié en 1997. Interrogé par Acrimed sur ce silence en mars 1998, le médiateur du Monde, Thomas Ferenczi, eut cette réponse:
« Le Monde, c'est vrai, n'a pas encore parlé du livre de Serge Halimi. Je le regrette. Comme vous le savez, Le Monde des livres reçoit une centaine de livres par semaine: il est donc obligé de foire des choix, et de se limiter aux livres qu'il juge, pour une raison ou pour une autre, intéressants. Ses responsables ont estimé que l'essai de Serge Halimi n'appartenait pas à cette catégorie. Le succès de ce livre les a conduits à réviser leur position [sic]. Nous avons demandé, selon l'usage, à des spécialistes des médias extérieurs ou journal de rendre compte du livre. Ils ont refusé.» Malgré les « choix » du Monde, cet ouvrage a été réédité à vingt-cinq reprises et traduit dans une dizaine de pays. ( ... )
INTERNET ARCHIVE
Miguel Benasayag, Tarnac et l'anti-terrorisme
C’est un symptôme. Comme un coup de balancier et de deuil : puisqu’il n’y a pas de destin commun et que l’on ne va pas vers la société parfaite, alors chacun pour soi ! Et c’est terrible d’en arriver à ne plus pouvoir penser le commun. C’est la où il me semble intéressant de suivre la phrase de Deleuze, « La vie n’est pas quelque chose de personnel ».
Il m’est arrivé quelque chose de très drôle : un patient arrive chez moi, il est fou - on dit « psychotique » ou non, peu importe, en tout cas, il est fou, il est très très fou. Il me sort de sa poche une lettre écrite par son médecin à mon intention : « Cher collègue, je suis le médecin du SAMU et j’ai vu le jeune X qui a fait une crise d’angoisse et un malaise, il s’est évanoui, il allait très mal. » Comment ça ? Il était à table, ce jeune X, avec ses parents et son frère ; tout d’un coup, il regarde la télé où on parle de la vache folle. Jusque-là, il n’en avait pas entendu parler ; il en entend parler et se met à poser des questions. « Mais comment la vache folle ? »
Il était à table et tout à coup, lui, il comprend qu’on est peut-être en train de nous empoisonner, il réalise et il fait une crise d’angoisse terrible ; il tombe dans les pommes, il a des gestes qui font peur à tout le monde parce qu’il est fou et assez costaud. Tous les autres, normaux, écoutaient le désastre dans lequel on vit et continuaient à manger. Le problème, c’est celui-là : les gens savent bien que le capitalisme est un désastre, mais comme ils ne sont pas assez fous, comme ils sont trop sains, ils ne peuvent pas réagir.
Périphéries
On passe d’un monde dans lequel il y a un grand dessein, un grand récit, à un autre dans lequel il n’y a que des petits récits minables. Il y a peu de temps, je discutais avec un couple de profs de philo entre trente et quarante ans. Ils avaient du mal à comprendre que l’on puisse faire des choses pour d’autres raisons que le plaisir qu’elles procurent. Pour moi, des gens qui n’agissent que pour le plaisir c’est synonyme de barbarie.
Il est évident que si l’on accepte que le plaisir soit le moteur principal de notre agir, ça ne peut conduire qu’à la barbarie. Et ce couple de philosophes ne comprenait absolument pas, ils me parlaient de l’hédonisme chez Aristote, chez Onfray… C’est un symptôme. Comme un coup de balancier et de deuil : puisqu’il n’y a pas de destin commun et que l’on ne va pas vers la société parfaite, alors chacun pour soi ! Et c’est terrible d’en arriver à ne plus pouvoir penser le commun. C’est la où il me semble intéressant de suivre la phrase de Deleuze, « La vie n’est pas quelque chose de personnel ».
Ça peut sembler drôle un psychanalyste qui croit que la vie n’est pas quelque chose de personnel, mais ce que l’on nomme la personne, le moi, n’est qu’une toute petite partie de soi. Et la question aujourd’hui c’est : nous sommes liés, mais comment ?
Article11
L'importance des limites: Miguel Benasayag at TEDxParis 2012
Il existe certains invariants biologiques, par exemple le fait que le vivant fonctionne en perte permanente de son matériel. Si cette perte ne peut plus avoir lieu le vivant disparaît. L’identité du vivant existe au prix de la perte matérielle. L’idée irrationnelle du « toujours plus » est dangereuse et idéologique.
Actuellement nous vivons peut-être l’équivalent d’une transition de phase, pendant laquelle une partie des processus ne sont pas codifiables et modélisables, ne peuvent pas être compris par les outils conceptuels de la technologie dominante. Le danger vient d’une information et d’une modélisation trop virtualisées, qui font que ce « toujours plus » est en pure perte de substance et de sens, et qu’on peut louper et piétiner sans s’en rendre compte des choses essentielles.
Il est important d’éviter cette contamination idéologique du « toujours plus », de l’absolu qui du religieux est aujourd’hui passé dans le scientisme. La culture doit recoloniser la technique et l’économie.
L’absence de limites, au niveau individuel ça correspond à la psychose, au niveau biologique c’est le cancer, et au niveau social c’est la barbarie ou le néolibéralisme.
Textes de Miguel Benasayag et du Collectif Malgré Tout
libertaire.free.fr